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Nachid Bradai: L’artiste en Algérie est moins que rien

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  • Nachid Bradai: L’artiste en Algérie est moins que rien

    « Tout est dans le mot rentabilité, cela est-il rentable, demande-t-on à chaque coin de rue. La réponse est négative. Aucune pensée, aucune poésie dignes de ce nom n’ont été rentables, ne serait-ce qu’une fois. Au contraire, elles ont toujours basculé dans le déficit ». Georges Steiner

    Il faut sauvegarder le patrimoine en créant un laboratoire de recherche musicale. La touchia intitulée Bashraf lil Malika, dédiée par Nachid Bradai à la reine Elisabeth en visite à Alger en 1980, a suscité la reconnaissance de celle-ci. Nachid Bradai est le premier à faire accéder une femme dans un orchestre de chambre, en l’occurrence, la chanteuse Nassima.

    Nachid. Son prénom sonne comme une invite à aller savourer un peu de musique, de cette musique qui rend la cruauté délicieuse. Nachid Bradai en est passionné à tel point qu’il lui consacre tout son temps. « Elle circule dans mes veines », dit-il en guise de préambule. Dès l’âge de 7 ans, il est élève de l’Ecole des beaux arts, puis au Conservatoire d’Alger. Son instrument favori et qui ne le quitte jamais est le violon dont il devient un virtuose après avoir décroché le premier prix à l’unanimité au Conservatoire d’Alger. Né le 16 février 1937 à Alger, Nachid a fait sa scolarité à la Corderie au Ruisseau et au lycée technique du même quartier, où il décroche son bac : « J’ai fait deux ans à la fac en lettres françaises, mais j’ai dû quitter pour aller exercer et éviter le service militaire. J’ai choisi d’être instituteur. »

    Nachid Bradai enseignera à la fin des années 1950 à la cité Nador, à Fontaine Fraîche, à Bouarfa (Blida). Ses compétences en musique lui permettront d’enseigner cette matière au lycée Abane Ramdane d’Alger durant de longues années. Nachid va parfaire sa formation en musique universelle en France puis en Italie de 1968 à 1972. « Les célèbres Verdi, Bach, Chopin, Mozart n’ont aucun secret pour lui », fait savoir le musicographe Abdelkader Bendamèche. En 1965, il est professeur de violon au conservatoire d’Alger, dirigé alors par Mahiedine Bachtarzi. En 1971, il est chef d’orchestre au Théâtre national avec Boudjemia Merzak, « un véritable maestro disparu prématurément qui a beaucoup contribué à l’éclosion de la musique algérienne. Après 8 ans de bons et loyaux services au TNA, j’ai été inexplicablement limogé, ce qui m’a beaucoup affecté. Je venais d’atteindre ma vitesse de croisière et j’avais des projets plein la tête. Malheureusement, marginalisé, j’ai dû subir la mort dans l’âme des années d’errance et de déception qui ont jalonné une douloureuse traversée du désert ».

    Injustement injecté


    Bien qu’en dehors du système duquel il a été injustement éjecté, Nachid se met à la recherche pour percer les secrets de la musique afin, dit-il « de dépoussiérer ce riche patrimoine culturel en jachère. » C’est ainsi que sa première expérience en 1985 lui vaut d’étrenner la nouba zidane, interprétée avec maestria par la chanteuse Nassima Chabane de Blida. Nachid en garde un souvenir impérissable duquel transperce une fierté non dissimulée. « Ce fut la première fois dans l’histoire qu’une interprète femme réalise une nouba entière ». Notre compositeur récidivera plus tard avec la touchia ghrib et la nouba rasddil, interprétées par Mokdad Zerrouk et Abdelkader Rezkallah. Son éviction de la radio où il exerçait l’a énormément marqué. « Lorsqu’il y avait des missions à l’étranger, les préposés à la culture entre guillemets se suffisaient de bandes magnétiques qu’ils emmenaient avec eux, sans l’orchestre, sans musiciens. Par souci d’économie ? J’en doute. Il faut chercher les raisons ailleurs. Toujours est-il que la décadence de la musique a débuté à cette période. Ça a commencé à se dégrader petit à petit. J’ai été le dernier chef d’orchestre. Il n’y en a pas eu par la suite. La musique est un langage et je crois que ceux qui nous dirigeaient à l’époque ne comprenaient pas un traître mot à ce langage », avoue-t-il mi-moqueur, mi-désabusé.

    Les rares cheveux ont blanchi, le visage a gagné en gravité. S’il fallait résumer son parcours en trois ou quatre temps forts d’une vie qui n’en a pas manqué, on pourrait retenir ces faits d’armes : Il a été l’un des premiers chefs d’orchestre de l’Algérie indépendante, celui qui a encouragé l’émergence de la gent féminine dans la musique andalouse, à laquelle il a donné une lecture. Pour l’anecdote, il a été honoré par la reine d’Angleterre à qui il a dédié une partition écrite par ses soins. Avec un palmarès aussi élogieux et fourni, le musicien qu’il est aurait pu dormir sur ses lauriers, avec le sentiment du devoir accompli, la conscience sereine. Mais l’homme qui nous ouvre sa porte n’apparaît pas imprégné de cette confiance en soi, quelque peu désabusé par les déboires subis, du fait d’une administration froide et impersonnelle qui a préféré le vouer à l’oubli sans lui donner la contrepartie qu’elle lui doit. D’ailleurs, tout au long de la conversation, notre interlocuteur n’hésite pas à balancer quelques piques à l’endroit de ceux qui n’ont aucune considération pour la culture, méprisant ceux qui la font. « L’artiste chez nous est moins que rien. Il est réduit à se soumettre à des bureaucrates sans talent qui n’apprécient ni l’art ni la musique ».

