Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Monsieur le Président

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Monsieur le Président

    Monsieur le Président
    par Mohamed Boudaoud
    Monsieur le Président, vous vous dites sans doute voici encore une canaille qui, comme une outre percée de toutes parts, va se mettre à chialer de l'innocence par tous ses trous, un crasseux qui va s'aplatir et se vider de toute dignité pour échapper au châtiment, vous pensez, encore un vaurien qui va m'écrabouiller les nerfs avec ses pleurnicheries de femmelette. Non, monsieur le Président, tranquillisez-vous ; je vais vous faciliter la tâche ; je ne chercherai pas à m'innocenter ; je ne veux pas être libéré ; je veux être coffré à vie.

    Ma participation aux émeutes n'a été qu'un prétexte. Je voulais être arrêté. Comprenez-moi, mes paroles ne serviront pas à me blanchir, mais à vous persuader que, non seulement vous devez me déclarer coupable, mais me condamner à être enfermé pendant le restant de mes jours.

    Vos yeux indiquent que vous me prenez pour un connard qui veut fanfaronner un coup, qui veut se donner en spectacle. Non, monsieur le Président, ce que je dis est la pure vérité. Je demande à être emprisonné jusqu'à ma mort parce que, voyez-vous, si vous me relâchez, ou si vous me condamnez à une peine de prison limitée, vous me replongerez dans la boue puante que je veux fuir. Mais cette fois-ci, j'ai le pressentiment que je serais effroyable. Comment vous dire ? Quelque chose en moi me dit que si je rentre chez moi, je vivrais désormais comme un sanglier possédé par un démon vicieux. En plus, depuis quelque temps, mes nuits sont hachées menu par des cauchemars zébrés de couteaux de boucher, et éclaboussés par des jets de sang fumeux giclant de gorges tranchées appartenant à des corps qui me rappellent ceux de mon épouse et de mes filles. Cette fois-ci, si jamais je retourne à la maison, je ne saurais pas résister aux tentations sordides qui sifflent dans mes veines, je ne ferais pas seulement que les rouer de coups comme d'habitude, de les traîner par les cheveux et de leur cracher dessus, cette fois-ci, je les entraînerais vers les abîmes de l'horreur, puis je les tuerais. Et, Dieu m'est témoin, je vous le jure, monsieur le Président, je ne désire pas que vous soyez responsable de ce massacre. Protégez-les, c'est une prière que je vous adresse. Je les ai suffisamment tabassées dans le passé, permettrez-vous qu'elles soient souillées et égorgées ?

    Mais il n'y a pas que cette raison qui me pousse à vous prier de me boucler à double tour. Je me suis dit qu'en participant aux émeutes, et en allant en prison, je me rachèterai peut-être aux yeux des garçons. Qu'ils ne me regarderont plus comme ils le font depuis des années, avec des yeux qui font dégager à mon corps une odeur de pourriture. Oui, monsieur le Président, quand un des garçons pose ses yeux sur moi, je me mets à puer. Je sais que pour mes fils, depuis longtemps, je ne suis plus qu'un mollusque dégoûtant. Ils ont raison : Comment des enfants peuvent-ils regarder avec fierté un homme qui a été incapable de leur offrir un toit décent ? Qui les a fait naître et grandir dans une niche.

    Monsieur le Président, je suis fatigué de vivre en liberté. Il ne me restait que deux solutions : le suicide ou la prison. Mais se pendre avec du fil de fer ou avaler de la mort-aux-rats, je ne vous mentirai pas, c'est une idée à laquelle j'ai arrêté de penser depuis que j'ai assisté, il y a deux mois, à l'agonie d'un frère qui a expédié dans son estomac tout un sachet de ce raticide appelé Red Killer. Avant que l'ambulance n'arrive, j'ai eu le temps de contempler la bête terrorisée qu'était devenu mon ami. Ses hurlements, ses jets de vomissure nauséabonds, son corps qui se tordait comme une machine disloquée, son visage décomposé par les douleurs qui ravageaient ses entrailles, je ne suis pas prêt de les oublier. Le chômage, ses filles qui se prostituaient pour le nourrir, ses fils toujours bourrés de drogue, sa femme qui n'était plus qu'une carcasse lessivée par les fièvres, les bruits qu'il entendait la nuit dans cette pièce dans laquelle ils s'entassaient tous, son impuissance à empêcher ces monstruosités, mais surtout le fait qu'il commençait à y prendre plaisir, avaient fini par l'abattre. De temps à autre, ivre mort, il me vidait son sac, et j'entendais alors, sortant de la bouche d'un être humain, des confidences qui me glaçaient le dos. Je rentrais chez moi épouvanté.

