Un milliard de DH de déficit ! Quel avenir pour Royal Air Maroc ?
Baisse du trafic et de la recette unitaire, grève des pilotes, affaire Air Sénégal, surcoût du carburant, l’exercice 2008-2009 verrait, pour la première fois en dix ans, la compagnie plonger dans le rouge.
Les réductions des charges n’apporteront pas d’économies substantielles car l’essentiel a été fait.
L’année 2010 ne sera pas celle de la reprise et les recettes baisseraient davantage.
Driss Benhima en parle
Atterrissage forcé pour le transport aérien mondial, après des années de croissance continue, parfois à deux chiffres, le secteur réduit la voilure en raison d’une contraction d’activité d’une ampleur inattendue. Même la crise de 2001, consécutive aux attentats du 11 Septembre, paraît légère en comparaison du repli concédé depuis janvier dernier. Certes, la période estivale a quelque peu permis de remonter la pente. Selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), le trafic passagers n’a baissé en juillet dernier que de 2,9% en comparaison avec la même période de 2008 et au cours du mois suivant c’est à peine une chute de 1,1% qui a été enregistrée, mais le bilan est sans appel : sur l’ensemble des huit premiers mois de 2009, la baisse est de 6% et le mois de septembre est venu plomber les espoirs.
Alors on table sur un rebond à venir avec le redémarrage de l’économie mondiale à compter de mars-avril 2010. Dans une récente étude sur le secteur, Deutsche Bank, qui qualifie la crise que traverse le secteur comme «l’une des plus graves des 20 dernières années», anticipe une reprise «modeste» du trafic de 3% en 2010. Mais reprise pour qui, et au prix de quels sacrifices ?
Une reprise en 2010, mais à quel prix ?
Selon les estimations de l’IATA faites il y a quelques jours, les compagnies aériennes ont dû consentir, en moyenne, 22% de réduction sur le prix des sièges en première classe et classe «Affaires» et 18% en classe éco. «En dessous du seuil de rentabilité», a commenté Giovanni Bisighani, le directeur général.
Des prévisions qui devraient sans doute donner des sueurs froides à la RAM, même si Driss Benhima, son président directeur général -que nous avons rencontré le jeudi 17 septembre dernier-, se montre rassurant. «En 2008, et en dépit d’une forte concurrence des low cost sur la quasi-totalité des destinations marocaines, y compris Casablanca, le trafic global de RAM a crû de 5% et le taux de remplissage s’est élevé à 65%. Un niveau que nous avons maintenu jusqu’à présent», rassure le patron de la compagnie nationale. «Mais il est vrai que les temps sont durs, très durs», grimace-t-il.
550 MDH de charges exceptionnelles
De fait, la compagnie nationale doit faire face, pour cet exercice 2008-2009, qui arrive à échéance à fin octobre, à un double défi. Celui, conjoncturel, d’un renchérissement exceptionnel de ses charges et celui, plus inquiétant, car structurel, de la pérennité même de son business model. Pour l’exceptionnel, et dans l’ordre chronologique, on trouve le désengagement d’Air Sénégal International (ASI), un carburant payé plus cher que la moyenne du marché international et une grève à répétition des pilotes qui a obligé la compagnie à recourir à des affrètements coûteux, particulièrement en pleine saison estivale. Sur l’affaire ASI, il est vrai que le désengagement d’une société dont la RAM avait fini par assumer seule les charges de fonctionnement face à un laisser-aller de l’Etat sénégalais, était la meilleure solution permettant d’«arrêter l’hémorragie de fonds que constituait ce partenariat», selon M. Benhima. Mais cette sortie, bénéfique à moyen terme, aura eu des répercussions sur le très court terme. Ram «va comptabiliser dans ses comptes les cumuls des pertes d’ASI depuis sa création».
