Annonce

Réduire
Aucune annonce.

L'Indépendance dissoute sous la pluie

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • L'Indépendance dissoute sous la pluie

    L'Indépendance dissoute sous la pluie
    par Kamel Daoud
    Quand il pleut un peu, on fait des récoltes ou de la poésie. Quand il ne pleut pas, on retourne les vestes et on fait des prières. Quand il pleut (très) beaucoup ? La ville du pays se noie et on noie le wali avec elle pour cause de paresse constatée par tous ses subordonnés. Généralement, toute critique de masse en Algérie remonte jusqu'à l'indépendance comme point zéro, le big-bang de l'univers des ratages. Et donc surtout l'indépendance de la voirie, principale réinvention française coloniale et principal signe «positif» de sa colonisation.

    Il y a même une anthropologie de la vie sauvage à faire lorsqu'il pleut trop, brusquement, dans les villes algériennes. On commence par accuser le «wali», sorte de personnage principal en vrac, regroupant les employés mous et lents des mairies, la mairie elle-même, l'Etat, les avaloirs et le but de la libération nationale. Ceci pour la phase Une. La phase Deux est beaucoup plus intéressante : l'Etat algérien dépend de si peu qu'il peut être interrompu (comme une diffusion en sourdine ou un portrait électoral mal collé) par deux ou trois détails. Exemple : il pleut pendant quinze minutes, deux feux rouges s'éteignent, l'avaloir est bouché par des sachets bleus, le maire subit un retrait de confiance matinal, le goudron collé par de la salive se décolle, il pleut encore. Que se passe-t-il alors ? C'est la vie sauvage. Un basculement brusque dans une sorte de jungle déboisée. Un retour immédiat au jurassique. La civilisation se mesurant à la distance creusée entre l'homme et l'intempérie. Car plus l'homme maîtrise le froid, la pluie, la canicule et l'averse, plus il est suisse ou japonais. La distance étant mince entre le climat et l'Etat, l'Algérie redevient sauvage en quelques minutes à chaque caprice de météo.

    Si vous avez conduit hier à Oran, entre six heures du matin et midi, vous l'avez sûrement tous remarqué : dans une sorte de brusque transfiguration, tout le parc roulant traversant la ville s'est transformé en une sorte de mouvement animalier de brousse, avec des catégories de mammifères selon les chevaux des moteurs. Ce fut rapidement la loi du bras et du volume : un bus ou un camion poids lourd avait sa propre conception de la priorité, les petites voitures étant repoussées vers des règnes secondaires, entre volailles, herbivores et zoologies mineures.

    Au-delà de cette molle caricature, le trait est vrai : rien ne lie l'Algérie au sens profond et au contrat social et sémiologique du panneau de priorité, du sens interdit et du passage piéton. Il suffit de rien pour remette en cause ce reliquat de l'ordre colonial ou boumediéniste qui nous a servi d'obligation de politesse et de savoir-faire pendant quelques décennies.

    Retombé dans l'autobiographie, l'Etat fait retomber son peuple dans l'anarchie. Et cela se voit à la moindre petite pluie. Là, tous les Algériens semblent en fuite, jouent de la force pour leur salut individuel, se marchent les uns sur les autres au point d'illustrer une peur plus profonde que celle de se faire noyer : celle de se faire «avoir», comme à l'indépendance. Justement. Par ceux qui courent et comprennent plus vite.

    Le Quotidien d'Oran .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
Chargement...
X