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A quoi rêvent les étudiantes Afghanes de Kaboul?

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  • A quoi rêvent les étudiantes Afghanes de Kaboul?

    Un parc arboré, à l'abri du vacarme et de la pollution de la ville, de larges allées piétonnières où déambulent filles et garçons : dans la capitale afghane, l'université de Kaboul est un havre de tranquillité... et de mixité. Le campus et sa quinzaine de facultés accueillent cette année 14 000 étudiants, dont 25% de jeunes femmes. Point de burqa ici. Les filles portent de légers foulards; les tuniques, sur les pantalons, flirtent avec le genou, et certaines osent même la ceinture qui marque la taille.

    C'est à la faculté de langues et de littérature qu'elles sont le plus nombreuses: près de 700, soit une sur cinq, ont choisi cette filière. Elles ne dédaignent pour autant ni les sciences, ni le droit islamique. Mais elles ne sont qu'une grosse trentaine à vouloir devenir ingénieurs, et une dizaine seulement à se rêver agricultrices.

    Détruit par trente ans de guerres et soumis, ces jours-ci, à une nouvelle vague d'attentats revendiqués par les taliban, l'Afghanistan est aujourd'hui encore l'un des pays les plus pauvres de la planète. La plupart des femmes de ce pays ne savent ni lire ni écrire et plus de la moitié d'entre elles sont mariées avant même d'avoir fêté leur seizième printemps . Seule une infime minorité, d'origine citadine essentiellement, accède à l'enseignement supérieur. Les étudiantes de l'université de Kaboul sont des privilégiées. Mais elles sont aussi une avant-garde qui, envers et contre tout, conserve l'espoir d'une vie meilleure.

    Dans sa classe, elles ne sont que quatre filles. A 24 ans, Safia est en dernière année de licence d'architecture. La jeune femme n'a pas choisi la facilité : elle ambitionne de devenir urbaniste. "Nous n'en avons pas aujourd'hui en Afghanistan et c'est un métier qui me passionne", confie-t-elle. Cette brillante fille de médecin n'est pas pressée de terminer ses études. L'an prochain, elle s'inscrira en mastère. Et pourquoi pas, ensuite, un doctorat? Elle est sûre d'une chose: elle ne sera pas femme au foyer.

    Quelques dizaines de mètres plus loin, changement de décor: voici la faculté de droit islamique, la seule du campus à ne pas avoir de classes mixtes. On y croise de jeunes hommes barbus en salwar kameez (costume traditionnel), qui fuient le regard des femmes, et des filles en hijab. Mais on aurait tort de se fier aux apparences. Shabnam, qui a assorti son foulard - un imprimé dans les tons bleus - à son jeans, rêve elle aussi, à 18 ans, d'une vraie carrière professionnelle. Elle sera, dit-elle, magistrate.

    Après quelques hésitations, elle accepte d'être prise en photo. La voilà, assise à l'ombre, sur l'un des bancs jaunes fournis à l'université par un opérateur de téléphonie mobile, face à l'objectif. Les jeunes barbus n'apprécient pas et crient au scandale. Elle se crispe un peu mais tient bon. En se faisant prendre en photo, Shabnam a suscité la désapprobation des étudiants de la faculté de droit islamique, la seule où les classes ne sont pas mixtes.
    Courageuse Shabnam...


    Courageuse Anoucha, aussi.

    A 21 ans, inscrite en quatrième année de français, cette jeune femme poursuit ses études tout en s'occupant de son mari et de ses deux bébés âgés de 16 et 5 mois. "Lorsque la famille de mon mari a demandé ma main, une première fois, mes parents ont refusé parce qu'à 18 ans j'étais trop jeune. L'année suivante, ils sont revenus à la charge et, cette fois, ma famille a dit oui. Moi, je tenais à poursuivre mes études. Mes parents m'ont soutenue, mon mari et sa famille ont accepté ce choix."

    Pourquoi des naissances si rapprochées? "Mon mari souhaitait un second enfant." Ce que ne précise pas Anoucha, c'est que le premier-né était une fille. "Elle a eu de la chance que le second soit un garçon...", murmure sa professeure.

    Vida Pana a enseigné la langue française sous l'occupation soviétique, de 1987 à 1990. Elle a ensuite quitté l'Afghanistan pour la France et le Canada, avant de revenir à Kaboul, en 2003. "A la fin des années 1980, dit-elle, les comportements étaient plus libres. Les filles n'étaient pas voilées et il y avait davantage de mixité. En même temps, la liberté d'expression était moindre. Les étudiants ne pouvaient pas manifester, s'organiser.

