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Le Débat juridique au Maghreb

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    De l’étatisme à l’Etat de droit

    Car il ne faudrait pas se méprendre : ce qui fait une université, ce sont ses traditions, c’est sa matière grise, c’est son corps professoral armé d’éthique et de déontologie et non pas comme on veut nous le faire croire, le nombre d’étudiants, le nombre de places pédagogiques ou tout autre paramètre fallacieux (généralement chiffré ou quantitatif) résultant d’une approche bureaucratique du monde universitaire.Dans les facultés de droit notamment, cette tradition prend la forme d’une production intellectuelle collective qui débouche sur un ouvrage dénommé Mélanges ou études en l’honneur du Maître à célébrer, désigné pour la circonstance par le terme de « dédicataire ». En Algérie malheureusement une telle tradition n’existe pas encore et les rares tentatives pour l’instaurer ont échoué.

    C’est sans doute pourquoi, la toute première initiative tendant à l’élaboration des mélanges en l’honneur d’un des deux pionniers de l’agrégation en droit, le doyen et publiciste Ahmed Mahiou (l’auteur pionnier étant, pour le droit privé, le professeur Mohamed Issad) a été pris de l’autre côté de la Méditerranée, au sein des institutions universitaires et de recherche de la ville d’Aix-en-Provence où le doyen s’est établi depuis quelques années.

    Le mérite de cette initiative revient à trois éminents juristes universitaires qui ont conjugué leurs efforts pour porter un aussi noble projet : il s’agit du Tunisien Yadh Benachour, du Français Jean-Robert Henry et de l’Algérien Mehdi Rostane. Précisons néanmoins, qu’avant cette louable initiative, un colloque a été organisé les 17 et 18 janvier 2003 « en l’honneur d’Ahmed Mahiou » autour du thème « les Nations unies et l’Afghanistan ». Cette manifestation scientifique a constitué les onzièmes Rencontres internationales d’Aix-en-Provence dont les actes ont été publiés par les éditions Pédone en 2003. Les travaux qui en ont marqué le déroulement et auxquels a notamment participé Lakhdar Brahimi en sa qualité de représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afghanistan, étaient articulés autour de trois axes de réflexion. Le premier avait trait à la position des Nations unies face aux défis de la crise afghane. Le deuxième consistait en une interrogation sur le rôle des Nations unies dans l’après 11 septembre 2001.

    Quant au troisième axe qui fit l’objet d’une table ronde à laquelle a participé un autre Algérien, Smail Hamdani ( juriste, diplomate ancien chef de gouvernement et membre fondateur de l’Association algérienne pour les relations internationales) il a porté sur l’intrusion du radicalisme islamique dans les relations internationales, entre mythes et réalités. A travers cet événement, les organisateurs ont, manifestement, choisi de rendre hommage à Ahmed Mahiou, en sa qualité de professeur, mais également comme praticien du droit international public, car, comme l’a énoncé Rostane Mehdi (qui a joué un rôle décisif dans l’organisation de ce colloque) dans son allocution d’ouverture, le doyen Mahiou « a contribué à la promotion d’un droit international conçu comme pour un levier du changement et de la transformation du système international ». C’est sans doute parce que la dimension « internationaliste » de la pensée et de l’œuvre du doyen Mahiou avait déjà servi de prétexte à ce colloque de 2003, que les initiateurs des mélanges qui lui sont offerts cette année, ont préféré donner la priorité à la dimension « interniste » (pour reprendre un terme emprunté aux sciences médicales) de la production intellectuelle du dédicataire.

    Sous le titre De l’étatisme à l’Etat de droit qui constitue Le débat juridique au Maghreb, les professeurs Yadh Benachour, Jean-Robert Henry et Rostane Mehdi ont choisi d’organiser et de présenter les 25 contributions qui constituent cet ouvrage à partir d’une problématique à la fois complexe, riche et pertinente. La problématique étant ainsi retenue et, pour donner d’avantage de cohérence à l’ouvrage, les trois professeurs n’ont pas estimé pertinent de retenir le terme de « Mélanges » pour qualifier cet ensemble d’articles et de réflexions.

    Aux lieu et place de ce terme à la charge quelque peu négative dès lors qu’il pourrait suggérer une excessive diversité et une trop grande disparité entre les contenus des articles, les initiateurs et coordinateurs du projet ont retenu la formule plus sobre de Etudes en l’honneur de Ahmed Mahiou.

    Ceci étant précisé, l’ouvrage est composé de 400 pages distribuées en deux grandes parties selon un harmonieux équilibre digne des leçons d’agrégation en droit. La première (page 21 à 211 soit 190 pages) porte l’intitulé Sur les chantiers juridiques de la décolonisation, La deuxième (page 213 à 401 soit 188 pages) est consacrée aux Méandres de l’Etat de droit. Ces deux parties qui regroupent les 25 contributions sont précédées d’une introduction intitulée Ahmed Mahiou, juriste maghrébin, suivie de la présentation du curriculum vitae du dédicataire ainsi que d’une extraordinaire liste de ses publications et travaux.

    A la lecture de l’introduction, l’on découvre que si, ces dernières années, le droit et les relations internationales ont, en quelque sorte, happé le doyen Mahiou, il reste qu’il a beaucoup donné et continue à offrir, avec une rare générosité dans l’effort, non seulement à la science et à la doctrine juridiques en Algérie mais également au champ juridique maghrébin dans son ensemble. Aussi et en plus du bel hommage qui est ainsi rendu au dédicataire, l’introduction comporte un message d’une grande force à l’endroit des juristes algériens : la science juridique en Algérie sera maghrébine ou ne le sera pas !

