Au huitième étage d'un immeuble moderne, à deux pas du centre-ville de Casablanca, les locaux d'Akbar Al Youm sont sous scellés depuis le 28 septembre. Et, depuis, des dizaines de policiers campent à l'entrée du journal. "Ils sont arrivés sans mandat, et ils ont fait évacuer tout le monde très vite, sans la moindre explication. C'est du jamais-vu depuis cinquante ans au Maroc", raconte Taoufik Bouachrine, le rédacteur en chef d'un journal devenu, huit mois après sa création, le 3e quotidien en langue arabe du royaume.
L'explication est venue plus tard. Le journal, qui compte près de 70 salariés, est poursuivi pour avoir publié dans son édition du 26-27 septembre un dessin inspiré par le mariage de Moulay Ismaïl, un cousin du roi Mohammed VI. Figurait en arrière-plan le drapeau du Maroc, dont l'étoile chérifienne à cinq branches, en partie masquée, suggérait, selon le gouvernement, une étoile de David. D'où des accusations d'antisémitisme et une plainte du ministère de l'intérieur à l'encontre du dessinateur, Khalid Gueddar, et de M. Bouachrine, pour "outrage au drapeau national" - délit passible de trois à cinq ans de prison. Le cousin du roi a également porté plainte pour "manquement au respect dû à la famille royale". Malgré les excuses présentées par M. Bouachrine, le prince réclame 3 millions de dirhams (270 000 euros) au titre des dommages et intérêts. L'affaire devait être plaidée vendredi 23 octobre devant le tribunal d'instance de Casablanca.
Si le directeur d'Akbar Al Youm (peu soutenu par la classe politique) pense qu'on veut faire taire un "quotidien indépendant sur le plan éditorial", le dessinateur est convaincu que c'est lui qui est dans le collimateur de la justice. "Mon dessin, dit Khalid Gueddar, n'était ni antisémite ni méchant, mais c'est la première fois qu'un journal osait publier la caricature d'un membre de la famille royale. C'est encore un tabou dans notre pays."
Un autre facteur a sans doute pesé : Khalid Gueddar publie régulièrement sur le site Internet Bakchich une bande dessinée titrée "M6, le roi qui ne voulait plus être roi". Sans être malveillantes, les planches donnent du monarque une image éloignée de celle véhiculée par le Palais royal.
Le quotidien arabophone n'est pas le seul dans le collimateur de la justice. Le 16 octobre, un huissier s'est présenté au siège du Journal hebdo (le magazine phare de la fin des années Hassan II), et, fort d'un arrêt de la Cour suprême condamnant le journal à verser 250 000 euros, a annoncé la saisie de ses comptes. La plainte à l'origine de la condamnation émane du directeur d'un centre d'études belge. Claude Moniquet, en 2005, s'était estimé diffamé après la publication d'articles mettant en cause son impartialité sur le dossier du Sahara occidental. "Le procureur du roi, et donc le ministère de la justice, se cachent derrière le plaignant. Le gouvernement veut notre mort", affirme Aboubakeur Jamaï, l'un des fondateurs du Journal.
Dernière condamnation récente, celle qui a frappé le directeur du quotidien Al Michaal. Pour avoir commenté les ennuis de santé du souverain - rendus publics par le Palais royal -, Driss Chahtane a été condamné, le 15 octobre, à une peine d'une année de prison.
Début juin, le ministre de la communication, Khalid Naciri, avait dénoncé dans le quotidien Le Matin, une "presse nihiliste (qui) réclame le droit de bousculer toutes les sacralités". "Cela ne peut continuer", avait-il prévenu.
Jean-Pierre Tuquoi
LE MONDE | 22.10.09
L'explication est venue plus tard. Le journal, qui compte près de 70 salariés, est poursuivi pour avoir publié dans son édition du 26-27 septembre un dessin inspiré par le mariage de Moulay Ismaïl, un cousin du roi Mohammed VI. Figurait en arrière-plan le drapeau du Maroc, dont l'étoile chérifienne à cinq branches, en partie masquée, suggérait, selon le gouvernement, une étoile de David. D'où des accusations d'antisémitisme et une plainte du ministère de l'intérieur à l'encontre du dessinateur, Khalid Gueddar, et de M. Bouachrine, pour "outrage au drapeau national" - délit passible de trois à cinq ans de prison. Le cousin du roi a également porté plainte pour "manquement au respect dû à la famille royale". Malgré les excuses présentées par M. Bouachrine, le prince réclame 3 millions de dirhams (270 000 euros) au titre des dommages et intérêts. L'affaire devait être plaidée vendredi 23 octobre devant le tribunal d'instance de Casablanca.
Si le directeur d'Akbar Al Youm (peu soutenu par la classe politique) pense qu'on veut faire taire un "quotidien indépendant sur le plan éditorial", le dessinateur est convaincu que c'est lui qui est dans le collimateur de la justice. "Mon dessin, dit Khalid Gueddar, n'était ni antisémite ni méchant, mais c'est la première fois qu'un journal osait publier la caricature d'un membre de la famille royale. C'est encore un tabou dans notre pays."
Un autre facteur a sans doute pesé : Khalid Gueddar publie régulièrement sur le site Internet Bakchich une bande dessinée titrée "M6, le roi qui ne voulait plus être roi". Sans être malveillantes, les planches donnent du monarque une image éloignée de celle véhiculée par le Palais royal.
Le quotidien arabophone n'est pas le seul dans le collimateur de la justice. Le 16 octobre, un huissier s'est présenté au siège du Journal hebdo (le magazine phare de la fin des années Hassan II), et, fort d'un arrêt de la Cour suprême condamnant le journal à verser 250 000 euros, a annoncé la saisie de ses comptes. La plainte à l'origine de la condamnation émane du directeur d'un centre d'études belge. Claude Moniquet, en 2005, s'était estimé diffamé après la publication d'articles mettant en cause son impartialité sur le dossier du Sahara occidental. "Le procureur du roi, et donc le ministère de la justice, se cachent derrière le plaignant. Le gouvernement veut notre mort", affirme Aboubakeur Jamaï, l'un des fondateurs du Journal.
Dernière condamnation récente, celle qui a frappé le directeur du quotidien Al Michaal. Pour avoir commenté les ennuis de santé du souverain - rendus publics par le Palais royal -, Driss Chahtane a été condamné, le 15 octobre, à une peine d'une année de prison.
Début juin, le ministre de la communication, Khalid Naciri, avait dénoncé dans le quotidien Le Matin, une "presse nihiliste (qui) réclame le droit de bousculer toutes les sacralités". "Cela ne peut continuer", avait-il prévenu.
Jean-Pierre Tuquoi
LE MONDE | 22.10.09
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