    Aujourd'hui, il y a plus de démocratie sur le campus, mais filles et garçons gardent davantage leurs distances." Une évolution qui, selon elle, s'explique par la "provincialisation" de Kaboul. "Autrefois, poursuit-elle, la plupart des étudiants appartenaient à la bourgeoisie kaboulie. C'était eux qui donnaient le ton. Mais ces familles ont quitté l'Afghanistan avec l'arrivée des moudjahidin dans les années 1990 et la guerre civile qui a suivi. Elles ont été remplacées par des familles de provinciaux. Originaires pour la plupart du Nord, les nouveaux venus sont plus traditionnels, socialement plus conservateurs."

    Lorsqu'elle a repris ses cours, il y a cinq ans, Vida Pana a d'abord essayé de convaincre ses étudiantes de s'asseoir à côté des garçons. Elle a fini par y renoncer: "Dès que j'avais le dos tourné, elles étaient de nouveau entre elles! C'est bien souvent leur première expérience de la mixité, les débuts sont parfois difficiles." L'enseignante n'en souligne pas moins les progrès enregistrés ces dernières années. "En 2003, lorsque je suis rentrée, la peur des taliban était encore très présente. Beaucoup de filles portaient une burqa, qu'elles rangeaient dans un sac en plastique avant d'entrer en cours."

    Les étudiantes affirment toutes vouloir travailler après leurs études. "Dans la réalité, soupire Vida Pana, ce qu'elles feront dépendra de leur mari." Maria, 23 ans, jeune Pachtoune (l'ethnie majoritaire, très conservatrice) aux yeux clairs, toute de rose vêtue, soutient qu'elle n'épousera qu'un homme qui l'autorise à avoir une vie professionnelle.

  • #2
    Hadiba, une Hazara (ethnie minoritaire proche de l'Iran) de 20 ans qui apprend le chinois et rêve de travailler dans la finance, affirme, elle, ne pas vouloir de mari. "Je veux réussir", confie la jeune femme, qui avoue aussi "prier pour que les taliban ne reviennent jamais". "En Afghanistan, le mari se prend pour le boss, la femme doit tout faire. Moi, je veux d'abord trouver ma voie", renchérit Tamina, 21 ans. Le journalisme la tente: "J'aimerais montrer à la télévision la réalité de la vie des femmes dans les villages."

    Décrocher une bourse à l'étranger, "aux Etats-Unis si possible"


    La famille de Tamina vit dans une cité construite par les Soviétiques dans les années 1970. Diplômé d'économie, le père, aujourd'hui décédé, travaillait au ministère du Commerce. C'est lui qui a poussé ses filles à faire des études. Sous les taliban, la petite suivait les cours que donnait chaque jour, clandestinement, une enseignante du quartier. Mujiba, sa soeur aînée, la faisait travailler à la maison, l'anglais surtout. Pharmacienne, cette dernière travaille désormais pour les Nations unies. Elle se souvient encore de ce jour où les taliban l'ont frappée en pleine rue, parce qu'elle avait osé rire sous sa burqa...

    Comme Tamina, beaucoup des jeunes femmes inscrites aujourd'hui à la fac ont effectué leur scolarité, tant bien que mal, grâce au dévouement d'enseignantes qui les recevaient chez elles, par petits groupes et en cachette. D'autres sont issues de familles qui avaient choisi de s'exiler, généralement au Pakistan voisin, où elles ont été scolarisées.

    C'est le cas de Farechta, 22 ans, qui a passé son adolescence à Quetta, au Pakistan, et n'est rentrée qu'en 2006 en Afghanistan. La jeune femme est la dernière d'une famille pachtoune de propriétaires terriens originaires de la région de Farah (Ouest). Elle n'a pas moins de 7 frères et 5 soeurs. "Lorsque nous nous sommes installés à Kaboul, il y a trois ans, je suis d'abord restée à la maison. Mais j'avais l'impression de perdre mon temps. Je voulais continuer mes études."

    Scolarisée en anglais et en ourdou au Pakistan, elle ne peut être admise à l'université de Kaboul. Son frère aîné l'inscrit dans un institut privé, où elle prépare aujourd'hui une licence en management des entreprises. C'est lui également - le père est décédé - qui paie la scolarité, 5400 dollars pour quatre ans.

    Farechta, qui reçoit dans le salon familial, a des idées arrêtées sur ce qu'elle veut faire: d'abord, obtenir son diplôme, puis acquérir une première expérience professionnelle en Afghanistan, et postuler ensuite pour une bourse à l'étranger, "aux Etats-Unis si possible".

