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Penser le Coran, de Mahmoud Hussein

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  • Penser le Coran, de Mahmoud Hussein

    Mahmoud Hussein est le pseudonyme commun de Bahgat Elnadi et Adel Rifaât politologues français d’origine égyptienne, ils ont publié ensemble de nombreux ouvrages : La lutte des classes en Egypte Maspero, 1969) , Versant sud de la liberté (la Découverte, 1989) , Alsira, le Prophète de l’Islam raconté par ses compagnons (Grasset, deux tomes, 2005 et 2007).

    Dans cette dernière publication intitulée Penser le Coran, les deux politologues tentent de décrypter le Coran en se basant sur l’histoire de la Révélation, hadiths et autres versets coraniques. Une lecture simple à la portée de tous.

    «L'Arabie au début du VIIe siècle est une société de tradition orale. La Mecque à cette époque n’aurait pas compté plus de vingt personnes sachant lire et écrire. Le Prophète n’ayant lui-même laissé aucun écrit, les diverses circonstances dans lesquelles il a eu la révélation des versets du Coran ne nous sont connues que par les récits de ses contemporains. Ces derniers rapportant alors aussi bien les propos tenus par le Prophète que les évènements dont ils furent eux-mêmes témoins», p. 45.

    Dans le chapitre intitulé «Dieu veille sur la communauté musulmane », les auteurs écrivent : «A Yathrib, c’est au jour le jour que les croyants apprennent à vivre selon l’Islam. A mesure qu’ils affrontent des problèmes qu’ils ne peuvent plus résoudre selon les coutumes ancestrales, mais ne savent pas encore traiter en tant que musulmans, ils s’adressent au Prophète. Ils lui soumettent toutes sortes de questions, même les plus intimes. A ces questions, il choisit, selon les cas, de répondre lui-même ou d’attendre la réponse de Dieu.» p. 81.

    Par Le soir

    Penser le Coran, de Mahmoud Hussein, éditions Sedia, 2009, 149 p.

  • #2
    J'adore les compte-rendus de lecture du Soir d'Algérie qui se résume à deux citations....Pour ceux qui l'ont lu, on pourra en discuter.

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    • #3
      Envoyé par Dandy
      les compte-rendus de lecture du Soir d'Algérie qui se résume à deux citations
      Oui, c'est aussi ce que je me dis mais entre deux citations et le néant au moins un temps le livre sort de l'obscurité et qui sait suscitera une envie d'aller plus loin.

      Commentaire


      • #4
        Bonsoir Morjane,

        Pour être honnête avec toi, je ne crois pas que le journaliste ai lu le livre. J'ai découvert l'ouvrage, il y a quelques mois grâce à ces deux compte-rendus (quand on sonde la différence qualitative avec l'article du soir, on a envie de pleurer sur l'état de la presse nationale)



        Le Coran, un texte vivant

        Peut-on partir en quête d’un sens premier du Coran en s’abstenant de prendre en compte les éléments postérieurs qui en ont surchargé le sens ? Alors que les tenants de la Tradition interdisent toute réflexion sur ce sujet, il est bon de rappeler que le Coran est un texte saturé d’histoire, mais aussi immergé dans le temps et les sociétés où vivent les fidèles.


        Les auteurs [1] de Penser le Coran abordent une tâche immense : depuis que la parole considérée comme divine a été rassemblée dans une vulgate devenue l’ultime référence pour toute personne se déclarant musulmane, cette question n’a cessé de faire couler de l’encre. Est-il possible, aujourd’hui, de pénétrer davantage le corpus coranique pour mieux comprendre ce qui a été dit à l’origine et non ce qu’on lui a fait dire depuis ? Les auteurs proposent des clés et des pistes pour partir en quête de la référence immédiate, sans faire appel aux éléments postérieurs qui ont surchargé ou extrapolé le sens.

        Leur intérêt pour ce sujet est né lors d’une tournée en Europe et dans des pays arabes pour présenter leurs précédents ouvrages sur la vie du Prophète. À cette occasion, ils ont constaté avec un profond dépit qu’ils devaient faire face à une connaissance très lacunaire et sélective du Coran chez les musulmans pratiquants. Ils s’attendaient à être assaillis de questions sur les deux thématiques de leurs ouvrages : la figure du Prophète rendu à son humanité et la révélation du Coran rendu à son contexte. Tel ne fut pas le cas.