    Alors qu'il ne désirait que deux ou trois chambres pour surtout séparer ses filles des garçons, la télévision lui montrait chaque jour cette jolie autoroute aussi lisse qu'une glace, où l'on peut rouler dans une voiture à plus de 100 Km/h sans perdre une goutte du liquide contenu dans un verre placé sur le tableau de bord. Mais jamais les caméras n'étaient venues filmer les taudis répugnants qui nous servent de logement. Les rats qui se sont multipliés dans nos caves et nous attaquent de temps à autre. La vermine qui grouille partout. Les moustiques qui pompent notre sang et transforment nos corps en brasiers. Les mouches qui nous enragent. Les cafards qui envahissent nos couches dès la nuit tombée. Les ordures qui s'entassent autour de nous. Des messieurs et les dames maquillés et beaux viennent donc chaque jour à vingt heures nous raconter que le pays se porte bien, tandis que nous sommes contraints de vivre dans une promiscuité que les sangliers n'accepteraient pas.

    Cependant, même si beaucoup de gens que je connais ont choisi de mettre fin à leur vie, je n'ai jamais été tenté par une telle solution. J'aime trop la vie pour me donner la mort. Je serais capable de patauger dans la ***** éternellement, mais pas de me supprimer. Excusez-moi, monsieur le juge, s'il m'échappe de temps à autre une parole inconvenante, mais là d'où je viens, les mots doivent pour ainsi dire s'adapter à la fange dans laquelle nous vivons depuis plus de 50 ans. Il ne s'agit pas, comme on le croit souvent de manque d'éducation, mais d'un moyen de défense. Comme les couteaux que nous devons porter sur nous continuellement. Dans le quartier où je loge, monsieur le Président, les jolis mots peuvent conduire celui qui en abuse à subir toutes sortes d'humiliations. Dans ce monde, la grossièreté sert à nos corps de carapace.

    Vous voyez pourquoi vous devez m'enfermer, monsieur le Président ? C'est que moi aussi, comme mon ami, je cours le risque de faire ou d'entendre des choses qui feraient vomir un cochon. Imaginez 10 êtres humains dans une pièce de 9 m2 ! C'est dans ce réduit que j'ai eu tous mes enfants. Au début, c'était plus ou moins supportable. Mais plus tard, quand les petits ont grandi, ça a été un enfer. Aujourd'hui, les garçons rentrent très tard la nuit. Il leur arrive souvent de dormir dans la cave ou ailleurs. C'est comme ça qu'ils ont appris à se droguer et à boire. Je ferme les yeux. Que puis-je faire ? Non seulement, je me sens affreusement coupable, mais ils me font peur. Ils ont dans le regard un mépris qui m'atteint comme un crachat sur le visage. C'est à cause de moi qu'ils ont été tous renvoyés de l'école. C'est à cause de moi qu'ils couchent dehors. C'est à cause de moi qu'ils se shootent et se soûlent. Ils ont raison de me haïr. Comment des enfants peuvent-ils ressentir du respect et de l'amour pour un homme qui a été incapable de leur offrir un toit décent ?

    Jusqu'ici j'ai toujours essayé de rester un être humain, j'ai lutté de toutes mes forces pour éviter l'horreur, mais je le sais maintenant, je finirais par faiblir et capituler, et ce sera pire qu'avant. Notre unique chambre se transformera petit à petit en bourbier. Comme celle de mon ami. Je ne me surveillerais plus. Je ne les surveillerais plus. Moi aussi, je me mettrais à attendre avec fièvre la tombée de la nuit.

