Réflexion collatérale sur les émeutes de Diar Shems à Alger : comment soulever ce peuple ? Réponse du régime : par Bus. Réponse d'un ancien de l'époque coloniale : par le bâton (qui disperse) ou le tambour (qui rameute). Réponse des islamistes : par la promesse d'un pays juste et équitable, mais situé derrière le ciel et pas avant. La question du «comment soulever ce peuple ?» soulève souvent l'enthousiasme dubitatif. Il suffit d'une émeute à l'échelle d'une wilaya pour qu'une partie de l'élite commence à en rêver et que l'autre partie en craigne la menace. Pour les émeutes de Diar Shems, c'est encore plus fascinant car cela se passe à Alger, dans la capitale. Cela rappelle quelques bons ou mauvais souvenirs : les émeutes d'Octobre, la marche des Archs... etc. Pourtant, on aura compris : même à Alger, l'émeute algérienne n'a plus rien de capitale. C'est encore une fois une histoire de logements, de terrains, de liste, d'emploi. «Lamentablement» banale au yeux du révolutionnaire en mode d'attente, malgré l'effet de loupe fabriqué par les attentions médiatiques. D'où la question redondante : «comment soulever ce peuple une fois pour toutes en lui faisant prendre la rue et pas la montagne, le palais et pas le bus ?». Réponse : c'est une question bête.
Le régime s'enfonce de plus en plus dans son rôle de «donneur universel», provoquant un peuple de plus en plus reclus dans son rôle de «demandeur national». Dans cette chaîne alimentaire binôme, il n'y a pas de place pour une révolution par les idées, les partis d'opposition, le gandhisme ou l'appel des élites et des livres. Beaucoup d'intellectuels algériens ont compris qu'on ne peut pas soulever ce peuple sur son dos. Un parti d'opposition machiavélique l'aurait facilement compris : pour provoquer une révolution populaire laïque, sans recours au «Âlayh'a na'hya oua Âly'ha namoute», il faut construire cent logements dans une commune qui en demande 1.000, élire un faux maire, demander à tous de déposer leurs dossiers, puis afficher une liste de 50 locaux avec 50 noms inattendus. Reste qu'un parti capable de faire ça, n'est plus un parti, mais ce que les politologues autochtones appellent «un clan». Ce n'est plus de la révolution, mais de l'opposition interne, de la «tension», de la manipulation. On est toujours dans «le système», pas hors de lui ni contre lui. Les émeutes de Diar Shems ne sont plus amples ni plus importantes que celle de Aïna-NASA depuis dix ans. La seule différence, c'est qu'elles ont lieu à Alger pour décor et que ce décor a son coefficient sur l'échelle de la visibilité. Pourront-elles provoquer des effets d'entraînement ?
Très peu probable : l'Etat centralisateur a réussi à créer un peuple décentralisé, morcelé et sans relais horizontaux autre que ceux de la presse privée. Le régime est national mais le peuple ne l'est plus. Il est voyeur de lui-même et tous les révolutionnaires de manuels savent qu'on ne fait pas une révolution avec les yeux ni un coup d'Etat avec un peuple qui se regarde comme s'il n'était pas là où il est réellement. C'est triste et décevant mais c'est ainsi : la libido collective n'a pas encore été sublimée en idée de révolution. Elle veut l'assouvissement, pas le changement.
par Kamel Daoud
Le Quotidien D'Oran
Le régime s'enfonce de plus en plus dans son rôle de «donneur universel», provoquant un peuple de plus en plus reclus dans son rôle de «demandeur national». Dans cette chaîne alimentaire binôme, il n'y a pas de place pour une révolution par les idées, les partis d'opposition, le gandhisme ou l'appel des élites et des livres. Beaucoup d'intellectuels algériens ont compris qu'on ne peut pas soulever ce peuple sur son dos. Un parti d'opposition machiavélique l'aurait facilement compris : pour provoquer une révolution populaire laïque, sans recours au «Âlayh'a na'hya oua Âly'ha namoute», il faut construire cent logements dans une commune qui en demande 1.000, élire un faux maire, demander à tous de déposer leurs dossiers, puis afficher une liste de 50 locaux avec 50 noms inattendus. Reste qu'un parti capable de faire ça, n'est plus un parti, mais ce que les politologues autochtones appellent «un clan». Ce n'est plus de la révolution, mais de l'opposition interne, de la «tension», de la manipulation. On est toujours dans «le système», pas hors de lui ni contre lui. Les émeutes de Diar Shems ne sont plus amples ni plus importantes que celle de Aïna-NASA depuis dix ans. La seule différence, c'est qu'elles ont lieu à Alger pour décor et que ce décor a son coefficient sur l'échelle de la visibilité. Pourront-elles provoquer des effets d'entraînement ?
Très peu probable : l'Etat centralisateur a réussi à créer un peuple décentralisé, morcelé et sans relais horizontaux autre que ceux de la presse privée. Le régime est national mais le peuple ne l'est plus. Il est voyeur de lui-même et tous les révolutionnaires de manuels savent qu'on ne fait pas une révolution avec les yeux ni un coup d'Etat avec un peuple qui se regarde comme s'il n'était pas là où il est réellement. C'est triste et décevant mais c'est ainsi : la libido collective n'a pas encore été sublimée en idée de révolution. Elle veut l'assouvissement, pas le changement.
par Kamel Daoud
Le Quotidien D'Oran
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