        Rendons hommage aux auteurs pour le bon sentiment qui les anime afin que s’estompe la déchirure que vit le musulman, en son for intérieur, « entre la soumission à l’argument d’autorité et l’exercice de la réflexion personnelle » (p. 20). Leur conclusion est un hymne à un islam idéal tel que le vivaient les compagnons du Prophète au plus profond d’eux-mêmes, à travers les versets du Coran dont ils intériorisaient les significations (p. 187). Preuves à l’appui, leur but tend à démontrer que le texte coranique n’a pas été un texte figé, comme le prétendent les littéralistes, étant donné que sa sémantique évolue en fonction de son contexte.

        Un titre alléchant, une réalisation timide

        Les auteurs montrent, à juste titre, que l’islam des débuts était en interaction totale avec le contexte où il a vu le jour. À partir de ce constat, ils expliquent que les déchirures et les errements ne découlent pas du Coran, mais qu’ils sont le fait de l’a priori littéraliste (p. 21). Le strict respect de la lettre fonde, pour eux, le droit d’occulter la temporalité du texte coranique. C’est une doctrine qui a pris progressivement forme après la mort du Prophète (ou peut-être un peu plus tard) et qui, depuis, n’a cessé de faire des ravages. Elle repose sur un raisonnement imparable en surface : le Coran est la parole de Dieu, il n’est donc pas tributaire du temps ; ses versets sont formulés de façon définitive, ils sont ainsi à prendre au pied de la lettre. Or, d’après les auteurs, une lecture attentive de la parole dite divine et sans a priori laisse apparaître que la temporalité et l’intemporalité sont intimement liées à l’intérieur du texte coranique.

        Sans contestation de l’origine divine du message coranique et sans faire allusion aux travaux récents dans le domaine de la recherche sur le Coran [2], ils concluent que le croyant musulman qui vit cette parole en d’autres lieux et à d’autres époques doit faire un effort d’interprétation pour l’accorder aux conditions changeantes de la vie (p. 22). Par une analyse trop rapide, ils réduisent une histoire complexe à deux lectures du Coran qui sont diamétralement opposées : une qui colle au texte et une autre qui a recours à la raison.

        Ils notent, avec force, que cette opposition des deux visions sur l’essence du texte coranique et de son interprétation a donné lieu à des controverses, dont on ne soupçonne même plus aujourd’hui la fécondité, précisant que nous ne sommes plus en mesure de mener de tels débats sans affronter une nouvelle mihna (épreuve) et sans qu’une fatwâ soit prononcée [3]. Les tenants de la Tradition ont mis fin, presque de façon définitive, à toute réflexion allant à l’encontre de l’idée que la substance de Dieu est indissociable d’une parole mise par écrit. Le Coran apparaît ainsi comme un texte qui doit conforter une foi et non une intelligence parce que le sens initial aurait conservé son évidence (p. 27).

        Nous voudrions nous démarquer des auteurs sur ce point précis. Ce qu’ils appellent « sens premier » n’est en fait que le sens littéral tel qu’il a été transmis par une tradition majoritaire. Le véritable « sens premier » est en amont de ce qui l’a submergé et occulté, de cette stratification en forme de bouclier, de toutes les exégèses et autres interprétations relevant d’une intertextualité dont l’horizon d’attente est le texte coranique. Les premiers auditeurs n’avaient nullement besoin d’intermédiaire pour expliciter le sens de la parole énoncée.

        Exégèse et vérité historique

        Il semblerait que la nécessité d’un commentaire se soit imposée à un moment où le texte coranique a été dépossédé de son contexte d’énonciation, à cause de l’éloignement de son époque de révélation et de la conversion de populations. L’exégèse est née, ainsi, d’une double nécessité : faire une explication de texte pour les nouveaux convertis et installer une historicité du texte cohérente qui collerait aux événements que l’on s’imaginait être réellement survenus, d’où l’invention de « sciences » comme l’exégèse (Tafsîr) et les circonstances de la révélation (Asbâb al-nuzûl)… qui ont nourri la théologie, l’historiographie et le droit musulman encore en gestation.