    Monsieur le Président, ce que je suis en train de vous dire vous paraît sans doute monstrueux. Vous vous dites d'où vient cette bête immonde qui est en face de moi, mais vous m'avez fait jurer de dire la vérité, et croyez-moi, après tout ce que je viens de vous raconter, je suis encore très loin de la vérité. D'ailleurs les mots ne peuvent pas décrire ce que nous vivons là-bas. C'est peut-être pourquoi personne n'a entendu nos cris. Alors nous sommes sortis dans la rue. Hurlant, jetant des pierres et des cocktails Molotov, brûlant des pneus, détruisant des vitrines, démolissant des voitures, il fallait que ces gens bavards et costumés que nous montre la télévision à longueur d'année comprennent que nous sommes aussi des Algériens. Des Algériens comme eux.

    En ce qui me concerne, c'était surtout pour me faire arrêter. Tout ce que je vous demande, monsieur le Président, c'est d'ordonner mon emprisonnement à vie. Je ne veux pas retourner là-bas. Je ne pourrais pas résister aux tentations sordides qui sifflent dans mes veines. Voulez-vous être responsable de la boucherie que je vais commettre ?

    Monsieur le Président, vous me faites signe de me presser, alors permettez-moi d'ajouter quelques paroles avant de me taire.

    Monsieur le Président, lorsque le désespoir les écrase, les gens de là-bas imaginent la résurrection des martyrs. Ils se mettent alors à fabuler sur la réaction de ces derniers quand ils verraient la cité dans laquelle nous vivons. Ils se soulagent avec des histoires. Car les martyrs ne reviendront jamais.

    Cependant, si nous savons que nos martyrs ne ressusciteront pas, nous ignorons s'ils ne nous attendent pas pour nous demander ce que nous avons fait de leurs sacrifices. Imaginez les alors écoutant mon ami qui s'est suicidé, en avalant un raticide, leur raconter ce qu'il a vécu après l'indépendance. Le Paradis dans lequel ils vivent ne les empêchera pas d'être malheureux. Et je ne veux pas, monsieur le Président, ça serait ignoble de ma part, que moi aussi je les oblige à entendre ces monstruosités. Ils seront sûrement moins malheureux quand ils sauront que j'ai fait de la prison à vie pour avoir participé à une émeute. Merci monsieur le Président.


    Le Quotidien d'Oran


    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

  • #2
    une dure réalité pour beaucoup d'Algériens ....
    mais ce sont la des ecrits et des paroles qui malheureusement ne toucheront aucun dans la "gouvernance" du pays ......

    Commentaire


    • #3
      il s'en fout de ton charabia

      c'est le problème du directeur du social de la commune

      Commentaire


      • #4
        Un chef d'ouevre littéraire

        Commentaire


        • #5
          Quelle plume, droit au coeur, ce ne sont pas des mots, c'est tout un régiment, il faut le consacrer cet article, c'est un document historique...ce journaliste qui a traduit les faits est un génie

          Commentaire


          • #6
            En fait ce n'est pas un journaliste, mais un universitaire de Saida qui a envoyer cette lettre au quotidien d'oran.J'avais posté tel que, mais la signature a été supprimé .
            " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

            Commentaire


            • #7
              Iska, cet étudiant, s'il avait écrit personnellement cette lettre,est un virtuose, en plus il est jeune !!!! C'est un mélange entre Camus, Zola et Balzac, c'est un peu "J'accuse" (Zola) (la domination de l'anaphore), avec un style crû (camus (la peste)) entaché de quelques mimosas qui ancrent le lecteur dans la réalité avec quelques coquelicots émotionels (Balzac (illusions perdues))....Bravo...c'est rare que je le prononce...

              Commentaire


              • #8
                Rossinhol

                "cet étudiant, s'il avait écrit personnellement cette lettre"

                Je ne sais pas, s'il est tré jeune, et s'il aécrit lui même cette lettre .
                Le fait est là, cet écrit m'a réellement touché, alors j'ai voulu partagé, et à chacun son opinion .

