Relations avec la france, islamisme, corruption et grands chefs d’état
L’Algérie selon Paul Balta
Par : Sara Kharfi
Invité au Salon international du livre d’Alger pour participer à une conférence, Paul Balta, journaliste et historien, revient dans cet entretien sur ses souvenirs de l’Algérie de Boumediene, sa vision de l’Algérie d’aujourd’hui et des relations algéro-françaises, ainsi que la menace de l’islamisme.
Par : Sara Kharfi
Invité au Salon international du livre d’Alger pour participer à une conférence, Paul Balta, journaliste et historien, revient dans cet entretien sur ses souvenirs de l’Algérie de Boumediene, sa vision de l’Algérie d’aujourd’hui et des relations algéro-françaises, ainsi que la menace de l’islamisme.
Liberté : Ça vous fait quoi d’être à nouveau à Alger ?
Paul Balta : Chaque fois que je reviens, je suis très heureux parce que nous y avons passé cinq ans. Et c’est vrai que c’est un pays auquel je me suis attaché. Et à l’époque, avec mon épouse, nous l’avons, mais vraiment visité, dans tous les sens et nous connaissons bien mieux l’Algérie que la plupart des Algériens. Nous avons fait toute l’Algérie : du Nord au Sud, d’Est en Ouest.
Justement, on raconte une anecdote sur votre déplacement à Tizi Ouzou, pour expliquer la transsaharienne…
Avec Sid-Ahmed Agoumi, oui. Il m’avait invité. D’une part, j’avais assisté au lancement et puis par la suite avec mon épouse, nous sommes partis dans un camion de transport pour aller d’Alger jusqu’au Nigeria. Donc, nous avons traversé toute l’Algérie et puis ensuite les pays africains pour arriver au Nigeria, et j’ai d’ailleurs consacré deux articles dans Le Monde pour l’expliquer. Donc Sid-Ahmed Agoumi m’invite à Tizi Ouzou pour voir des jeunes parce qu’il voulait que je fasse un débat sur plein de problèmes, j’ai dit : “Je suis journaliste et c’est un peu délicat. Alors si tu veux, je fais un petit exposé, après tout c’est une expérience et ensuite si l’on me pose des questions, je répondrai. Si l’on m’interroge sur la démocratie…” On tombe d’accord là-dessus et puis, en fait, à la dernière minute, le wali découvre qu’il y avait cela et à ce moment-là, il envoie une directive à tout le personnel en disant qu’il fallait qu’ils aillent à la Maison de la culture. Lui-même est venu, et ils ont donc empêché tous les étudiants de rentrer. Là, j’avoue que j’étais un peu déçu car disons que du coup, ça prenait une autre tournure. À la fin de l’exposé, je n’avais pas manqué de cacher quand même ma déception, même si le wali était là, malgré tout, il y avait aussi un minimum de correction. Mais un étudiant qui avait réussi à se glisser a pris la parole, a commencé à poser des questions et donc du coup, les autres n’étaient pas là et ça fait comme s’ils l’étaient. Et là-dessus, je devais repartir le lendemain matin, mais le wali a donc dit à Sid-Ahmed qu’il voulait nous inviter à déjeuner. C’était un peu difficile de dire non et ça me gênait un peu, mais je dis bien, je repartirai après le déjeuner. Donc on est allé, il a fait un déjeuner très copieux, trop somptueux, mais comme il savait que je rencontrais Boumediene, il voulait en fait que je parle de lui à Boumediene pour essayer de le propulser un peu. Et je lui avais dit très franchement que moi je n’étais qu’un journaliste indépendant et que ce n’était pas mon travail.
Vous avez été le correspondant du Monde en Algérie de 1973 à 1978, et vous avez bien connu le président Boumediene. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque-là et plus précisément du président Boumediene ?