Autre facteur de charges impactant l’exercice en cours, celui du carburant. La crise économique ayant pesé sur les cours à la baisse, RAM qui avait pu limiter les dégâts en 2007-2008, en se couvrant contre les risques de hausse (hedging), a enregistré, du fait même de cette couverture, reconduite pour l’exercice 2008-2009, un fort différentiel entre le prix réel du marché et celui qu’elle s’est engagée à payer. En février 2009, la tonne de «Jet» est en effet descendue à seulement 434 dollars, alors qu’en juillet précédent elle s’échangeait à 1 357 $. Si l’effet du hedging a bien joué pour l’exercice précédent avec un carburant «hedgé» payé à 1039 dollars la tonne au lieu de 1357, la situation s’est inversée cette année. Un carburant «hedgé» payé à 805 dollars, plus cher que le cours du marché.
Enfin, troisième facteur de charge exceptionnelle, les grèves des pilotes. Cinq arrêts de travail, menés entre juillet et août derniers, ont obligé la compagnie à recourir à des affrètements d’avions auprès de loueurs ainsi que d’autres compagnies en surcapacité. Fallait-il s’engager sur cette voie ? Le président Benhima est catégorique : «C’était ça ou rater la saison estivale, sans compter qu’il fallait préserver l’image de marque de la compagnie». Dans tous les cas, si l’addition a été moindre que le manque à gagner en terme de revenus, justifiant la poursuite des vols, elle n’en a pas moins été lourde : 150 MDH selon les estimations de la direction de la RAM. Si l’on ajoute à cela les 180 MDH qui devraient être inscrits au chapitre des pertes concernant ASI, la facture des coûts est déjà salée. La direction de la RAM s’abstient de chiffrer la charge supplémentaire due au surcoût de la facture de carburant, mais, selon des calculs faits par La Vie éco, elle varierait dans une fourchette comprise entre 450 et 550 MDH. Au total, la rubrique charges exceptionnelles, donc au titre de l’exercice 2008-2009, devrait se solder par une comptabilisation de 780 à 880 MDH. De quoi engloutir très largement un résultat courant qui sera à peine équilibré cette année, en raison de la baisse de la recette unitaire. Pour la première fois, en dix ans (voir chiffres dans tableau en page 13), Royal Air Maroc risque d’enregistrer, non seulement un déficit net, mais de surcroît très lourd de 500 à 600 MDH.
Le recoupement de notre estimation soumis à l’avis de Driss Benhima reste sans réponse. Pour ce dernier, le problème n’est pas celui des charges non récurrentes -et qui pourraient être amorties sur plusieurs exercices, si besoin était ?- mais plutôt une question d’avenir. «Ce qui est plus grave à long terme c’est qu’au niveau de son environnement, la compagnie a vu s’installer sur l’axe Casablanca une concurrence plus intense que prévu, favorisée par une liberté totale d’accès au marché. Cette nouvelle concurrence très offensive a joué à fond le levier tarifaire et la suroffre, entraînant une forte pression sur les prix et une dilution de la recette unitaire».
Tant que le marché était en croissance...
Pour des raisons de confidentialité, RAM a refusé de nous livrer la part du chiffre d’affaires réalisée au départ de Casablanca, et notamment celle du vol Casa-Paris qui a, pendant longtemps, été un des principaux supports de rentabilité, aux côtés, plus récemment, de l’activité vers l’Afrique subsaharienne -depuis 2005, ce sont 100 fréquences qui sont assurées vers 22 marchés en Afrique chaque semaine. Il est toutefois évident que l’incursion des compagnies low cost sur le créneau des vols au départ ou à destination de Casablanca, dans le cadre d’une libéralisation totale, a sérieusement secoué la compagnie. La baisse de la recette unitaire par passager a certes été contenue, en 2009, à 12%, soit moins que la moyenne mondiale. Pour autant, accompagnée d’une baisse de trafic de 4%, elle se traduit par un manque à gagner de quelque 4 milliards de DH de chiffre d’affaires. Rapporté à celui de 2007-2008, ce dernier baisserait d’un tiers au titre de l’exercice courant. Aux charges exceptionnelles, s’ajouterait donc un très probable déficit d’exploitation qui ramènerait le déficit net de la RAM aux environs du milliard de DH, si ce n’est plus.