                Celà me fait penser à la chanson de Boris Vian "M. Le Président je vous écrit une lettre, que vous lirez peu-être si vous avez le temps "
                " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

                Commentaire


                • #9
                  toutes mes excuses

                  "IskaEn fait ce n'est pas un journaliste, mais un universitaire de Saida qui a envoyer cette lettre au quotidien d'oran.J'avais posté tel que, mais la signature a été supprimé .



                  Je me suis trompé, ce n'est pas un universitaire qui a écrit cette lettre.
                  Je me suis trompé de sujet .
                  Je rends à cesar ce qui lui appartient de droit ,en l'occurance au journaliste Mohamed Boudaoud
                  " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

                  Commentaire


                  • #10
                    Envoyé par rassinhol
                    Iska, cet étudiant, s'il avait écrit personnellement cette lettre,est un virtuose, en plus il est jeune !!!! C'est un mélange entre Camus, Zola et Balzac, c'est un peu "J'accuse"
                    Non je ne pênse pas que ce soit un étudiant. Il écrit souvent sur le quotidien d'Oran et des hommes de cette trempe sont en voix de d'extinction, hélas !!

                    (Voici un autre écrit de lui sur le Mektoub):

                    De l’Algérien adorateur du destin

                    Ce qui est écrit sur le front, les mains ne peuvent l’effacer. Proverbe algérien.

                    Si on faisait l’expérience d’enregistrer les paroles prononcées par un Algérien depuis ses premiers balbutiements jusqu’à son dernier souffle, dans le vocabulaire qu’il aura employé fréquemment au cours de sa vie, figurera certainement le mot « elmektoub », le « destin ».


                    L’Algérien a pour ce terme un immense respect. Écoutez-le quand il le prononce : sa voix tremble et ses yeux se brouillent. C’est de l’émotion. L’Algérien adore ce mot. Il le vénère. Il aurait sûrement aimé que sa langue maternelle soit réduite à ce vocable. Ou du moins qu’elle soit composée d’une poignée de mots qui auraient les mêmes vertus et la même efficacité que celui-ci. Car si l’Algérien emploie ce terme aussi abondamment, c’est qu’il lui attribue un pouvoir illimité. Dans le lexique d’un Algérien, il n’y a qu’un mot qui pourrait prétendre à autant de puissance, à autant de respect, c’est le mot « ma », « maman ».

                    Tout ce qui lui arrive de bon ou de mauvais, tout ce qui arrive sur cette planète ou ailleurs dans le vaste univers, l’Algérien l’explique par le Destin. Il n’hésite pas une seconde, c’est le Destin, affirme-t-il, avec un hochement de tête lourd de sens, qui signifie en particulier qu’il refuse d’avance toute autre explication. Et s’il arrive que son interlocuteur ne soit pas d’accord avec cette manière de voir les choses (ce qui est presque impossible ici), l’Algérien, généreux, mais les oreilles fermées hermétiquement, le laissera étaler tous ses arguments, puis, aussi accroché à son point de vue qu’un responsable de chez nous à sa chaise, il répétera avec plus d’émotion que la première fois la sentence magique : « C’est le Destin. ». L’inébranlable Algérien ! Qui fait penser à un baobab.

                    Si le pain, la pomme de terre, et la limonade constituent l’essentiel de sa pitance, alors que d’autres veinards se remplissent le ventre de douceurs, c’est dû au Destin. S’il est tout le temps souffrant, le cerveau grillé par la fièvre, le responsable des microbes qui grouillent dans son corps, c’est le Destin. S’il rouille dans le chômage, tandis que certains gagnent un argent fou sans verser une goutte de sueur, c’est toujours le Destin. S’il étouffe lui et sa progéniture dans un taudis ou un logement-cage, et que des compatriotes à lui vivent dans des maisons qui évoquent un hôtel, c’est également le Destin. S’il gagne une misère en trimant comme un mulet. Si personne n’est venu frapper à sa porte pour demander la main de sa fille qui a complètement moisi dans l’attente. Vous avez deviné : c’est toujours l’implacable Destin qu’il invoque.

