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Livre, la promotion par la censure en question

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  • Livre, la promotion par la censure en question

    Chaque année à la veille de la tenue du Salon international du livre d’Alger (Sila) des rumeurs de censure de livres religieux se propagent parmi les visiteurs avertis. Mais contre toute attente, ces derniers y trouvent avec jubilation tout ce qu’ils sont venus chercher.

    Qui distille ces rumeurs ? Personne ne pose la question. On est occupé plutôt tout content d’avoir échappé à un obstacle – qui s’il est monté de toutes pièces n’en demeure pas moins vraisemblable – à remplir à la hâte les cartons, où l’on fourre les plus célèbres cheikhs que le salafisme a produits, y passent les Al Maoudoudi, les ‘Abdel ‘Aziz Âl Baz, les Mouhammad Nâsir Ad-Dîn Al-Albâni, les Ibn Kathîr et j’en oublie. Mais la censure frappe réellement là où elle ne s’est pas annoncée.

    Cette année, c’est le roman Poutakhine de Mehdi El Djazaïri qui en a fait les frais. Pour autant ce cas de censure présente une originalité. Il me semble que c’est la première fois qu’un auteur a cherché délibérément à être censuré. C’est son attitude face à l’acte de censure dont il est victime qui me permet de l’affirmer. N’ayant pas encore pris connaissance du contenu du livre, je m’abstiendrai donc de faire un commentaire là-dessus. Mais critiquer le censuré peut faire croire que nous prenons position en faveur du censeur. Ce n’est pas nous qui allons le faire. En réalité, si on s’était dans ce cas précis inspiré des articles de notre Constitution les plus favorables à la liberté d’expression et non les plus répressifs, on n’aurait pas interdit la diffusion de Poutakhine. De tout temps les pouvoirs successifs ont adopté à l’égard de l’œuvre de fiction, surtout le roman, œuvre d’imagination par excellence, une attitude de tolérance. C’est en prenant en compte le fait que le livre censuré est une œuvre de fiction que les arguments du censeur peuvent paraître obsolètes. C’est pour cette raison que l’auteur tout au plus ne pouvait pour bien montrer sa désapprobation qu’afficher un dédain marqué et dans ce cas peut-être le silence aurait été plus pesant que mille paroles. En quoi une œuvre imaginaire peut-elle déranger ? Mais Mehdi El Djazaïri surprend. Il ameute la presse comme si l’œuvre qu’avait incriminée l’imprimatur était un pamphlet. Toute l’ambiguïté de l’affaire se situe à ce niveau. Les pouvoirs publics vont donc réagir comme si ils avaient affaire à un essai renvoyant à la réalité et Mehdi El Djazaïri le leur rend bien, en choisissant de jouer sur le clavier de la vérité. Il déclarera, après avoir bien entendu pris acte de la censure à El Watan, ceci : «Je défie quiconque de trouver un seul mot d’insulte sur les 432 pages du livre. Sauf à considérer que poser une question à son Président est en soi une insulte». Mehdi El Djazaïri s’est-il rendu compte en tenant ces propos qu’il vient de violer le contrat de lecture qui le lie à ses lecteurs ? En littérature, il est important que l’auteur respecte le contrat de lecture. Apposer en première de couverture la mention «roman» revient à préciser l’identité du produit. Ce produit aurait pu être désigné par «Poésies», «Théâtre», «Essai» «Documents» etc. On ne peut donc vendre des chemises à des gens qui croient acquérir des pantalons. Pourquoi l’auteur de Poutakhine tient-il à démentir ses «insultes» ? Si insultes il y a, n’appartiendraient-elles pas plutôt à l’univers romanesque ? N’appartiendraient-elles pas à la fiction que l’auteur a prétendu dans un premier temps offrir à ceux qui voudraient bien le lire ? S’il le fait c’est parce que justement il veut faire admettre, à présent que son œuvre est tombée sous le coup de la censure, que tout ce qui y est relaté appartient au domaine du réel. Pourtant, il est de tradition chez les romanciers d’insister sur le caractère imaginaire de leurs écrits. Combien de fois n’a-t-on pas lu cet avertissement précédant la lecture proprement dite «les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.» Or, Mehdi El Djazaïri a innové en faisant un roman avec des personnages réels! En fait, Poutakhine est un pamphlet sans pamphlétaire et El Djazaïri un Mehdi sans sacerdoce. L’auteur donne l’impression de manquer d’assurance. Il est vrai que par le passé, nombre d’écrivains ont signé de leur véritable nom des brûlots et en ont assumé les conséquences. Je propose de nommer complexe de Poutakhine cette tendance en littérature à chercher le succès ex nihilo que peut procurer la rencontre entre la mondialisation médiatique et le sous-développement culturel à l’échelon local.

    Par Larbi Graïne
    Le Jour d'Algérie
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