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Mohamed Magani, Retour du pays du matin calme

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  • Mohamed Magani, Retour du pays du matin calme

    Invité au pays du matin calme, à une rencontre d’écrivains sur la littérature et l’environnement, Mohamed Magani nous invite à « l’écosophie ».

    Le visiteur qui débarque à Séoul s’attend à voir les manifestations de la « tigritude » d’un pays du Sud-Est asiatique, en l’occurrence la Corée du Sud, où que le regard se porte. L’aéroport Incheon est certes classé numéro un mondial sur le plan des services et des prouesses architecturales, il y règne cependant une animation sans précipitation ni tohu-bohu.

    L’ambiance feutrée jure avec la trépidation des autres grandes escales du monde, et elle se poursuit tout au long du trajet qui mène à la capitale.

    La route se fraye une voie autoroutière bordée de luxuriance verte. Le tissu végétal enveloppe tout ce que les hommes ont bâti.A Séoul, ville de plus de onze millions d’habitants, avec ses gratte-ciels, tours et immeubles aux façades de verre, d’acier et de marbre léchés, la population semble occupée ailleurs que dans les rues. Quand celles-ci s’animent, l’impression d’aisance et de confort social saisit le visiteur. Les gens ne se marchent pas sur les pieds et chacun, forme suprême de civisme, respecte l’espace vital de l’autre.

    La déambulation est rendue encore plus agréable par la présence, sans nombre et protéiforme, d’espaces de verdure et carrés de plantes et fleurs. Le must pour le visiteur est, sans conteste, une marche le long de la charmante rivière Chang Kei Chun, enterrée sous le béton et l’asphalte avant que son lit ne fut désencombré. Aujourd’hui, une eau claire et limpide y coule, entre des berges de pierres et des plantes grasses, serpentant sur plus de cinq kilomètres au cœur de la ville, parmi des édifices fluorescents à l’assaut du ciel. Une œuvre d’art naturelle, sauvée, agrémentée de gués en pierres taillés et de ponts rustiques où s’y rassemblent les flâneurs. La rivière Chang Kei Chun coule à l’ombre du long fleuve tranquille Han, qui, lui, divise symboliquement la ville en rive nord nouvelle et rive sud ancienne. C’est également un fleuve-promenade. Le vélo, la marche et les pique-niques créent la récréation autour. Les Coréens appellent leur pays « un miracle du fleuve Han », à l’image de l’Allemagne considérée comme un miracle du Rhin.

    Les trois décennies de la dictature du développement ont sorti la Corée du Sud d’un moyen-âge contemporain et l’ont propulsée dans une ère postmoderne dominée par une conscience écologique sans cesse en éveil. Une écosophie en permanence enrichie et mise en débat. Telle la tenue récemment du 16e Colloque international littéraire « Littérature et environnement » qui a réuni quelques écrivains venus d’Algérie, du Canada et du Japon, avec la présence de plus de trois cents autres du pays d’accueil. Nulle part ailleurs que sur les questions de l’environnement et de l’écologie, le langage de la littérature se révèle aussi fécond et « célébration de la conscience humaine ». Les écrivains ne réclament pas seulement une justice poétique, ils répondent aux problèmes du monde avec des mots empreints d’émotion et d’intuition et pas simplement avec des connaissances scientifiques et techniques. La littérature exprime des réalités de manière plus pertinente que les langues des spécialistes.