Comme j’ai eu avec lui pratiquement cinquante heures de tête-à-tête, alors je peux faire un livre. D’ailleurs, je lui avais proposé d’en faire un. Au début, il avait hésité et puis après malheureusement, il est mort. Mais enfin, quand je suis arrivé à Alger, ma première entrevue avec lui a eu lieu au mois de septembre 1973, deux jours avant le Sommet des non-alignés. Et là-dessus, c’était au palais présidentiel ; il y a eu une première réunion avec toute la presse (télé, radio, etc.). On a parlé en français, et puis ensuite on est passé dans son bureau, et alors il y avait le docteur Amimour, puisque c’est lui qui était chargé de la presse, et quand on est entré, il a hésité un moment et puis au lieu d’aller à son grand bureau, il a fait un signe et on est allé à une rotonde avec deux fauteuils et une petite table ; et du coup, Amimour était un peu désarçonné parce qu’il n’y avait pas de chaises à part les deux fauteuils. Puis il a trouvé un tabouret. Et j’ai su par la suite qu’en fait il utilisait cette rotonde soit pour de hautes personnalités, soit pour ses amis ou des personnes qu’il estimait particulièrement. Et donc l’entretien commence, on fait un petit tour d’horizon, on parle de différentes choses et il m’explique qu’il lisait tous mes articles (j’étais au Monde depuis 1970 et j’écrivais sur le Proche-Orient) ; il savait que ma mère était égyptienne et il me dit : “Balta, vous expliquez le monde arabe de l’intérieur, et donc je suis heureux que maintenant vous soyez à Alger. Vous êtes des nôtres et vous expliquerez l’Algérie de l’intérieur.” Et puis à un moment, je lui ai dit : “Monsieur le Président, je sais que vous faites vos interviews officielles en arabe, ça ne me dérange pas, néanmoins, moi j’ai appris l’arabe en Égypte, à Alexandrie, j’avais une heure et demie d’arabe par jour. Nos profs égyptiens nous enseignaient l’arabe archaïque et ne parlaient que du passé.” Et là-dessus, il m’interrompit en me disant : “Hélas ! Hélas Balta ! Et ça n’a pas changé.” Et comme il était très courtois, il fait un geste d’excuse et me demande de reprendre. Je continue et je lui dis : “Mon vocabulaire économique et politique, je l’ai acquis tardivement, donc si vous voulez bien, quand on abordera ces sujets, parlez un peu plus lentement.” Et là-dessus, il me dit : “Balta vous avez fait beaucoup pour notre culture et notre dignité (il parlait du monde arabe) ; nous avons commencé en français, nous continuerons donc en français.” Et ça a été comme ça. De temps en temps, on parlait en arabe, et je me suis aperçu qu’il possédait la langue française d’une façon tout à fait extraordinaire.
Et que retenez-vous de l’homme qu’était Boumediene ?
D’une part, il était d’une intégrité extraordinaire et si vous voulez un exemple parmi tant d’autres : il mangeait très sobrement, très peu. Une fois, il m’avait invité à déjeuner et là aussi, il y avait un très bon repas et il a mangé très peu. Ça c’est sur le plan personnel et humain. Il avait aussi une vision et une volonté de rendre à l’Algérie une certaine puissance, et il lui a donné sur le plan international une place bien au-dessus de son propre poids.
Paul Balta : Chaque fois que je reviens, je suis très heureux parce que nous y avons passé cinq ans. Et c’est vrai que c’est un pays auquel je me suis attaché. Et à l’époque, avec mon épouse, nous l’avons, mais vraiment visité, dans tous les sens et nous connaissons bien mieux l’Algérie que la plupart des Algériens. Nous avons fait toute l’Algérie : du Nord au Sud, d’Est en Ouest.
Justement, on raconte une anecdote sur votre déplacement à Tizi Ouzou, pour expliquer la transsaharienne…
Avec Sid-Ahmed Agoumi, oui. Il m’avait invité. D’une part, j’avais assisté au lancement et puis par la suite avec mon épouse, nous sommes partis dans un camion de transport pour aller d’Alger jusqu’au Nigeria. Donc, nous avons traversé toute l’Algérie et puis ensuite les pays africains pour arriver au Nigeria, et j’ai d’ailleurs consacré deux articles dans Le Monde pour l’expliquer. Donc Sid-Ahmed Agoumi m’invite à Tizi Ouzou pour voir des jeunes parce qu’il voulait que je fasse un débat sur plein de problèmes, j’ai dit : “Je suis journaliste et c’est un peu délicat. Alors si tu veux, je fais un petit exposé, après tout c’est une expérience et ensuite si l’on me pose des questions, je répondrai. Si l’on m’interroge sur la démocratie…” On tombe d’accord là-dessus et puis, en fait, à la dernière minute, le wali découvre qu’il y avait cela et à ce moment-là, il envoie une directive à tout le personnel en disant qu’il fallait qu’ils aillent à la Maison de la culture. Lui-même est venu, et ils ont donc empêché tous les étudiants de rentrer. Là, j’avoue que j’étais un peu déçu car disons que du coup, ça prenait une autre tournure. À la fin de l’exposé, je n’avais pas manqué de cacher quand même ma déception, même si le wali était là, malgré tout, il y avait aussi un minimum de correction. Mais un étudiant qui avait réussi à se glisser a pris la parole, a commencé à poser des questions et donc du coup, les autres n’étaient pas là et ça fait comme s’ils l’étaient. Et là-dessus, je devais repartir le lendemain matin, mais le wali a donc dit à Sid-Ahmed qu’il voulait nous inviter à déjeuner. C’était un peu difficile de dire non et ça me gênait un peu, mais je dis bien, je repartirai après le déjeuner. Donc on est allé, il a fait un déjeuner très copieux, trop somptueux, mais comme il savait que je rencontrais Boumediene, il voulait en fait que je parle de lui à Boumediene pour essayer de le propulser un peu. Et je lui avais dit très franchement que moi je n’étais qu’un journaliste indépendant et que ce n’était pas mon travail.
