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Etats-Unis : Un peu d’humanité avant le dernier voyage

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  • Etats-Unis : Un peu d’humanité avant le dernier voyage

    Lorsque son foie a cessé de fonctionner, Allen Jacobs a dû faire face à une mort qu’il voulait à tout prix éviter. Allongé dans un lit d’hôpital, fixant le plafond d’un regard vide, les yeux enfoncés dans leurs orbites, le teint blafard. Un auxiliaire bénévole, Wensley Roberts, passait une éponge humide sur ses lèvres desséchées.

    Wensley Roberts fait partie de la dizaine de prisonniers bénévoles de la prison de Coxsackie qui se sont portés volontaires pour accompagner leurs camarades prisonniers en fin de vie. Plus de 3 000 détenus meurent chaque année de cause naturelle dans les prisons américaines. Roberts se souvient du jour où M. Jacobs, qui avait encore toute sa tête, a soudain fondu en larmes. Roberts l’avait pris dans ses bras et avait essayé de le consoler. Leur relation avait alors pris un tour inattendu, ici, dans l’infirmerie d’une prison de haute sécurité. “Ressaisis-toi”, avait dit Roberts à Jacobs.

    Jacobs, condamné à quatre ans de prison pour faux et usage de faux, avait alors commencé à l’insulter, hurlant : “Je ne veux pas mourir en prison. Tu voudrais mourir en prison, toi ?” “J’ai répondu que non”, explique Roberts, qui purge une peine de huit ans pour vol. “‘Alors arrête de me dire de me ressaisir’, m’a-t-il dit, avant d’éclater en sanglots. Ensuite, il m’a dit que j’étais toute la famille qu’il avait.”

    Aux Etats-Unis, la population carcérale est de plus en plus âgée. Un tiers des détenus devraient passer la barre des 50 ans d’ici à l’année prochaine. Avec l’allongement des peines de prison et le durcissement des conditions de liberté conditionnelle, près de 75 établissements pénitentiaires ont mis en place des programmes d’accompagnement en fin de vie, la moitié faisant appel à des prisonniers volontaires, révèle la National Hospice and Palliative Care Organization.

    Joan Smith, adjointe des services médicaux de la prison de Coxsackie, à environ 200 km de New York, explique que le projet a d’abord suscité une certaine opposition de la part des gardiens. “Il leur était insupportable de voir que des hommes condamnés recevaient de meilleurs soins que leur propre famille” et étaient même accompagnés vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant leurs derniers jours, explique Smith.

    Les gardiens s’y sont finalement faits. Les volontaires arrivent à créer un lien unique avec les patients. Ils peuvent se permettre un contact physique et émotionnel qui serait mal vu entre les détenus et le personnel soignant.

    A Coxsackie, les responsables de la prison ont lancé ce projet d’accompagnement médical en 1996, face à la propagation du virus du sida. Ils ont d’abord fait appel à une agence extérieure, avant d’impliquer des prisonniers volontaires, à partir de 2001. Cette décision leur a permis de faire des économies et a été bien accueillie par les patients. Toutefois, c’est peut-être sur les volontaires que ce programme exerce l’effet le plus remarquable, explique William Lape, superintendant de la prison. “Je pense que ça leur change la vie”, déclare-t-il.

    John Henson, 30 ans, a été parmi les premiers à se porter volontaire. A 18 ans, Henson est entré par effraction au domicile de son employeur et l’a battu à mort à coups de batte de base-ball. Quand il est arrivé en prison, condamné à vingt-cinq ans, il s’est dit que sa vie était finie.

    A Coxsackie, il a rencontré le révérend J. Edward Lewis, qui l’a convaincu de se porter volontaire pour le programme d’accompagnement médical en 2001. “On commence en se disant que l’on va aider quelqu’un et chaque fois ce sont eux qui nous aident”, confie Lewis. Avant, Henson n’avait jamais vraiment pris le temps de réfléchir aux conséquences de son crime. Jusqu’au jour où il se trouva enfermé dans une chambre d’hôpital à tenir la main d’un camarade de prison, écoutant sa respiration ralentir jusqu’à ce qu’elle cesse complètement. Comme bon nombre de détenus, l’homme était coupé de sa famille, qui refusait de reprendre contact avec lui. A la fin, Henson était devenu son unique visiteur. Lorsque l’infirmière le déclara mort, Henson fondit en larmes.

    “C’était en partie à cause de lui, en partie à cause de certaines choses en moi qui sont mortes en même temps que lui.”

    Portant l’uniforme vert de la prison, ses cheveux blonds coupés très court, Henson parle franchement et sans hésitation.“J’ai alors pensé à la raison pour laquelle j’étais ici : j’avais tué un homme, poursuit-il. Et le fait d’assister à une mort pour la première fois, juste là, main dans la main, le voir pousser son dernier souffle, je me suis dit : ‘Mais qui es-tu ? Comment tu as pu faire ça à quelqu’un d’autre ?’”


    Repère


    En France, une loi de 2002 prévoit la suspension de peine pour raisons médicales. Elle s’applique aux condamnés dont le pronostic vital est engagé de par leur maladie ou dont l’état de santé est incompatible avec le maintien en prison. Elle exclut néanmoins la suspension en cas de troubles mentaux. Cette loi, qui permet aux détenus de mourir “hors les murs”, semble toutefois assez peu appliquée.

    Selon des chiffres de l’administration pénitentiaire, 269 personnes ont vu leur peine suspendue de 2002 à 2006, soit la moitié des demandes. Dans la même période, 400 détenus sont morts en prison, hors suicides. En 2005, la loi a en outre été modifiée, la suspension de peine ne pouvant être prononcée “s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction”.

    Par John Leland, The New York Times. Courrier International
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