        Les auteurs insistent sur le fait que le Coran retrace des événements réellement vécus. L’analyse d’un récit ou d’un terme, de ce point de vue, ne peut être dissociée du cadre qui lui est propre ; il faut « faire l’effort de le comprendre en le rapportant au contexte de son avènement » (p. 59). Le texte coranique répond constamment et de façon explicite à la situation historique de Muhammad. Les auteurs en donnent de nombreux exemples, que ce soit dans le chapitre consacré aux débuts de la révélation (p. 39-49) ou dans celui consacré à la réponse de Dieu aux arguments des polythéistes (p. 83-87), des juifs (p. 89-101) et des chrétiens (p. 103-106).
        Dernière modification par Dandy, 31 octobre 2009, 13h59.

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        • #5
          La suite du compte-rendu
          Or il n’existe de chronologie fiable ni du texte coranique, ni des événements. La seule référence en notre possession se base sur des textes tardifs. Les auteurs sont conscients de la difficulté : le corpus est constitué d’un ensemble de sourates dont la révélation a duré une vingtaine d’années de façon discontinue. L’élaboration d’une chronologie de cet ensemble ne s’est imposée qu’après la mise en vulgate, donnant naissance à la littérature des Asbâb an-nuzûl [4]visant à situer les différents versets dans un cadre historicisé. Les auteurs jugent que cet instrument est indispensable à celui qui s’efforce, aujourd’hui, d’aborder le texte coranique (p. 31). Ils ont partiellement raison lorsqu’ils déclarent que les ouvrages des traditionnistes et ceux des chroniqueurs « ont l’immense mérite d’exister, puisqu’ils sont seuls à nous relier de quelque manière que ce soit à l’époque des commencements de l’islam, […] quitte à exiger du chercheur en histoire un patient travail de recoupement, de comparaison, d’approximation » (p. 62). Malgré ces précautions, ils se laissent piéger par ce système des « circonstances de la révélation ». Ce système a fini par s’imposer comme cadre spatio-temporel normalisé, comme le remarquait à juste titre De Prémare [5] ; ce qui va tout à fait à l’inverse du cadre dans lequel devrait s’inscrire la démarche qui essaie de « redécouvrir le passé par le passé et non le passé par ou pour le futur » [6].

          Désacraliser le passé

          Lorsqu’on analyse de plus près ces listes chronologiques premières, on constate que les écoles anciennes n’arrivaient à s’accorder ni sur l’ordre chronologique exact des sourates, ni sur le sens des versets : la cascade de commentaires illustre l’absence de consensus. Le chantier de reconstitution est immense [7]. Quand les auteurs déclarent que « c’était une évidence pour tous les commentateurs des quatre premiers siècles », il s’agit donc d’un contresens historique. La littérature des Asbâb an-nuzûl doit être manipulée avec davantage de prudence. Ces textes visaient à se constituer en intermédiaire servant de commentaire aux dits coraniques… deux siècles après l’émergence de l’islam. Il était donc tout à fait naturel, selon Chelhod, que leurs rédacteurs s’adonnent au prosélytisme et que, à côté des événements historiques, on trouve des ajouts postérieurs relevant de l’imagination individuelle ou collective, dictés à la fois par le religieux et le politique [8].

          Les auteurs ont raison d’employer ces sources pour désacraliser un passé qui ne cesse de peser sur les musulmans, pour les amener à une adaptation des enseignements dans leur milieu. Mais ils ne peuvent pas considérer ces mêmes sources comme des ouvrages d’histoire au sens actuel. À juste titre, ils constatent que la plupart des musulmans ne s’aventureront pas dans une recherche de sens, encore moins dans une interprétation. Comment peuvent-ils y parvenir, alors que la plupart des chercheurs s’accordent à dire que cela nécessite une remise à plat de tous les acquis concernant l’histoire de cette période ? La pensée musulmane contemporaine fonctionne à huis clos. Puisque le littéralisme s’impose, il est urgent de changer le système éducatif dans la plupart des pays arabes mais aussi musulmans, où l’apprentissage est déficient et où il est hors de question de porter un regard critique sur les textes sacrés. L’enseignement est fondé sur un apprentissage passif, de la maternelle jusqu’aux hautes sphères de l’université. Or comment une personne, guidée par un référent de sa naissance jusqu’à la tombe [9], peut-elle, d’un coup de baguette magique, acquérir la capacité d’une réflexion personnelle ?