Baisse du trafic et de la recette unitaire, grève des pilotes, affaire Air Sénégal, surcoût du carburant, l’exercice 2008-2009 verrait, pour la première fois en dix ans, la compagnie plonger dans le rouge.
Les réductions des charges n’apporteront pas d’économies substantielles car l’essentiel a été fait.
L’année 2010 ne sera pas celle de la reprise et les recettes baisseraient davantage.
Driss Benhima en parle
Atterrissage forcé pour le transport aérien mondial, après des années de croissance continue, parfois à deux chiffres, le secteur réduit la voilure en raison d’une contraction d’activité d’une ampleur inattendue. Même la crise de 2001, consécutive aux attentats du 11 Septembre, paraît légère en comparaison du repli concédé depuis janvier dernier. Certes, la période estivale a quelque peu permis de remonter la pente. Selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), le trafic passagers n’a baissé en juillet dernier que de 2,9% en comparaison avec la même période de 2008 et au cours du mois suivant c’est à peine une chute de 1,1% qui a été enregistrée, mais le bilan est sans appel : sur l’ensemble des huit premiers mois de 2009, la baisse est de 6% et le mois de septembre est venu plomber les espoirs.
Alors on table sur un rebond à venir avec le redémarrage de l’économie mondiale à compter de mars-avril 2010. Dans une récente étude sur le secteur, Deutsche Bank, qui qualifie la crise que traverse le secteur comme «l’une des plus graves des 20 dernières années», anticipe une reprise «modeste» du trafic de 3% en 2010. Mais reprise pour qui, et au prix de quels sacrifices ?
Une reprise en 2010, mais à quel prix ?
Selon les estimations de l’IATA faites il y a quelques jours, les compagnies aériennes ont dû consentir, en moyenne, 22% de réduction sur le prix des sièges en première classe et classe «Affaires» et 18% en classe éco. «En dessous du seuil de rentabilité», a commenté Giovanni Bisighani, le directeur général.
Des prévisions qui devraient sans doute donner des sueurs froides à la RAM, même si Driss Benhima, son président directeur général -que nous avons rencontré le jeudi 17 septembre dernier-, se montre rassurant. «En 2008, et en dépit d’une forte concurrence des low cost sur la quasi-totalité des destinations marocaines, y compris Casablanca, le trafic global de RAM a crû de 5% et le taux de remplissage s’est élevé à 65%. Un niveau que nous avons maintenu jusqu’à présent», rassure le patron de la compagnie nationale. «Mais il est vrai que les temps sont durs, très durs», grimace-t-il.
550 MDH de charges exceptionnelles
De fait, la compagnie nationale doit faire face, pour cet exercice 2008-2009, qui arrive à échéance à fin octobre, à un double défi. Celui, conjoncturel, d’un renchérissement exceptionnel de ses charges et celui, plus inquiétant, car structurel, de la pérennité même de son business model. Pour l’exceptionnel, et dans l’ordre chronologique, on trouve le désengagement d’Air Sénégal International (ASI), un carburant payé plus cher que la moyenne du marché international et une grève à répétition des pilotes qui a obligé la compagnie à recourir à des affrètements coûteux, particulièrement en pleine saison estivale. Sur l’affaire ASI, il est vrai que le désengagement d’une société dont la RAM avait fini par assumer seule les charges de fonctionnement face à un laisser-aller de l’Etat sénégalais, était la meilleure solution permettant d’«arrêter l’hémorragie de fonds que constituait ce partenariat», selon M. Benhima. Mais cette sortie, bénéfique à moyen terme, aura eu des répercussions sur le très court terme. Ram «va comptabiliser dans ses comptes les cumuls des pertes d’ASI depuis sa création».
