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Le Terrorisme laïc

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    Le terrorisme laïc
    par Kamel Daoud
    Aqui se plaindre en Algérie de l'Algérie ? A Dieu, à la hiérarchie, à la police ou à un registre de doléances et à son voisin dans la file d'attente d'un pays en bonne santé. La scène a été vécue par le chroniqueur dans un bureau de poste à Oran : après des protestations d'usage, 90 minutes d'attente avec un seul agent en «on», le chef de service a été clair comme le contrat de l'indépendance qui permet aux Algériens de faire ce qu'ils veulent après le départ du colon. «Si cela ne vous plait pas, allez vous plaindre». Ajoutant que c'est l'Etat qui le paye pas nous. Le chef de service indiquera même au peuple le registre de doléances pour les plus idéalistes. La dispute finira dans un service d'insultes copieuses et une menace d'agression physique. «Allez vous plaindre là où vous pouvez». D'où, cette question intrigante : les registres de doléances sont-ils lus ? Par qui ? A quelle heure ?

    Servent-ils ? Quelle histoire nationale peut-on écrire si on aligne tous les registres de doléances du pays depuis dix ans par exemple ? Un Algérien qui se plaint dans un registre de doléance d'un mauvais service dans une poste fait sourire le plaignant et celui dont on se plaint. Une loi interne que qu'on ne se plaint d'une flaque d'eau dans un bateau qui coule.

    A qui se plaindre donc ? A Dieu, répondent les villages algériens devenus fatalistes comme avant la naissance de l'émir Abdelkader. Reste que Dieu intervient peu dans les affaires de l'homme. Sinon, le cosmos et la création seraient inutile comme preuve et épreuve. A quoi servent le Temps et l'espace si on les contourne à chaque prière et après chaque gémissement ? D'où la même question : à qui se plaindre ? Le chroniqueur qui a vécu la scène fera comme le peuple. Se plaindre auprès de la police. Mais là, on ne peut pas déposer plainte parce qu'on se plaint. Un officier expliquera simplement que tant qu'il n'y a pas de traces physiques d'agression, deux témoins «on ne peut pas déposer plainte». Sauf dans une bouteille jetée à la mer. Une des grandes inventions post-terrorisme en Algérie c'est que les gendarmes et les policiers ne peuvent pas intervenir pour vous si vous êtes menacé de mort mais seulement si vous êtes mort. Donc, retour à la question : à qui se plaindre ? A la hiérarchie. Cela est possible. Là, on peut vous écouter et écouter votre plainte ou pas. Cela dépend de la nationalité de celui qui vous écoute. S'il partage la vôtre, il partagera votre douleur d'avoir été insulté dans une poste parce que le chef de service et deux de ses employés s'amusaient à rire de la tête de 70 Algériens en attente humble comme au temps de la France de 1930. Si votre interlocuteur partage la nationalité de votre lassitude, il vous donnera une chaise et son visage. D'où, l'autre question : de quoi se plaindre ? De s'être fait traité comme un chiffon dans une poste algérienne ? D'avoir été insulté ? D'avoir attendu presque deux heures comme un indigène ? D'avoir été menacé d'une correction physique ? D'avoir été humilié par la fameuse phrase nationale «allez vous plaindre là où vous voulez» ? Une chef hiérarchique de la poste aura raison de vous écouter mais aura raison de penser que l'Algérie ce n'est pas sa faute, et encore moins les Algériens. Personne n'est le Jésus-Christ de personne. A qui se plaindre si personne ne peut changer ce pays ni n'en est responsable ? A son voisin de la file d'attente ? Non, il vous racontera la même chose, mais à partir d'une autre bouche. Conclusion ? Il y a dans ce pays de quoi fabriquer des terroristes laïcs.

    Le Quotidien d'Oran .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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