          Le constat émis par les auteurs n’est pas sans intérêt. Il est évident que tout bon musulman doit être en mesure de comprendre le texte qu’il est amené à répéter cinq fois par jour. Mais, étant donné qu’on l’a toujours fait à sa place, en a-t-il les moyens ? Les lui donne-t-on ? Il me semble que les réponses sont à chercher à ce niveau. Le moment le plus fort de l’ouvrage est celui où les auteurs s’appliquent à montrer que les musulmans des premiers siècles de l’islam avaient la liberté de poser des questions franches, qu’ils n’hésitaient pas à décrier tout ce qui pouvait leur sembler en désaccord avec leur vision des choses. Mais il faut rappeler que cela ne fut possible qu’avant que le pouvoir central – et à travers lui la Tradition – prenne en charge la restructuration de ce qui allait devenir le modèle à suivre pour tout musulman.

          L’ouvrage peut sembler indispensable par les temps qui courent. Le dessein annoncé par les auteurs est de faire appel à l’intelligence des lecteurs musulmans en les incitant à poser des questions qu’ils n’ont pas l’habitude de (se) poser et à oser aborder le texte coranique sous un autre angle que celui qui leur a toujours été imposé. On ne peut que les en féliciter. Mais l’ouvrage a ses limites. Conférer un caractère historique à la présence de Dieu, comme l’ont fait les auteurs, dans un cadre spatio-temporel est un défi d’une tout autre ampleur. Il s’agit d’un Dieu que l’historiographie et la Tradition ont rendu présent afin de légitimer les événements. Il y a deux moments à distinguer. Le corpus exégétique est postérieur aux événements de la « révélation », il est là pour cadrer ou recadrer, au moment où les tenants de la Tradition voient le discours théologique leur échapper.

          par Abdellatif Idrissi [05-03-2009]

          Notes
          [1] Comme l’indique l’éditeur en quatrième de couverture, le nom de Mahmoud Hussein est le pseudonyme commun de Bahgat Elnadi et Adel Rifaat, deux politologues français d’origine égyptienne, auteurs, entre autres, d’un ouvrage sur la biographie du Prophète intitulé Al-Sira, le Prophète de l’islam raconté par ses compagnons, paru en deux tomes en 2005 et 2007 chez le même éditeur.

          [2] Ceux de Chabbi, De Prémare, Gilliot, Puin, et Larcher, pour ne citer que ceux-là.

          [3] Voir D. Avon et A. Idrissi, « Du Coran et de la liberté de penser ».

          [4] Al-Wâhidî (mort en 1075) semble être le premier à avoir composé un ouvrage portant ce titre.

          [5] A.-L. de Prémare, Aux origines du Coran, Édition Tétraèdre, 2005, p. 20-21.

          [6] J. Chabbi, Le Coran décrypté. Figures bibliques en Arabie, Paris, Fayard, 2008, p. 42.

          [7] C. Gilliot, « Origine et fixation du texte coranique », Études, décembre 2008, p. 643-652.

          [8] J. Chelhod, Introduction à la sociologie de l’Islam, Paris, Éditions Besson Chantemerle, 1958, p. 4-5.

          [9] Il est extrêmement curieux de croire que l’islam est une religion individuelle et qu’il n’y a pas de hiérarchie spirituelle. Le contrôle interne fonctionne de manière très efficace pour encadrer les musulmans. Témoin ces six personnes arrêtées et condamnées à quatre ans de prison ferme et mille euros d’amende par le tribunal de Biskra, dans le sud de l’Algérie, le 29 septembre 2008, parce qu'elles étaient accusées d'avoir mangé avant la fin du jeûne du Ramadan !
          Dernière modification par Dandy, 31 octobre 2009, 14h00.