    La jeune fille se réjouit d'avoir "des frères compréhensifs". Elle ajoute qu'avec le temps ils ont évolué, qu'ils sont "plus ouverts" avec elle qu'ils ne l'étaient avec ses soeurs aînées. Elle espère surtout qu'ils l'autoriseront à partir si elle décroche une bourse. "Ici, c'est mal vu de laisser une fille s'en aller à l'étranger." Mais, quoi qu'ils décident, elle leur obéira. "Je devrai obtenir leur permission. C'est une chose que l'on ne peut pas changer."

    "L'éducation peut permettre aux femmes de défendre leurs droits"


    Les rêves d'indépendance se brisent parfois. Les parents disent non. Le mariage est imposé... Mais, bien souvent aussi, ce sont les mères qui poussent leurs filles à étudier. Avant de recevoir L'Express chez elle, dans sa maison de torchis du quartier hazara de Dachtibarch, au sud-ouest de Kaboul, la timide Hassina, 19 ans, a demandé la permission de sa maman. Kobra, dont les quatre garçons et les quatre filles poursuivent tous des études, a dit oui.

    "L'éducation est la clef de tout, affirme cette mère au foyer. Elle seule peut permettre aux femmes de défendre leurs droits." Comme dans beaucoup d'autres familles, c'est la grande soeur de Hassina qui s'est improvisée institutrice à domicile lorsque les taliban ont fermé les écoles de filles. "On cachait les livres, se souvient Kobra. On arrêtait même de psalmodier le Coran lorsqu'ils étaient dans les parages!" Hassina, comme toutes les autres, voudrait travailler après le mariage. "On n'étudie pas pour rien", argumente-t-elle.

    Kobra préfère laisser toutes les options ouvertes. "Le mieux serait qu'elle se marie pendant sa dernière année à l'université, ce qui lui permettrait de finir ses études. Ensuite, elle verra." Elle, mais aussi son mari et la famille de son mari... Demander à Kobra s'il ne faudrait pas aussi, un peu, changer les hommes déclenche chez elle un grand éclat de rire.

    Venue en voisine, Najiba, 22 ans, la meilleure amie de Hassina, étudiante elle aussi, est plus loquace. "Nous aurions besoin, lance-t-elle, d'une grande campagne, à la télévision et partout, pour changer les mentalités des hommes!" Son regard est celui d'une femme libre. De combien de coups de fouet aurait-elle écopé pour de tels propos lorsque les "étudiants en religion" régnaient en maîtres à Kaboul?

    Scolarité et maternité

    En Afghanistan, poursuivre des études est un privilège, surtout pour une femme. Le taux d'analphabétisme féminin est estimé à 87%, contre 50% pour les hommes. Et si 2 millions de filles sont aujourd'hui scolarisées - pour 4 millions de garçons - elles ne sont que 5% à continuer dans le secondaire. Mariées très jeunes - 57% avant l'âge de 16 ans - elles ont en moyenne 6,6 enfants. Près d'une femme sur trois met au monde son premier-né avant l'âge de 16 ans, une sur 10 avant 15 ans. L'Afghanistan est en outre le pays au monde, après le Sierra Leone, où le taux de mortalité maternel à la naissance est le plus élevé: une femme sur 9 meurt en couches.


    Les Grandes heures d'une université


    Créée en 1932, l'université de Kaboul a longtemps été l'une des plus prestigieuses d'Asie. Les femmes y ont été admises à partir de 1960. "Nous étions très ouverts sur l'extérieur, se souvient Amine Farhang, qui y a enseigné l'économie au début des années 1970. La plupart des facultés avaient établi des accords de partenariat ou de jumelage avec des universités étrangères. Le foyer des étudiants était alors un centre d'activités politiques. Il y avait des nationalistes, des communistes, pro-Moscou ou pro-Pékin, des fondamentalistes..." Ahmed Chah Massoud, le futur "Lion du Panchir", et Gulbuddin Hekmatyar, le fondateur du Hezb-e-islami, étaient inscrits à l'école d'ingénieurs, Burhanuddin Rabbani y étudiait la théologie."Toute l'élite afghane est sortie de cette université, souligne Hamidullah Amin, son recteur actuel. Le déclin a commencé avec l'arrivée au pouvoir des communistes, en 1978. Des enseignants ont été arrêtés, d'autres ont pris le chemin de l'exil. Ensuite, au début des années 1990, les groupes de moudjahidin qui se disputaient le pouvoir ont transformé le campus en champ de bataille. Nous avons tout perdu. Nos laboratoires, notre bibliothèque. Après, il y a eu les taliban.

    Par Dominique Lagarde, L'Express

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