Vous avez été le correspondant du Monde en Algérie de 1973 à 1978, et vous avez bien connu le président Boumediene. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque-là et plus précisément du président Boumediene ?
Comme j’ai eu avec lui pratiquement cinquante heures de tête-à-tête, alors je peux faire un livre. D’ailleurs, je lui avais proposé d’en faire un. Au début, il avait hésité et puis après malheureusement, il est mort. Mais enfin, quand je suis arrivé à Alger, ma première entrevue avec lui a eu lieu au mois de septembre 1973, deux jours avant le Sommet des non-alignés. Et là-dessus, c’était au palais présidentiel ; il y a eu une première réunion avec toute la presse (télé, radio, etc.). On a parlé en français, et puis ensuite on est passé dans son bureau, et alors il y avait le docteur Amimour, puisque c’est lui qui était chargé de la presse, et quand on est entré, il a hésité un moment et puis au lieu d’aller à son grand bureau, il a fait un signe et on est allé à une rotonde avec deux fauteuils et une petite table ; et du coup, Amimour était un peu désarçonné parce qu’il n’y avait pas de chaises à part les deux fauteuils. Puis il a trouvé un tabouret. Et j’ai su par la suite qu’en fait il utilisait cette rotonde soit pour de hautes personnalités, soit pour ses amis ou des personnes qu’il estimait particulièrement. Et donc l’entretien commence, on fait un petit tour d’horizon, on parle de différentes choses et il m’explique qu’il lisait tous mes articles (j’étais au Monde depuis 1970 et j’écrivais sur le Proche-Orient) ; il savait que ma mère était égyptienne et il me dit : “Balta, vous expliquez le monde arabe de l’intérieur, et donc je suis heureux que maintenant vous soyez à Alger. Vous êtes des nôtres et vous expliquerez l’Algérie de l’intérieur.” Et puis à un moment, je lui ai dit : “Monsieur le Président, je sais que vous faites vos interviews officielles en arabe, ça ne me dérange pas, néanmoins, moi j’ai appris l’arabe en Égypte, à Alexandrie, j’avais une heure et demie d’arabe par jour. Nos profs égyptiens nous enseignaient l’arabe archaïque et ne parlaient que du passé.” Et là-dessus, il m’interrompit en me disant : “Hélas ! Hélas Balta ! Et ça n’a pas changé.” Et comme il était très courtois, il fait un geste d’excuse et me demande de reprendre. Je continue et je lui dis : “Mon vocabulaire économique et politique, je l’ai acquis tardivement, donc si vous voulez bien, quand on abordera ces sujets, parlez un peu plus lentement.” Et là-dessus, il me dit : “Balta vous avez fait beaucoup pour notre culture et notre dignité (il parlait du monde arabe) ; nous avons commencé en français, nous continuerons donc en français.” Et ça a été comme ça. De temps en temps, on parlait en arabe, et je me suis aperçu qu’il possédait la langue française d’une façon tout à fait extraordinaire.
Et que retenez-vous de l’homme qu’était Boumediene ?
D’une part, il était d’une intégrité extraordinaire et si vous voulez un exemple parmi tant d’autres : il mangeait très sobrement, très peu. Une fois, il m’avait invité à déjeuner et là aussi, il y avait un très bon repas et il a mangé très peu. Ça c’est sur le plan personnel et humain. Il avait aussi une vision et une volonté de rendre à l’Algérie une certaine puissance, et il lui a donné sur le plan international une place bien au-dessus de son propre poids.
Liberté
(à suivre )
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