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          • #6
            Le deuxième compte-rendu de lecture :

            Mahmoud Hussein, auteur collectif, est le pseudonyme de deux politologues français d’origine égyptienne, Adel Rifaat et Bahgat Elnadi. Déjà bien connus, notamment pour leur ouvrage consacré à la vie du Prophète Muhammad , ils livrent cette année un essai synthétique militant. Penser le Coran annonce d’emblée la couleur avec son bandeau rouge de couverture : "La parole de Dieu contre l’intégrisme" . Mais cette accroche éditoriale ne doit pas masquer la profondeur de ce livre érudit où l’analyse du texte coranique se mélange à l’évocation des grandes étapes du combat du Prophète pour imposer la religion naissante - qui lui fut révélée sur une période de vingt-deux ans entre 610 et 632 de l’ère chrétienne sous la forme de 6236 versets rassemblés ensuite en un volume unique -, son exil de La Mecque à Yathrib-Médine (Hégire) avant la conquête du temple sacré (Ka’ba) de sa ville natale.

            Etonnés par les lacunes et la connaissance étonnement sélective du Coran par les nombreux croyants rencontrés lors de leurs conférences publiques, les deux intellectuels discutent ici des modalités de lecture du texte saint des musulmans. En appelant à une nouvelle ijtihad par un "effort d’interprétation, pour accorder les enseignements coraniques aux conditions changeantes de la vie" , ils entendent défendre, contre les impasses de la lecture dite "littéraliste" du Coran, un islam des Lumières porteur d’un message humaniste, si ce n’est pacificateur.

            Une méthodologie irréprochable

            La méthodologie analytique adoptée ne saurait donner prise à contestation puisque les auteurs se fondent, d’une part, sur plusieurs centaines de versets coraniques cités in extenso, d’autre part sur les sources les plus orthodoxes de l’exégèse (hadiths), à savoir les textes des propres compagnons de Muhammad et les interprétations classiques de Al-Wâhidï, Muqâtil, Al-Bukhârî, Al-Dahhâk, etc. Au total, une petite vingtaine d’auteurs et de livres, dont la liste est citée en annexe, de nature à renseigner sur la vie du Prophète et sur les nombreux sujets abordés par le Coran.

            Les deux modalités de lecture du Coran

            Mahmoud Hussein s’attaque à une querelle, née au lendemain de la mort du Prophète, relative aux modalités de lecture du Coran. D’un côté, le courant rationaliste incarne le recours à la Raison et somme le pratiquant de sillonner les antipodes de sa tranquillité par une interprétation personnelle, exigeante, du Coran. Pratiquer une lecture du Livre en entretenant un lien vivant avec le contexte de sa révélation serait même une injonction divine faite à celui qui veut correctement pratiquer l’ "abandonnement à Dieu" , qui se dit islam en arabe. De l’autre côté, le courant littéraliste, gardien de la Tradition, masque la composante temporelle du Saint Livre pour voir dans cette parole divine une loi immuable formulée définitivement ("le Coran étant la Parole de Dieu, il n’est pas tributaire du temps" ). En suivant l’a priori littéraliste, les croyants abdiquent leur liberté de conscience « en échange de certitudes simples, arbitrairement découpées dans le texte coranique" . Cette approche totalisante, sans nuances, excommunie tous les points de vue concurrents et confronte le musulman à un syllogisme redoutable : " (…) est musulman celui qui croit que le Coran est la Parole de Dieu. Celui qui doute de l’imprescriptibilité de tous ses versets doute, nécessairement, du credo selon lequel le Coran est la Parole de Dieu. Il n’est donc plus musulman" .

