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Le Royal Scotsman

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  • Le Royal Scotsman

    Avec de l'eau glaciale jusqu'aux mollets, Q. incarne de la tête aux pieds le gentleman anglais en veston et cravate, sauf qu'il a le pantalon retroussé jusqu'aux genoux. C'est un spectacle étrange que de voir cet homme en costume strict nous faire signe depuis le loch Morar, le lac le plus profond de Grande-Bretagne, bordé de sable de silice argentée. Avec un enthousiasme juvénile, l'homme nous invite à le rejoindre pour un bain de pieds dans une eau tellement glacée que je ne sens plus mes pieds, même si nous sommes en plein été.

    On ne s'attend pas à faire ce genre d'activité lors d'un voyage à bord d'un train de luxe le long de la côte ouest de l'Ecosse. Cela dit, on ne s'attend pas non plus à ce que l'accompagnateur se présente sous le nom de Q. [référence au génial bricoleur qui fournit à James Bond ses gadgets les plus sophistiqués].

    Quand il l'a fait, avant que nous soyons invités à monter à bord du Royal Scotsman au son de la cornemuse à la gare de Waverley, à Edimbourg, je me suis demandée si je ne m'étais pas trompée de roman pour me retrouver dans un James Bond. Car nous étions plutôt sur le territoire d'Agatha Christie, le Royal Scotsman étant le frère moins connu de l'Orient-Express.

    Mais une fois installé dans les wagons de style édouardien lambrissés d'acajou et de marqueteries, et décorés d'affiches anciennes et de cuivres rutilants – sans oublier les deux voitures-restaurants aux nappes et à l'argenterie resplendissantes –, l'ancien militaire Q. s'accorde parfaitement au décor, comme ces personnages de férus de la chose militaire qui agrémentent souvent les romans policiers.

    Alors que le train se dirige bruyamment vers la West Highland Line à voie unique, qu'il suit sans se presser de Fort William à Arisaig, nous avons l'impression d'être retournés à l'époque d'Agatha Christie, quand l'itinéraire était le but même du voyage et que le service était digne de ce nom. Il ne manque qu'Hercule Poirot. Celui-ci aurait certainement trouvé le Royal Scotsman bien supérieur à l'Orient-Express, mais il aurait déçu par l'allure non suspecte de la vingtaine de passagers à bord.

    C'est le genre de voyage que l'on fait dans les grandes occasions : un couple d'Ecossais fête ses noces d'or, deux trentenaires Suisses fanas de trains célèbrent leur dixième anniversaire de mariage tandis qu'un Américain, Bill "The Teeth" [M. Sourire] est venu avec sa femme retrouver des amis anglais.

    Les neuf voitures bordeaux du Royal Scotsman ont fière allure dans le paysage écossais, même s'ils ne sont pas tractés par une locomotive à vapeur mais par une motrice Diesel et que seul un wagon date des années 1940.

    Plus tard, en traversant le viaduc de Glenfinnan – rendu célèbre par le Hogwarts Express de la série des Harry Potter –, nous faisons l'arrêt photo de rigueur et admirons notre train dans toute sa longueur juché sur les 21 arches de 30 mètres de haut construites par sir Robert McAlpine.

    Il y a toujours quelque chose à regarder : le Ben Nevis, le plus haut sommet de Grande-Bretagne ; les escaliers de Neptune, série d'écluses sur le canal calédonien ; la péninsule d'Arisaig, d'où embarqua "Bonnie Prince Charlie" [le prince Charles Edouard Stuart] après avoir été vaincu à Culloden [en 1746] et où se trouve la gare la plus occidentale de Grande-Bretagne.

    Il y a également toujours quelque chose de délicieux à manger et à boire. Dans la cuisine de la taille de la chambre froide de certains restaurants, le personnel du Royal Scotsman mitonne de succulents repas à base des meilleurs produits frais de la région, accompagnés d'une impressionnante carte des vins.

    Gibier des Highlands, saumon du Speyside, coquilles Saint-Jacques d'Ecosse, sans oublier le célèbre haggis [panse de brebis farcie], viennent garnir les tables des deux voitures-restaurants – l'une dispose d'une grande table pour les conversations de groupe tandis que l'autre est réservée aux tablées de deux et quatre personnes pour des repas plus intimes.

    Chaque jour est l'occasion d'une nouvelle excursion, que ce soit la revigorante ascension du Ben Nevis pour admirer les Steall Falls (également rendues célèbres la série des Harry Potter) ou une escapade jusqu'à l'île de Bute, pour voir des danses folkloriques écossaises dans la crypte du palais gothique de Mount Stewart.

    Il n'y a pas eu de meurtre à bord du train, sauf à considérer comme mortel l'éblouissant sourire de Bill. La première nuit, j'avais pourtant flairé un début de mystère : celui d'un maniaque des cartes postales, dont on dit qu'il en aurait griffonné 820 en un seul voyage, profitant de la gratuité du service postal à bord. “Tous les détails sont consignés dans le livre d'or, m'informa Q. Mais si la chose est avérée, cela a dû lui prendre une bonne quinzaine d'heures. Cela dit, s'il les avait écrites, nous les aurions envoyées.”

    Je ne parviens à élucider ce mystère qu'une fois que nous sommes arrivés au terme de notre voyage et que nous serrons la main aux membres du personnel alignés en rang. Un certain Michael, chef de permanence du train à l'époque, me glisse : “C'est une exagération, madame. Il n'en a envoyé que 180.”

    par The Times, Courrier International




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