Autre facteur de charges impactant l’exercice en cours, celui du carburant. La crise économique ayant pesé sur les cours à la baisse, RAM qui avait pu limiter les dégâts en 2007-2008, en se couvrant contre les risques de hausse (hedging), a enregistré, du fait même de cette couverture, reconduite pour l’exercice 2008-2009, un fort différentiel entre le prix réel du marché et celui qu’elle s’est engagée à payer. En février 2009, la tonne de «Jet» est en effet descendue à seulement 434 dollars, alors qu’en juillet précédent elle s’échangeait à 1 357 $. Si l’effet du hedging a bien joué pour l’exercice précédent avec un carburant «hedgé» payé à 1039 dollars la tonne au lieu de 1357, la situation s’est inversée cette année. Un carburant «hedgé» payé à 805 dollars, plus cher que le cours du marché.
Enfin, troisième facteur de charge exceptionnelle, les grèves des pilotes. Cinq arrêts de travail, menés entre juillet et août derniers, ont obligé la compagnie à recourir à des affrètements d’avions auprès de loueurs ainsi que d’autres compagnies en surcapacité. Fallait-il s’engager sur cette voie ? Le président Benhima est catégorique : «C’était ça ou rater la saison estivale, sans compter qu’il fallait préserver l’image de marque de la compagnie». Dans tous les cas, si l’addition a été moindre que le manque à gagner en terme de revenus, justifiant la poursuite des vols, elle n’en a pas moins été lourde : 150 MDH selon les estimations de la direction de la RAM. Si l’on ajoute à cela les 180 MDH qui devraient être inscrits au chapitre des pertes concernant ASI, la facture des coûts est déjà salée. La direction de la RAM s’abstient de chiffrer la charge supplémentaire due au surcoût de la facture de carburant, mais, selon des calculs faits par La Vie éco, elle varierait dans une fourchette comprise entre 450 et 550 MDH. Au total, la rubrique charges exceptionnelles, donc au titre de l’exercice 2008-2009, devrait se solder par une comptabilisation de 780 à 880 MDH. De quoi engloutir très largement un résultat courant qui sera à peine équilibré cette année, en raison de la baisse de la recette unitaire. Pour la première fois, en dix ans (voir chiffres dans tableau en page 13), Royal Air Maroc risque d’enregistrer, non seulement un déficit net, mais de surcroît très lourd de 500 à 600 MDH.
Le recoupement de notre estimation soumis à l’avis de Driss Benhima reste sans réponse. Pour ce dernier, le problème n’est pas celui des charges non récurrentes -et qui pourraient être amorties sur plusieurs exercices, si besoin était ?- mais plutôt une question d’avenir. «Ce qui est plus grave à long terme c’est qu’au niveau de son environnement, la compagnie a vu s’installer sur l’axe Casablanca une concurrence plus intense que prévu, favorisée par une liberté totale d’accès au marché. Cette nouvelle concurrence très offensive a joué à fond le levier tarifaire et la suroffre, entraînant une forte pression sur les prix et une dilution de la recette unitaire».
Tant que le marché était en croissance...
Pour des raisons de confidentialité, RAM a refusé de nous livrer la part du chiffre d’affaires réalisée au départ de Casablanca, et notamment celle du vol Casa-Paris qui a, pendant longtemps, été un des principaux supports de rentabilité, aux côtés, plus récemment, de l’activité vers l’Afrique subsaharienne -depuis 2005, ce sont 100 fréquences qui sont assurées vers 22 marchés en Afrique chaque semaine. Il est toutefois évident que l’incursion des compagnies low cost sur le créneau des vols au départ ou à destination de Casablanca, dans le cadre d’une libéralisation totale, a sérieusement secoué la compagnie. La baisse de la recette unitaire par passager a certes été contenue, en 2009, à 12%, soit moins que la moyenne mondiale. Pour autant, accompagnée d’une baisse de trafic de 4%, elle se traduit par un manque à gagner de quelque 4 milliards de DH de chiffre d’affaires. Rapporté à celui de 2007-2008, ce dernier baisserait d’un tiers au titre de l’exercice courant. Aux charges exceptionnelles, s’ajouterait donc un très probable déficit d’exploitation qui ramènerait le déficit net de la RAM aux environs du milliard de DH, si ce n’est plus.
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