            Rendre au croyant sa liberté intérieure

            Mahmoud Hussein constate qu’à l’heure actuelle la doctrine littéraliste s’est insinuée dans chaque conscience au point de provoquer des ravages : nombreux sont les musulmans qui ont perdu leur liberté de penser et se retrouvent déchirés " entre la fidélité au texte et la pression des faits, entre le sens d’une vérité intemporelle et l’expérience vécue du changement et de la relativité, entre la soumission à l’argument d’autorité et l’exercice de la réflexion personnelle" . Les exemples de manipulation du texte coranique par les littéralistes ne manquent pas (" Il font dire au Coran ce qui les arrange" ). Ainsi, sur la base du verset IX, 3-5 qui appelle à combattre les polythéistes, des intégristes décident de commettre des attentats en assimilant à des polythéistes tous ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. De même, alors que le Prophète ne cesse de se présenter comme un homme (" fait de tous les hommes" comme dirait Sartre) et un " humble messager de Dieu" , Muhammad est perçu par les littéralistes comme un être d’essence divine - comme l’est le Christ pour les chrétiens. Ou encore, la lapidation de la femme adultère continue d’être largement admise en terre musulmane. Or, si le Coran condamne l’adultère, il ne dit mot de la lapidation et, en tout état de cause, a plutôt humanisé le statut de la femme : reconnaissance de droits juridiques, égale dignité des croyants et croyantes devant Dieu (" Le Coran n’a pas créé des inégalités là où régnait de l’égalité. Il a apporté des améliorations là où régnaient des inégalités flagrantes" ).

            La thèse centrale des auteurs est qu’il est urgent de remettre le texte coranique dans le contexte historico-religieux des anciens temps de la Révélation, quand la Parole divine est " descendue" vers un " groupe particulier d’humains, les Arabes du VIIè siècle" . A preuve le port du voile qu’il s’agit de contextualiser : " Cela se passait à Médine. Les femmes devaient sortir de la ville, à la tombée de la nuit, pour leurs besoins. Elles étaient alors souvent importunées par des voyous. Elles firent part de leur colère à leurs maris, qui en parlèrent à leur tour au Prophète. C’est à la suite de ces incidents que le verset coranique aurait été révélé à ce dernier. En revêtant un châle, les femmes musulmanes libres pouvaient se faire aisément reconnaître, et dès lors se faire respecter, même dans l’obscurité de la nuit" (verset XXXII, 59 . Plus globalement, Mahmoud Hussein montre que les questions relatives au statut des femmes, à la place des esclaves dans la société, aux rapports complexes entre les musulmans d’une part, les juifs, les chrétiens, les polythéistes d’autre part, à la guerre (par exemple entre les Perses et les Byzantins) ou à la défense de l’islam par le sabre dépendaient nécessairement d’une époque faite d’allégeances claniques à des tribus nomades du désert. Désormais, les femmes vont à l’université, accèdent à des responsabilités au travail, peuvent voter et être élues. L’esclavage est officiellement aboli dans la plupart des Etats musulmans qui " ont ratifié la Charte des Nations unies, en vertu de laquelle ils coopèrent pacifiquement avec des peuples sans Dieu. Ils contreviennent ainsi à plusieurs prescriptions coraniques. Ils n’ont pas renié le Coran. Ils ont reconnu, en fait sinon en droit, que toutes ses prescriptions n’avaient pas la même portée et que certaines d’entre elles, historiquement connotées, ne concernaient plus le monde actuel" . C’est une évidence qu’après quatorze siècles, les références techniques et les priorités individuelles ont radicalement changé.
            Dernière modification par Dandy, 31 octobre 2009, 14h05.

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            • #7
              Suite du second compte-rendu