    En feuilletant les pages consacrées au CV de Ahmed Mahiou et à ses travaux l’on a littéralement le souffle coupé devant une vie ( que nous espérons encore longue) aussi bien remplie et dédiée entièrement à la science. Alliant harmonieusement la théorie et la pratique, le droit et la science politique, le droit international et le droit interne (droit administratif, droit constitutionnel, droit des libertés publiques …..), le dédicataire fait montre d’une érudition rare. La liste des travaux qui est, faut-il le souligner, exceptionnelle est cependant incomplète : il était, à notre humble avis, impératif, de faire la recension de l’ensemble des mémoires et des thèses de doctorat que Ahmed Mahiou a invités et dirigés. Car c’est là un domaine où le dédicataire a également excellé n’hésitant pas à mettre sa propre bibliothèque à la disposition des ses étudiants en plus de ses judicieux conseils, de ses idées, de ses hypothèses et ses intuitions .

    S ’agissant de la première partie, intitulée Sur les chantiers juridiques de la décolonisation, elle est composée de 13 études produites par de prestigieux professeurs qui ont eu à officier à la faculté de droit d’Alger dans les années soixante et soixante dix : Claude Bonterms, Jean-Robert Henry, Jean Louis Autin, Jean Claude Vatin, Michel Miaille. A ces cinq professeurs, se sont joints neuf contributeurs maghrébins dont un Tunisien, trois Marocains et cinq Algériens (le Doyen Noureddine Terki,Azzouz Kerdoun de Constantine, le juriste et écrivain Noureddine Saâdi et deux élèves du dédicataire, Ali Mebroukine et Chérif Bennadji).

    Les contributions de cette première partie participent de l’hommage mérité aux efforts faits par Ahmed Mahiou dans le cadre du processus de l’algérianisation du droit et de la construction de l’Etat national. Ces efforts ont d’ailleurs fait l’objet d’une reconnaissance par la République algérienne qui lui a décerné en 1987 la médaille du mérite scientifique.

    Quant à la deuxième partie consacrée aux Méandres de l’Etat de droit, elle est constituée de 12 études élaborées dans leur quasi totalité par des universitaires maghrébins. En effet hormis la contribution, au demeurant remarquable, du professeur François Borella (qui fut le directeur de thèse de Ahmed Mahiou) consacrée aux incertitudes de l’Etat de droit, toutes les autres études sont versées par des grands noms de la doctrine juridique tunisienne (Yadh Benachour) et son frère Rafaâ, Sadok Belaïd et Abdelfattah Amor), marocaine (Omar Bendourou) et algérienne (le doyen Madjid Benchikh, les professeurs Nacer-Eddine Ghozali, Ramdane Babadji, Bachir Yelles Chaouche, Gherari et Rostane Mehdi).

    Les études retenues pour cette deuxième partie confortent les préoccupations scientifiques du doyen Mahiou qui, après avoir œuvré à l’algérianisation du droit de l’Etat national, s’investit dans la radicale transformation de cet Etat. Sommé de se débarrasser des oripeaux de l’étatisme qui est la marque de la faiblesse des institutions, l’Etat national en Algérie se doit de se transformer en Etat de droit qui est la marque de la force des grandes nations dans le monde moderne.

    Dans cette nouvelle phase historique le droit et la science juridique, servis par des hommes de la trempe de Ahmed Mahiou ou s’inspirant de sa vie et son œuvre, sont absolument nécessaires et indispensables pour la pérennité même de l’Etat national restauré voilà à peine cinquante ans et qui subit tous les jours les affres de la mondialisation. Aussi n’est ce pas énoncer un truisme que d’affirmer que l’instauration - renforcement de l’Etat de droit ne saurait se suffire d’une réforme de la justice. Il est urgent de mettre en œuvre une véritable réforme et un programme spécial pour les facultés de droit. Décriées par le doyen Mahiou lui-même, ces dernières une fois réformées, devraient constituer l’alpha et l’oméga de l’Etat de droit.

    Pour exister et se consolider, ce type d’Etat a en effet, grandement besoin d’une science et d’une culture juridique que seules d’authentiques facultés de droit peuvent produire. En renfermant ce bel ouvrage qui fera date dans la littérature juridique, l’on se doit de remercier les professeurs Yadh Benachour, Jean -Robert Henry et Rostane Mehdi de nous avoir permis de mieux connaître la vie et l’œuvre d’un de nos maîtres et de nos parangons et d’avoir inauguré le premier acte d’une belle tradition universitaire. Gageons que les juristes de ce côté-ci de la Méditerranée qui auront été piqués au vif à cette occasion, saisiront cette opportunité pour reprendre l’initiative et offrir au professeur Mohand Issad, aux doyens Nourredine Terki et Hamid Berchiche ( les mélanges du doyen Madjid Bencheikh sont en phase d’élaboration), aux professeurs Ghaouti Benmelha et Mohamed Boussoumah, des études ou mélanges de qualité à la mesure de ce que ces maîtres ont apporté à des générations d’étudiants.


    Par Chérif Bennadji , Mohamed Louber, El watan
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