                    Évidemment, ça arrange certains responsables que l’Algérien colle tous ses malheurs au Destin. Et ça explique pourquoi ces responsables adorent les superstitions et les encourage en les nommant culture et identité. Ils lutteront, les malins, pour que le Destin fasse partie un jour des constantes nationales. Où trouveraient-ils une chance pareille ? Mais il ne faut pas oublier qu’un responsable algérien est avant tout et surtout un Algérien. Souvent, il ne s’agit pas d’un calcul de sa part, il est sincère, le Destin imprègne profondément sa vie. C’est pourquoi l’Algérie ne possède pas de projet de société. Ce qui est écrit, arrivera ! Pour un Algérien, s’asseoir autour d’une table et faire des plans pour l’avenir d’une ville par exemple est presque une perte de temps. Bien sûr, on se réunit tout le temps en Algérie, pendant des heures, mais sans accorder trop d’importance à la chose. Le Destin est présent dans la salle. On peut le lire dans les intonations, les paroles, les gestes et les regards. On en voit surtout les traces sur les procès-verbaux qui jaunissent dans les tiroirs. Qui ne sont jamais lus. Qui sont oubliés. Ou du moins négligés. L’Algérie est un navire piloté par le Destin.

                    Des humains aussi fatalistes que les Algériens, ce n’est pas la peine de vous déranger et de fatiguer votre mémoire, vous n’en trouverez nulle part. Même la littérature, qui pourtant a pour fonction principale d’inventer des histoires, n’a pas su produire un fataliste aussi parfait. Il semble qu’un certain Diderot a essayé avec un livre intitulé Jacques le fataliste, mais s’il était parmi nous aujourd’hui, il aurait sûrement déchiré son bouquin en mille morceaux.

                    Mais les exemples que nous avons cités plus haut pourraient faire croire que l’Algérien ne fait appel au Destin que quand il subit une quelconque injustice ou un évènement qu’il ressent comme une injustice. Non, ce n’est pas aussi simple que ça. L’Algérien ne se résume pas aussi facilement. Aucune description ne pourrait venir à bout de cet être bizarre. Voici d’autres exemples pour illustrer nos propos.

                    Quand un Algérien écrase un passant avec sa voiture, ce n’est pas dû à un excès de vitesse, au permis de conduire obtenu avec un pot-de-vin, ou aux trente bières qu’il a ingurgitées. Le chauffard qui était au volant, c’est le Destin. Quand il nettoie son arme, le canon dirigé sur son épouse, et qu’une balle part et traverse la poitrine de la pauvre femme, le doigt qui a appuyé sur la gâchette appartient au Destin. Quand il abandonne sur le sable d’une plage une boîte de conserve au couvercle aussi tranchant qu’un rasoir, et qu’un estivant marche dessus et récolte une blessure béante au pied, les vacances esquintées pour de bon, ce n’est pas lui qu’il faut montrer du doigt. Celui qui a tailladé la plante du pied du pauvre vacancier, c’est le Destin. Quand il laisse sans barrières une fosse qu’il vient de creuser au milieu de la chaussée, et qu’un passant se casse tous les os dedans, il n’y est pour rien. C’est encore le Destin qui a poussé le pauvre bonhomme dans le trou. Quand une Algérienne accouche tous les neufs mois jusqu’à ce que la ménopause vienne interrompre cet exploit cyclique qui a transformé la maison en pouponnière, et sa vie en enfer, ce serait une injustice de lui reprocher cette admirable fécondité. Elle n’a été qu’un simple distributeur de bébés entre les mains séductrices du Destin. Quand craignant la rumeur, elle se hâte de se débarrasser de sa fille en accordant la main de celle-ci au premier venu, et que ce dernier la lui renvoie de temps à autre tabassée et méconnaissable, ou l’enferme dans la cuisine jusqu’à ce qu’elle soit rangée dans une tombe, il ne faut pas l’accuser. C’est l’agence matrimoniale du Destin qui est à l’origine de ce malheur.