              Penser le Coran développe plus longuement deux questions classiques. La première porte sur le statut du Coran : " créé" (distinct de Dieu) ou " incréé" (inséparable de Dieu lui-même) ? " Si tous les versets du Coran étaient ‘incréés’ – s’ils participaient, jusque dans leur formulation, de l’essence intemporelle de Dieu – il en découlerait, nécessairement, que toutes les personnes et tous les évènements évoqués dans le Coran participent eux-mêmes de l’essence intemporelle de Dieu. Or, ces faits participent de la Création. Comment la Création participerait-elle de l’essence intemporelle de Dieu ? Cela reviendrait à annuler la différence ontologique entre Dieu et Sa Création. Ce que récuse tout le discours coranique" . La seconde question porte sur les " versets abrogeants" et " abrogés" . Elle introduit une dimension temporelle directe dans le Coran. L’abrogation " c’est l’opération par laquelle Dieu remplace un verset par un autre, révélé ultérieurement" . Le Coran donne de nombreux exemples de couples de versets contradictoires. Or, le bon sens veut que l’un abroge l’autre et qu’un moment nouveau efface un moment ancien : " Pour qu’un verset soit ‘meilleur’ qu’un autre, ils doivent être tous les deux de portée relative. Et ils ne peuvent être tous les deux vrais que s’ils sont rapportés à des circonstances différentes, c’est-à-dire à des changements dans le temps" . D’ailleurs, il est intéressant de voir que le Coran est presque " négocié" entre les croyants et Dieu par l’intermédiaire de Muhammad. A propos de certains versets trop lourds à assumer, les premiers musulmans demandent à Dieu de revenir sur certains versets qui se situaient trop loin de leurs " repères existentiels" : " Dieu révéla : ‘Que vous dévoiliez ce qui est en vous ou que vous le cachiez, Dieu vous en demandera compte. Puis Il pardonne à qui Il veut et punit qui Il veut…’ Les musulmans ne savaient plus ce qu’ils devaient faire. Abü Bakr, ‘Umar et d’autres compagnons vinrent voir le Messager de Dieu, se mirent à genoux et dirent : (…) ce dernier verset, qu’Il vient de te révéler, est au-dessus de nos forces. Nous n’avons jamais entendu de verset aussi sévère. Il nous arrive souvent d’avoir des pensées que nous chassons ensuite de notre cœur. Le monde est plein de tentations. Et Dieu voudrait nous sanctionner sur chacune des pensées qui passent dans nos têtes ? Nous serions tous condamnés à l’Enfer !" (II, 284 et 286 ; Al-Wâhidî, p.97 et Al-Harawwî, p.275).
              En montrant le vrai visage d’esprits bègues qui ânonnent le Coran " le nez dans le guidon" , Mahmoud Hussein dévoile, comme un autre essayiste, André Glucksmann, une forme de bovarysme : "Aux yeux de Flaubert, son héroïne est une erreur de lecture. Elle rêve, elle lit et prend au pied de la lettre l’ ‘attirante fantasmagorie des réalités sentimentales’. Elle se précipite sur les romans roses en ‘littéraliste’, à la manière dont les forcenés de Dieu dévorent le Coran, toujours à aiguiser leur dogmatisme fanatique en sélectionnant les versets qui confirment leurs pulsions et en occultant les autres. Pas d’hésitation, ni problèmes d’interprétation, ni subtilités exégétiques, Emma déchiffre les histoires de chevaliers et de damoiselles comme le wahhabite son texte sacré, comme le taliban les récits de la guerre sainte et comme une cuisinière peu inventive son livre de recettes. C’est écrit, il suffit d’appliquer (…) Pour cette enfant prodigue des grands romantiques, comme pour l’activiste qui brandit les versets choisis de Marx ou de Mahomet, il ne s’agit plus de contempler le
              monde, mais de transformer les vies, quitte à tailler et charcuter"

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              • #8
                Juste un petit mot à propos des auteurs :

                "" Mahmoud Hussein " est le pseudonyme commun de deux auteurs : Baghgat Elnadi (né en 1936) et Adel Rifaat (né en 1938). Tous deux Egyptiens - l'un est d'origine musulmane ; l'autre d'origine juive, mais converti à l'islam -, ils furent à l'époque de Nasser d'ardents militants laïcs et marxistes. C'est à ce titre qu'ils furent incarcérés à plusieurs reprises dans les années 1960 avant de s'installer en France, où ils furent naturalisés en 1983. Ils sont titulaires d'un doctorat d'Etat en philosophie politique, et auteurs de nombreux ouvrages parmi lesquels on citera : Versant sud de la liberté, Essai sur l'émergence de l'individu dans le Tiers monde ; Les arabes au présent ; Sur l'expédition de Bonaparte en Egypte. Entre 1978 et 1988, " les " Mahmoud Hussein ont dirigé Le courrier de l'Unesco, publié en 30 langues et diffusé dans 120 pays.
                Ils ont déjà publié, chez Grasset, le Tome I de " Al Sîra " (13.000 exemplaires vendus à ce jour)".

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                • #9
                  Bonjour Dandy

                  Il est de qui, le second compte-rendu ?


                  Le premier est très intéressant

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                  • #10
                    Salut Bachi,

                    Le second est signé d'Emmanuel Auber. C'est un docteur en Droit, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et Harvard qui officie actuellement comme enseignant à Science Po Paris.

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