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Le Parfait du subjectif: clin d’oeil au féminin

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  • Le Parfait du subjectif: clin d’oeil au féminin

    En Algérie, on entend peu la poésie, on n’en lit pas dans nos cercles mâles fermés. Et l’on dit que la poésie ne nourrit pas même son homme - et de quoi se nourrit-il donc? -, que la poésie féminine serait subjective, - à la bonne heure, toute création est subjective! Et quoi qu’en disent certains trouble-fête, Bachelard a raison: «La poésie est une puissance active de la vie d’aujourd’hui.»

    D’une certaine façon, avec la publication Le Parfait...du subjectif (*), réunissant des poèmes de Yza Kalim, Samia Bensemane et Aldja Seghir, toutes les trois ayant fait des études universitaires, Sid-Ali Sekhri, libraire-éditeur, bientôt auteur de Dialogue des Citations, un roman à paraître, s’évertue à faire connaître dans sa collection Souffles, ce qui a été appelé, en page 4 de la couverture, «sensibilités nouvelles» dans le genre poésie. Sekhri en est au numéro 2 de sa collection, - le premier a été consacré au trio Khadra Latrèche, Nadia Belkacemi et Leïla Nekkache.

    Au passage, je m’amuse à considérer le choix du nombre «trois»; on sait que ce nombre magique joue un rôle assez marqué dans la croyance populaire qui préjuge d’une influence décisive exercée par ce nombre sur le déroulement de la vie. Eh bien, longue vie à cette collection et...aux femmes poètes!

    La tentative de renouvellement mérite d’être remarquée, car elles sont loin dans le passé, nos «belles poétesses» au verbe brûlant d’audace, aux symboles éclatants, aux vers pleins de révolte, aux rythmes multiples généreusement joyeux, et pourtant crépitant avec la rage au coeur: Malika O’Lahsen, Leïla Djabali, Anna Gréki, Zehor Zérari, Danièle Amrane, Assia Djebar, Nadia Guendouz, Nafissa Boudalia,...et, plus récemment, Nassira Belloula, Zineb Laouedj, Djamila Zenir, Chehrazade Zaguer, Inaâme Bayoud, Fouzia Laradi, Samira Negrouche, Badra Messaoudi, Fakia Mesbahi,...

    Avec Le Parfait...du subjectif, l’objectivité appartiendrait au masculin, la subjectivité au féminin. La confusion de l’objectif et du subjectif est totale et se verbalise dans un rapport qui n’a aucune représentation esthétique viable.
    Pourtant, incontestablement en quelque genre que s’exprime la parole de la femme, la réalité transparaît en une évidence bien saisie que la qualité des émotions féminines relève, d’un degré déterminé, la sensibilité masculine. La poésie de la femme donne aux choses des dimensions plus grandes et ne se réalise que par la force et l’ampleur de sa subjectivité.

    La poésie féminine des années de lutte de libération nationale, nous avait émus par son témoignage des horreurs subies et de la souffrance, et par l’identité algérienne qui y était affirmée, -

    «Il ne faut plus dire des mots qui n’ont pas de drapeau», disait le poète en ces temps durs et d’humiliation. Aujourd’hui, des femmes poètes se dressent en lumière pour dire leur société, leur besoin d’y vivre sereines et responsables. Au-delà de la femme mère, elles défendent leurs droits en écrivant leurs espérances sur le plan de la légitimité d’être vivantes dans les entrailles de leur peuple. Y. Kalim, S. Bensemane et A. Seghir sont trois femmes cultivées et responsables; elles se racontent différemment, un seul fil les relie: la sincérité dans la transmission de leur rêve, où la poésie prend la forme prosaïque d’un langage plongé dans leur vie personnelle aux facettes multiples.

    Chez Yza Kalim, le poème exprime les jugements de sa nature particulière, essentiellement dans Poèmes arrachés au coeur de Nehla. Treize chants intérieurs s’y déploient, des chants de la souffrance vaincue et de la recherche d’une âme déchirée. Elle décrit «Le désert de sa vie» en des vers échevelés, sans économie de tendresse ni de réalisme, et où le «Je» se glisse dans une âme enflée de son propre subjectivisme doucement déraisonnable. Cependant, le souffle est long et il y a des promesses...

    Chez Samia Bensemane, le registre poétique trouve de la richesse dans les élans d’un coeur à l’écoute d’un environnement nostalgique. C’est une sorte d’errance dans des souvenirs tour à tour perdus et retrouvés. Sa recherche du père a des résonances émouvantes («Je sors de l’ombre et j’en suis fière. / La force, c’est toi qui es / MON / Père», d’autant que l’être-compagnon habite une «Terre de glace» et que «Le temps, le temps / Le temps qui passe» court à l’infini, «Le temps, le temps / Le temps quoi que / Tu fasses / Le temps, le temps / Le temps cet ennemi.». Le vers, et même l’image poétique, se présentent comme une combinaison de pensées débordantes sur des variations à effet subjectif pour révéler une femme en souffrance et que je retrouve dans «Naufrage», «Prémonitions», «Exil», «Crépuscule».

    En exergue à ses poèmes, on lit cette déclaration: «Aucun regret pour le passé, aucun remord pour le présent, beaucoup d’espoir pour le futur.» Les préoccupations de cette femme se mesurent d’abord dans un niveau de langage représentatif d’une pensée de poète mûrie par les aléas de la vie et les troubles vécus dans un monde qui semble la priver d’existence, c’est-à-dire du bonheur d’être: «Quelle est ta destinée? / Que d’illusions tu t’es bercée / Que de paroles douces et / insensées, / Que de jours, que de mois, que / d’années / Que de siècles, que d’infini / Que faudrait-il pour y changer / Ta condition de subordonnée?» Ah! que vienne donc l’amour infini «Au son du rythme, des mandoles / De la cithare et des tambours / Pour nous pardonner nos années / Folles»!

    Chez Aldja Seghir, les images servent à traduire aussi bien son attachement à la vie que son désarroi devant «Le destin rompu d’un pendu». Sans doute «Ainsi va la vie», et les «Voluptés orphelines», «Quand le printemps s’en va» et que «Passe la chanson». Sans doute. Cependant, l’amour est au-dessus de toutes les contingences, et toutes les prières n’y feront rien. «Le monde amputé» reste un monde amputé! Un certain mysticisme régule les envolées lyriques d’une femme à la recherche de sa «paix» intérieure. Le poème Lettre ouverte à...me paraît très significatif de sa haine de l’injustice et de sa désolation terriblement fanatique.

    En somme, Le Parfait... du subjectif, lui aussi a charge d’âme.

    Le souffle de chacune de ces trois femmes poètes pourrait porter loin. Mais cet essai de poèmes est-il de poésie? Un rêve sans la lumière, ne serait-il pas cauchemar de littérature? En tout cas, l’expérience de Sid-Ali Sekhri me ravit, car il va devoir ne pas cesser de nous convaincre que, selon Louis Aragon auquel il a raison de se référer, «L’art des vers est l’alchimie qui transforme en beautés les faiblesses. C’est le secret des plus mystérieuses réussites de la poésie, française au moins. Où la syntaxe est violée, où le mot déçoit le mouvement lyrique, où la phrase de travers, se construit, là combien de fois le lecteur frémit.» Dont acte.

    (*) Le Parfait...du subjectif
    de Yza Kalim, Samia Bensemane, Aldja Seghir
    Éditions Mille-Feuilles, Alger, 2008, 84 pages

    Par Kaddour M´HAMSADJI, l'Expression
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