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Familiariser l'enfant aux nombres et au langage mathématique

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  • Familiariser l'enfant aux nombres et au langage mathématique

    Comment des enfants de 6 ans peuvent-ils se familiariser avec les nombres et le langage mathématique? Stella Baruck, chercheuse en pédagogie, a mis au point une méthode pour que les maths aient du sens dès le CP.

    S&A : La différence entre nombres, chiffres, quantité, numéros, c’est à la portée des enfants du CP?

    Stella Baruck : Les capacités des enfants sont complètement sous-estimées. Ils sont comme des éponges. Ils absorbent tout ce qui passe. Si l'on n’y revient pas, alors, hop, ils oublient. Mais si on se met à travailler rationnellement sur les notions rencontrées, alors ils fabriquent, petit à petit, des acquis, du sens. Il faut savoir à quel point il est jubilatoire pour les enfants de faire ces distinctions de langage. Pour eux, cela éclaire le monde. C’est extraordinaire.

    Langage courant, langage du professeur, langage mathématique... ce n’est pas facile de jongler avec tous ces langages qui souvent utilisent les mêmes mots avec des significations différentes!

    Voilà pourquoi l’essentiel de mon travail porte sur le sens. Il est d’usage, hélas, de penser que les mots sont du vocabulaire, alors qu’ils sont les associés indispensables de la pensée ! Si un enfant ne dispose pas des moyens de s’exprimer, il ne peut tout simplement pas penser. On ne peut pas chasser la langue ordinaire de la langue mathématique qui s’est d’ailleurs constituée sur, et à partir de, la langue commune. Mais l’apprentissage permet de faire coexister deux mondes, celui de l’expression commune et celui des formulations mathématiques. […]


    La confusion des langages est une inépuisable source d’erreurs…


    Oui, mais si un enfant fait une erreur, il rend compte d’une association à laquelle on n’avait jamais pensé. Il n’y a pas de «mal entendu», il y a un «autre entendu». Et cet autre entendu doit alerter l’enseignant. Exemple : on écrit avec des mots (en numéral) «soixante-trois», puis on demande à l’enfant d’écrire ce nombre en chiffres (en numérique). Il écrit 57. Pourquoi ? Parce qu’il a pris ça pour un «60 moins 3». C’est magnifique!
    […]
    L’apprentissage de la numération est fondamental?

    Oui. Il faut, dès le CP, que les neuf premiers nombres soient connus, reconnus sous leurs divers aspects, en tant que «nombres» et «nombres de». Il faut que l’enfant les appréhende de manière ordinale (position dans la suite des nombres) et de manière cardinale (leur «grandeur»).

    Et comment vous y prenez-vous?

    Pour qu’il y ait sentiment du nombre, il faut qu’il y ait du «nombreux», ce qui n’est pas le cas lorsqu’on commence par 1, pas plus que par 0. Cinq est le «nombreux» qui répond le mieux à la question, car c’est un «nombre de» incarné, celui des cinq doigts de la main!

    Pourtant, à l’école, on décourage les enfants de compter sur leurs doigts!
    Quand je parlais de ça il y a vingt-cinq ans, on me regardait d’un air scandalisé. Or je n’incite pas les enfants à compter «sur» les doigts, mais «avec» les doigts, qui sont, je le rappelle, à l’origine du système décimal. Du fait de leur forme, nos mains permettent de reconnaître immédiatement tous les nombres de 1 à 10. […]

    A l’étape suivante, les mains sont remplacées par des esquisses les symbolisant, puis ça devient une vision intérieure. Et le tour est joué. Plus de tables d’addition ! Ce que j’appelle compter «avec» les doigts, c’est apprendre très vite à s’en passer.

    Mais, avec les dizaines, c’est pire: les chiffres n’ont pas le même statut selon leur place. N’est-ce pas terrible pour un cerveau en construction?


    Les nombres à un chiffre sont en effet un havre de paix, en attendant le «séisme» qui arrive très vite. Trop vite, souvent. S’ils ne sont pas solidement acquis, inutile d’aller plus loin. L’écriture des nombres à deux chiffres est capitale dans la mesure où elle révèle la spécificité du système décimal : l’aptitude d’un même signe à changer de signification selon sa place. Or si l’on apprend aux enfants que « trente » c’est 30, et «sept» c’est 7, pourquoi «trente-sept» ne s’écrit-il pas 30 suivi d’un 7, soit 307? La première souffrance des enfants face à cet illogisme supposé, elle est là. […] Pour les dizaines, je commence donc par «trente-sept» : le trr… qui évoque trois/3 et le claquement du sept/7 sont extrêmement commodes à identifier puis à visualiser grâce aux mains et aux doigts figurés sur mes petites fiches. […]

    Voici donc le secret de la fameuse «méthode Baruk» qui vous permet de sauver du naufrage bien des petits laissés-pour-compte de l’apprentissage de la numération?

    En France, l’apprentissage de la numération, clef du monde numérique, va de mal en pis. Au lieu d’analyser les difficultés de la matière, le système est de plus en plus régressif. Quand je vois qu’on fait compter et recompter indéfiniment des paquets de dix moutons, ou de fleurs, sous prétexte d’enseigner une numération décimale qui restera chancelante tant que l’on cheminera dans les ornières de la tradition, ou que l’on croit avancer en énonçant «il faut maîtriser les quatre opérations au CP», ce qui est d’un irréalisme dangereux, je suis effrayée, et scandalisée. Résultat de ce constant manque d’analyse depuis au moins trois décennies: un élève sur quatre entre au collège avec une insuffisance totale en maths.

    Alors, avant les élèves, ce sont peut-être les professeurs qu’il faut rééduquer?


    C’est le système qui est à rééduquer. Les profs, eux, sont souvent admirables. Je tire mon chapeau aux enseignants du primaire, qui travaillent dans des conditions tellement difficiles. Je croule sous les demandes de formation de la part des conseillers pédagogiques, des inspecteurs, des directeurs et directrices d’école. Non, le problème se situe au niveau d’une conception d’ensemble cohérente dont on est très loin.

    Par Sciences et Avenir
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