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Les algériens touchés par un trouble du cycle

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    Les Algériens touchés par un trouble du cycle
    par Kamel Daoud
    Il y a le temps et il y a l'es-pace: les deux grandes marqueurs de la conscience humaine. Tout bon psychologue vous dira qu'il ne faut pas trop y toucher et même sur ordonnance. Ni par soi-même (drogues et excès de prières) ni par le biais des autres (hystérie collective, match de foot contre l'Egypte ou radiation par exposition à l'ENV). Et pourtant c'est ce qui nous arrive: on n'arrête pas de manipuler chez nous le temps et l'espace. Pour l'espace, un nouveau découpage territorial prépare un découpage pour lequel personne n'est consulté. Dans quelques mois, les Algériens, salivant dans un univers autiste, les cheveux rares et les iris dilatés, ne sauront plus faire la différence entre un douar, une wilaya, une grande ville et une commune moyenne. Vous pouvez dormir dans l'une et vous réveiller dans l'autre le temps d'une publication dans un journal officiel.

    Administrativement instables et poussés à l'errance, vous allez longtemps errer entre les administrations, les annexes, les délocalisations et les décentralisations: juridiquement vous dépendrez d'un découpage, administrativement d'un autre et du point de vue de Sonelgaz ou d'Algérie Télécom ou de votre commissariat, d'un troisième découpage. Il vous faudra chaque matin recouper les découpages (et ce n'est pas un jeu de mot) pour vous situer sans l'aide du satellite ou du cri de votre mère qui vous cherche. Le morcellement territorial ira aggraver votre sensation de déracinement et de morcellement territorial/identitaire: vous ne saurez plus où vous mettez les pieds à chaque pas: chez vous ou dans une autre wilaya qui est née pendant que vous dormiez sur l'oreiller de l'indépendance, accroché à votre exemplaire du drapeau. A la fin, vous risquerez de mourir au souvenir d'un faux proverbe du chroniqueur: comment avoir les pieds sur terre, lorsqu'on se rappelle que la terre n'a les pieds sur rien dans le vide du cosmos ?

    Mais cela n'est pas fini, on trouble aussi votre temps: aujourd'hui, depuis trois mois vous ne savez plus si cela a commencé il y a trois mois ou un peu moins, comme les gens de la caverne, mais sans leur chien et leurs pièces de monnaie: la question de chacun aujourd'hui est «quel est votre week-end à vous ?». La réponse, dans cet univers sans rouages ni pendules fiables, dépendra de votre travail, de votre salaire, de votre situation dans le temps et de votre envie de compter. Si vous êtes journaliste, vous ne travaillez pas le jeudi mais vous travaillez le vendredi et le samedi. Si vous êtes enseignant, vous travaillez le samedi éventuellement. Si vous ne travaillez pas, vous ne savez plus si tous les jours sont un vendredi sans fin ou un samedi sans début.

    Quelle est donc la situation exacte de chaque Algérien si on ne peut pas se situer par rapport au temps ni par rapport à l'espace ? Quelle dimension physique nous reste-t-il ? Aucune selon les physiciens et les mathématiciens. Il ne reste qu'une seule, selon les théologiens: la dimension de l'éternité. C'est vers cet axe sans fin ni épaisseur que se tournent beaucoup d'Algériens. Le temps est trop relatif et l'espace trop instable, prions donc tous et tous ensemble pour nous en sortir vivants après la mort. C'est ce qui explique un peu pourquoi on fait pousser les barbes et pas le blé et pourquoi la formule «une mosquée par quartier» a réussi mieux que celle de «un PC par famille».

    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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