    L’artiste chez nous est moins que rien

    Nachid Bradai manie l’autodérision avec amusement. Même lorsqu’il énonce des propos graves, son visage arbore toujours le sourire. Est-ce la politesse du désespoir, ou est-ce une manière de conjurer le sort ? Nachid aurait pu épouser une carrière réglée de fonctionnaire et de poursuivre son aventure d’instituteur. Mais il a décidé d’entrer dans l’univers de la musique qui, du reste, ne l’a jamais quitté. Son premier maître Abderahmane Belhocine (1913-1986) l’initia à la musique. Il côtoiera les plus grands comme son ami le regretté Boudjemia Merzak, qui le premier, lui donna la direction de l’orchestre. Il garde de merveilleux souvenirs avec les monuments de la chanson algérienne comme Khelifi Ahmed, Lamari, Boudjemaâ El Ankis, Guerouabi, Yahiatène et les meilleurs instrumentistes comme Mokhtari (violon) Hsisen (naï), et Chellali Ali (luth). Nachid avec ses excès et ses faiblesses est consterné par l’état de la musique classique « moribonde », selon lui. « Notre musique classique, j’ai le regret de le dire, et même si cela offusque, se meurt, elle est gagnée par la médiocrité et le trabendisme. Ce n’est pas demain qu’on sortira de l’ornière », pronostique-t-il.

    La musique a ses règles

    L’homme qui estima que la rythmique de cette musique savante enchanteresse était cassée dans sa métrique introduisit, grâce à une recherche fine, l’écriture mathématique, contrairement à ceux qui ont opté pour la transcription, s’appuyant sur la transmission orale. C’est un peu le conflit entre les modernistes et les traditionalistes. Nachid n’y voit pas un affrontement à ce niveau, mais stigmatise la position. « Des passéistes, qui ne savent pas lire les partitions, campent sur leurs positions figées. Peut-on leur en vouloir parce qu’ils ne possèdent pas le savoir ? Toujours est-il qu’ils doivent se soumettre au progrès ou disparaître », tranche-t-il. « Les grands maîtres comme Dali, Fakhardji, El Anka, Belhocine, Benachour ont disparu. Le vide n’a pas été comblé. Il n’y a presque pas de relève. Et rien n’indique que les choses vont évoluer. L’Etat ne semble pas préoccupé par la sauvegarde de notre patrimoine », constate-t-il.

    En 1962, il y avait 7orchestres nationaux. En 2009, il n’y en a pas. C’est vous dire ! Si la musique andalouse est encore d’actualité, c’est grâce aux associations qui se démènent comme elles peuvent pour activer. Quant au statut de l’artiste, c’est comme l’Arlésienne. Je doute qu’il voit le jour face à la frilosité des pouvoirs publics. « De son vivant, il quémandait une datte, à sa mort on lui offre un régime de dattes », dit le proverbe, moi j’ajoute que si, vivant on lui donne une datte, il en ferait une palmeraie. L’artiste est délaissé et livré à lui-même. Comment voulez-vous qu’il s’investisse dans la création engluée dans la précarité ? « A la radio, on était considérés comme des tableaux. J’avais dit à l’époque que les cloches comme dans les églises sont en haut. Et que dans l’art, le tableau vaut beaucoup plus cher que le cadre », ironise-t-il. En 2006, se souvient-il, « j’ai travaillé avec Cherif Kheddam à la coupole. Il y avait 43 musiciens, on a exécuté 38 chansons devant une salle comble, jusqu’à ce jour, j’attends toujours d’être payé. » Une voix lointaine et ironique lui aurait susurré à l’oreille : Dieu te payera un jour…

    Parcours

    Issu d’une vieille famille algéroise, Nachid Bradaï né le 16 février 1937 a toujours eu un penchant poussé pour la musique. Sans doute son milieu familial y est-il pour beaucoup. Son père Mahmoud, négociant en tabacs, amateur de musique andalouse, l’a peut-être influencé. Alger, Nice, Monté Carlo, l’Italie ont été des escales où il a affermi une formation solide auprès de maestros mondialement connus, comme Svaroski, chef d’orchestre de l’opéra de Vienne où encore Igor Markevitch, un virtuose. Nachid, qui milite pour une musique structurée selon des règles biens établies, a vu hélas son parcours contrarié. Mis à la retraite à un moment où il pouvait tellement donner, Nachid a vu sa carrière gâchée. Il vit d’une misérable retraite mais ce qui le chagrine le plus, c’est la symphonie inachevée… Nachid est père de 4 enfants.


    Par El Watan
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