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Il était une fois" leur révolution "

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    Il était une fois leur Révolution
    par Kamel Daoud
    Une loi de statu quo mémoriel veut que chez nous on commémore mais on ne l'écrit pas, on se souvient mais on ne rédige rien, on se rappelle mais sans le public, on s'accuse mais on ne témoigne pas, on célèbre mais on ne va jamais dans le détail, on s'explique mais on n'assume pas. Du coup, on meurt sans rédiger ses mémoires ou on les rédige sans les avoir écrits, comme on les a vécus.

    La Guerre de Libération est tellement proche que les trahisons comme les héroïsmes sont encore frais. Du coup, l'exercice de mémoire et leur écriture ne sont pas un acte de témoignage mais un tribunal ambulant au bout de la langue de chaque libérateur ou une délation possible ou un exercice de chantage lisible entre les lignes. Du coup, on n'a pas d'histoire mais un choix terrible que le décès de Bachir Boumaza a réactualisé temporairement : soit le linge sale, soit la perte d'un témoin que la mort ne va pas nous rendre. Il est même inutile de rappeler que le déboisement mémoriel va s'accentuer avec le temps : on a déjà perdu les premiers enfants terribles de Novembre 54 qui sont partis dans avoir écrit ou laissé de traces pour les enfants du pays, sauf sous le générique commun de l'hymne national. Un jour, la colonisation française sera agréée comme positive, non pas parce qu'elle le fut mais parce qu'aucun témoin indigène n'aura laissé de trace du contraire, sauf dans le dessin rupestre de quelques fiches communales douteuses.

    Pire encore, à chaque fois que l'un des héros d'autrefois décède, il y a presque un soupir de soulagement qui s'entend dans le pays, à la hauteur de la bouche des compagnons du défunt illustre et qui voient ainsi se fermer une brèche ouverte dans l'histoire trop glorieuse qu'ils nous revendent. Les histoires d'avions de chasse français abattus avec un fusil de chasse valent mieux que celles des disputes de maquisards sur qui vont hériter les plus belles veuves de compagnons tombés au champ d'honneur.

    Ce totalitarisme de la bande dessinée officielle touche aujourd'hui même les libertés éditoriales. Vous pouvez acheter et lire les mémoires de Bill Clinton ou celles de Chirac, mais pas encore celles de Chadli par exemple, et que l'on dit encore sous le coup d'un interdit et d'une opération de filtrage qui ne va en laisser que ce qui a été diffusé par l'ENTV de l'époque. La règle veut que la mémoire n'est pas bonne pour le peuple qui peut en fabriquer des insultes à retourner à la figure de gens trop héroïques pour être honnêtes.

    Cette maladie de la mémoire sélective ne tue pas seulement le passé et l'avenir en ridiculisant le présent avec ses gerbes de fleurs. Pire, elle insulte. On y traite les Algériens comme de mauvais voisins venus d'ailleurs et qui ont droit à la terre comme ils ont droit à la mémoire : c'est-à-dire sur l'échelle des centimètres. Un rapport de méfiance, d'exclusion et de ségrégation revendiqué. On y considère les Algériens comme des serfs libérés par des héros et il y est sous-entendu que l'épopée de la libération est une geste de seigneurs féodaux, auteurs d'épopées incompatibles avec la vérité de chaque guerre de Libération, ses déceptions, retournements, faiblesses humaines et pics d'héroïsme.

    L'histoire chez nous n'a jamais pu se libérer de la propagande, l'écriture des mémoires n'échappe pas à son tour aux réflexes de la solidarité de convives. C'est un cliché d'alarme, mais la facture est terrible pour ce pays et ses enfants pas encore nés : la France a tenté de faire passer une révolution pour « des évènements d'Algérie », les survivants algériens de cette guerre tentent de faire d'une guerre de libération, une photo de groupe.

    Le Quotidien d'Oran .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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