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Monoloque matinal du "Pouvoir"

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    Monologue matinal du «Pouvoir»
    par Kamel Daoud
    «Je m'appelle le Pouvoir. Je n'ai pas de noms. Que des prénoms. Empruntés à des jeunes de moins de 22 ans. Pas de photo, mais une ombre comme tous les corps solides. Les corps très solides. Je mange la terre pour me nourrir et lorsque c'est fini et qu'il n'en reste plus rien, j'y plante le drapeau et j'y organise des élections. Lorsqu'on me jette des pierres, c'est tout juste si on casse les vitres de sa propre commune, sans jamais m'atteindre. Quand on m'insulte, on s'insulte les uns les autres jusqu'au redressement ou la dissidence. Quand on marche contre moi, on finit par marcher contre les CRS et, là aussi, s'en prendre au peuple par le peuple. Quand on m'analyse, on analyse ses propres échecs. On ne peut pas me juger, ni me pendre, ni me prendre par la main. Je suis tellement malin que j'ai fini par en être invisible.

    C'est moi qui ai libéré ce pays et c'est moi qui ai trouvé cette terre par terre, le premier. Vous pouvez cibler un président, c'est lui qui meurt, pas moi. Vous pouvez l'accuser d'être inutile, régionaliste, incapable alors que ce n'est qu'un employé comme vous. C'est moi qui organise les élections, affrète les bus des meetings, fixe les résultats avant la récolte et nomme ou dissous. Je peux créer un parti avec un simple coup de téléphone et le couper en deux ou en trois rien qu'avec mes yeux. Je suis un ensemble solitaire: vous pouvez changer tous les gens qui me composent sans me décomposer. Je suis derrière le dos de chaque chose et de chacun par définition. Je donne à manger, à tuer, à réfléchir.

    Du point de vue de la psychologie, je suis comme tous les Algériens: j'aime les femmes, la terre en mon nom, la domination et m'asseoir sur les épaules du plus faible que moi, comme tous les Algériens. J'ai des envies et des faiblesses. Je n'aime pas la liberté ni ne la déteste: je trouve qu'elle est inutile. Comment en tant que Pouvoir, je garde le Pouvoir ? Par les casernes ? Les services ? Les dossiers ? La peur ? Non: simplement parce que les Algériens ont besoin de croire que le Pouvoir doit être invisible et la Présidence visible. Selon la mécanique des arabes, on donne les honneurs et les applaudissements aux marionnettes et on garde la décision pour soi. Tout le monde est alors content: les mannequins et les couturiers.

    Pour garder le Pouvoir, je donne à manger et j'empêche les gens de se laver les mains, avant ou après le repas. Le reste n'est que détails: il ne faut jamais laisser s'organiser ni les universitaires, ni les syndicats. Ni le monde du cerveau, ni celui du travail. Un bon taoïste peut expliquer que la révolution vient des usines ou des universités. Donc il faut réduire les premières à des oeuvres sociales financées par l'Etat et les secondes en crèches. Il ne restera alors de ce peuple que sa nationalité. Et si je m'appelle le Pouvoir, c'est parce que c'est une nature chez moi. Je peux être inquiété, trébucher, hésiter trois secondes, être attaqué sur les flancs mais jamais licencié. On peut pousser mes généraux ou mes secrétaires généraux à la retraite, on n'ira jamais plus loin. Lorsque l'un de mes employés croit avoir des dents pour me mordre, je luis envoie les vrais résultats des élections à relire. Si je suis le «Pouvoir», ce n'est pas une question d'hommes ou de noms, mais de sens et d'histoire: ce pays est à moi. Ma doctrine tient en deux lignes: sans moi, c'est le chaos. Ce peuple ne sait pas ce qu'il veut et il a mis 136 ans à le savoir sous les colons. Si je donne ce pays à des opposants, ils iront le revendre en morceaux et le solder pour des visas. Si je le garde sous la main, c'est pour le bien de tous, même si tous sont contre.

    C'est ce que les opposants n'ont jamais compris: je suis nécessaire. La seule chose qui me ressemble dans ce pays, ce sont les gardiens de parking clandestins: ma force je la tiens de ma matraque, ma légitimité vient du fait que j'ai compris comment on découpe un territoire, ma nécessité vient de votre peur car si je ne garde pas vos voitures, vous vous ferez voler, mon badge je me le confectionne moi-même et si on ne me paye pas, je casse les vitres ou laisse faire les voleurs en tournant le dos pendant un moment. A la fin, chaque conducteur me déteste mais aucun ne peut se passer de moi.»

    Le Quotidien d'Oran .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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