                    Vous voyez bien : il serait impossible de trouver une langue autre que la nôtre qui contiendrait un mot avec autant de force et de significations. On peut s’en servir dans toutes les situations. Vous n’aurez jamais une idée précise des services qu’il rend aux Algériens et de la reconnaissance révérencieuse que ces derniers nourrissent pour lui. Mot inépuisable. Mot magique. Là où il faudrait des heures de réflexion et de recherche pour expliquer un événement, dans les moments les plus gênants, l’Algérien prononce ce mot et tout rentre dans l’ordre. C’est une merveille ! La liste de ses vertus est aussi longue que celle des maladies que guérit le miel pur.

                    Et voici maintenant quelques conseils pour vous aider à chasser les mouches importunes qui pourraient venir zozoter autour de votre conscience et vous empêcher de déguster votre vie.

                    Si vous êtes un député et qu’un électeur mal élevé vous déclare qu’il a fait de vous un membre de l’APN gagnant plusieurs salaires par mois, non pas pour lever la main quand on vous le demande, mais pour parler de lui aux gouvernants, ne répondez rien à cet imbécile, ne soyez pas blessé par des idioties pareilles. C’est de la jalousie. Un jour il saura comme vous, que c’est le Destin qui a décidé de vous arracher à la vie traumatisante que vous meniez auparavant.

                    Si vous êtes nommé à un poste de responsabilité et qu’il vous parvient par des bouches amies qu’on répète partout que vous ne possédez pas les compétences requises, ou que c’est la main malpropre du piston qui est derrière votre nomination, laissez dire, ne vous tracassez pas, Monsieur. Les mauvaises langues sauront tôt ou tard comme vous, Monsieur, que c’est la main nette et pure du Destin qui vous a transformé en chef.

                    Si vous êtes un enseignant universitaire et que des envieux disent que vous percevez de l’argent pour des heures de vacation que vous ne faîtes pas, ou par l’intermédiaire d’un projet de recherche qui ne vous concerne pas, ne vous inquiétez pas, dormez tranquillement. Ils finiront, les jaloux, par se plier à l’évidence : le trésor public appartient au Destin.

                    Si vous êtes un patron et que des serviteurs fidèles vous rapportent qu’on raconte que vous faîtes trimer vos ouvriers plus que ne le faisaient les colons, continuez de les faire bosser comme vous l’entendez. C’est évidemment le Destin qui a divisé le monde des humains en deux : les patrons et ceux qui triment pour les patrons.

                    Les exemples foisonnent, mais il est temps de nous séparer. Cependant, nous voudrions ajouter quelque chose si vous le permettez. Ne croyez surtout pas que le mot « destin » n’a pas de place dans le parler des adolescents.

                    Que seuls les adultes en usent. Au contraire, nos enfants l’ont adopté et l’ont en quelque sorte modernisé. Par exemple, quand une jeune fille algérienne montre à ses copines la photo du beau garçon qui peuple ses rêves, elle roucoule, les yeux jetant des étincelles : c’est «mektoubi». C’est-à-dire, «mon destin». Vous voyez ! Il est partout ce mot ! Nous aurions aimé vous en parler encore, mais il était écrit que ce papier finirait sur ce roucoulement plein d’amour et de menaces.

                    Boudaoud Mohamed
                    le quotidien d’oran du 30 juillet 2009
                    Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots."
                    Martin Luther King

                    Commentaire


                    • #11
                      Ici c'est un peu les lettres Persanes (Montesquieu) avec quelques traits d'esprit voltairiens....vraiment chapeau bas à ce monsieur

                      Mais t'inquiète pas, j'ai 25 ans, je suis algérien et je peux faire mieux... (que de morgue, un peu de modestie monsieur)
                      Dernière modification par rossinhol, 09 novembre 2009, 00h03.

                      Commentaire


                      • #12
                        Et dire ,qu'il existe des gens pour dire que c'est du charabia!!
                        " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

                        Commentaire


                        • #13
                          Et dire ,qu'il existe des gens pour dire que c'est du charabia!!
                          "La chose la plus importante qu'on doit emporter au combat, c'est la raison d'y aller."

                          Commentaire

                          Chargement...
                          X