    Les questions de l’environnement demandent la réinvention du langage, la nature inspire dans sa beauté des valeurs d’harmonie et d’équilibre, autant d’ailleurs que dans ses excès et catastrophes. La littérature environnementale a mis un certain temps à trouver son chemin et à se faire admettre. Et c’est l’un des mérites du colloque de Séoul de mettre en évidence un genre nouveau dans le domaine littéraire. C’est un genre prospectif qui promet dans la volonté de conservation de la nature et dans l’éducation des générations, notamment les nouvelles, à l’éthique écologique. Les intervenants se sont fait forts d’insister sur le fait que les problèmes environnementaux sont actuellement des facteurs cruciaux dans la définition de la façon de vivre des êtres humains et du devenir de la planète. A ce titre, la littérature environnementale est appelée à jouer un rôle majeur et, à l’avenir, les écrivains serviront de « guides » aux lecteurs avec qui ils partageront leurs observations, inquiétudes et espoirs sur l’héritage de la nature, véritable patrimoine vital de l’humanité. Un bon livre s’imprime sans peine dans l’esprit du lecteur, à la condition que l’écrivain utilise au mieux ses sens et sa sensibilité pour observer et faire découvrir la diversité de la nature.

    Si la littérature dite environnementale est créditée d’un développement de plus en plus important, elle a déjà un passé et des lettres de noblesse. Ainsi, l’éminent dramaturge japonais, Inoue Hisashi, avait remarqué que, curieusement, tout roman à succès possède au moins une phrase ou un paragraphe mémorable ayant trait à la nature. Les précurseurs dans la littérature environnementale s’appellent Rachel Louise Carson (1907-1964) et son livre Silence of Spring (Le Silence du printemps, 1962) dans lequel elle décrit les dangers d’utilisation des pesticides. L’ouvrage eut un impact considérable sur les industriels et les mouvements civiques. De même, Only one earth (On n’a qu’une seule terre) de Barbara Ward et Remi Dubois, qui sonna l’alarme sur les problèmes sérieux affectant la biodiversité. On peut citer également Mind in the water (La tête dans l’eau, 1972), de Joan McIntyre qui alerta l’opinion publique sur les risques d’extinction des baleines ainsi que Les Racines du ciel (prix Goncourt) de Romain Gary qui s’était consacré à la défense des éléphants et a, en quelque sorte, inauguré « le roman écologique » au début des années 1950.

    Le colloque de Séoul prolonge la conférence de Tokyo de 2008 sur la littérature et les catastrophes naturelles. Lors de cette rencontre, les écrivains ont incité les organisateurs à institutionnaliser la rencontre sur la littérature et la nature. Le choix du pays du Matin Calme se justifiait pour diverses raisons pratiques. Mais d’une manière générale, l’Asie, avec ses routes célèbres de la soie et des épices présente divers attraits pour une telle démarche. En effet, ce continent amorce la construction d’une nouvelle voie qui oxygène et fait respirer large. L’Europe et tout l’Occident ont créé de la Renaissance à aujourd’hui des centres littéraires mondiaux cristallisés autour de capitales du livre telles Londres, New York, Paris ou Berlin). Ainsi, bien des littératures du monde se sont retrouvées jetées à la périphérie. Actuellement, l’Asie inaugure la route de la littérature que les écrivains des cinq continents pourront emprunter sans risque de se perdre ou de perdre leur âme, et découvriront en chemin des choses surprenantes. L’exemple du « roman illustré », en Corée du Sud, Chine, Japon et Taiwan, en est un.

    Dans cette nouvelle tendance de l’édition asiatique, chaque page comporte en toile de fond une image qui peut éclairer davantage le lecteur et « embellir » la lecture. Ainsi, le roman réconcilie le mot et l’image, à l’heure où leur antagonisme aiguise plutôt les plumes. De Xi’an en Chine à la côte méditerranéenne d’Istanbul, la route de la soie mesurait environ 8000 km. La route de la littérature sera la mère de toutes les routes, une longue caravane des temps modernes ouverte aux peuples et cultures du monde, dont les maîtres-mots sont créativité littéraire et défense de l’environnement. Après Tokyo et Séoul, il est d’ores et déjà envisagé la tenue d’une rencontre afro-asiatique d’écrivains autour du thème de la littérature et de la conservation de la nature. Si Alger prenait l’initiative de l’accueillir, elle jouerait, d’emblée, un rôle déterminant dans la concrétisation d’une voie de circulation des idées encore inimaginable.

    Par Mohamed Magani, El Watan
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