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  • "Pour l'argent, il faut demander à Levy, il s'y connaît !"

    Des Noms pas Propres

    par Léon-Marc Levy

    23.09.09

    Il y a des noms propres qui portent en eux-mêmes un statut de signifiant pur, détaché de la désignation d'une personne physique. Mustapha. N'Diaye. Lévy. Droit dans le symptôme de notre France profonde dans laquelle le pétainisme, le colonialisme, ont été tout, sauf des accidents. Prénoms et noms sont détournés de leur destination, ils cessent de décliner une identité. Ils deviennent le nom-de-l'Arabe, le nom-du-Noir, le nom-du-Juif.

    Mustapha Kessous dans son témoignage nous dit, avec élégance et pudeur, les blessures du Mustapha qu'il est. Pour Lévy, je peux témoigner que c'est un peu plus compliqué. Le symptôme haineux se montre moins. Plus exactement, il emprunte des chemins plus détournés parce que, visiblement, il a du mal à se montrer. Je ne crois pas que, pour autant, la haine du Juif soit moindre que la haine de l'Arabe. Loin s'en faut. Et, dans tous les cas, quel sens aurait une "hiérarchie des phobies", un "Palmarès des haines" ? Il faudrait plutôt chercher du côté du tabou. "Je n'aime pas les Arabes" est une déclaration beaucoup plus imaginable aujourd'hui que "je n'aime pas les Juifs". Plus qu'imaginable d'ailleurs, carrément fréquente, assumée par le locuteur. Poids de la Shoah ? Sûrement. Crainte de l'assimilation aux thèses révisionnistes ? Oui. Promptitude des organisations juives et anti-racistes à dénoncer l'antisémitisme ? Il y a des chances. En tout cas, c'est plus compliqué.

    Mais ça fonctionne quand même ! Petite altercation avec un vigile au bas de mon immeuble et que je ne connais pas : "Qui êtes-vous ?" "M. Lévy, du 3ème étage" "Ah ! Ca ne m'étonne pas !" Quoi ? Que je sois du 3ème étage ?

    Chronique au "Monde.fr", signée bien sûr de mon prénom et de mon nom. Réaction "gentille" d'abonné : "M. Levy défend les intérêts de sa communauté" Ah bon ? Quelle communauté ? Je ne fais dans ma chronique aucune allusion à aucune appartenance à aucune communauté ! Cette réaction m'intègre, sans mon consentement, à une identité collective !
    Plaisanterie anodine entre collègues : "Pour l'argent, il faut demander à Levy, il s'y connaît !"

    Je m'arrête. Mon propos n'est pas de recommencer, au nom du Juif cette fois, le magnifique et émouvant témoignage de Mustapha Kessous. De toutes façons j'aurais du mal car, encore une fois, les blessures que j'ai pu subir du fait de mon nom sont infiniment moins fréquentes, moins rudes, moins ouvertes que celles que doit subir un Arabe, tous les jours, au travail, dans la rue, devant le guichet d'une administration ou à la porte d'une boîte de nuit.

    Mon propos, c'est le nom qui tue. Le nom sans homme. Le nom propre qui devient nom commun pour charrier la haine collective de l'Autre. M. Arabe Kessous. M. Léon-Marc Juif. C'est meurtrier, tout le monde le sait. La police de Vichy travaillait comme ça : des listes de noms qui donnaient des listes de Juifs avant de donner des listes de déportés et des listes de morts. Et de donner, au bout du cauchemar, les murs de Yad Vashem.

    Benoîtement, une lectrice du "Monde" dans une réaction à l'article de M. Kessous, lui propose de changer de nom, de "tuer" son nom !! Comme pour illustrer que la pulsion est bien meurtrière !

    Dans "M. Klein" de Joseph Losey, Alain Delon n'est pas Juif. Mais il est homonyme d'un Juif possible. L'hypothèse d'un Juif en quelque sorte. Le nom-sans-homme le fait basculer du côté des victimes de la haine. C'est que la haine raciale ne porte pas sur des individus en tant qu'individus. Elle porte sur une entité haïe. Tout le monde a entendu la pitoyable "défense" : "Mais je ne suis pas antisémite, d'ailleurs j'ai des amis Juifs". Ca marche aussi, bien sûr, avec les "amis Arabes, Noirs, Asiatiques..." Et alors ? Qu'est-ce que ça prouve ? La machine infernale du racisme n'a que faire du "vrai" Mustapha Kessous. D'ailleurs, si elle avait à en faire, elle serait bien embêtée : il est journaliste. Au "Monde" ! C'est forcément un type bien, honorable en tout cas. Non. La Machine infernale ne veut que "Mustapha", le nom coupé de l'homme, le nom honni de l'Arabe.

    Il est habituel d'entendre des discours de colère ordinaire contre le racisme ordinaire. Et si cette fois nous donnions suite au témoignage de M. Mustapha Kessous ? Lequel d'entre nous n'a pas assisté à une de ces scènes "banales" de racisme anti-arabe ou d'islamophobie ? Si on décidait, certains le font déjà bien sûr, de ne plus laisser faire, de ne plus se taire, de ne plus tolérer que quiconque soit identifié à un visage ou un nom ? Le début du chemin dépend sûrement de chacun de nous. Pour en finir avec les Noms pas Propres.

    Le Monde

  • #2
    M.Levy, vous êtes un utopiste si vous pensez réellement que avec deux articles les citoyens vont acquérir une humanité qu'ils n'ont jamais eu...

    La réaction de votre lectrice le prouve, la première idée qu'il leur vient à l'esprit c'est "bah il a qu'à changer de nom" (quand ce n'est pas "bien fait pour lui")...

    Les Arabes, les Juifs et les Noirs, on peut aussi rajouter les Asiatiques, ceux des Iles, les Gitans...

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