Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Offrons aux jeunes les clés du pouvoir et de la liberté

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Offrons aux jeunes les clés du pouvoir et de la liberté

    Roberto Di Cosmo, chercheur en informatique «Offrons aux jeunes les clés du pouvoir et de la liberté»

    Fervent défenseur des logiciels libres, cet «Informaticien» avec un grand I soutient qu'ils sont un outil pédagogique sans pareil et les garants de la démocratie.

    Qu'est-ce qu'un chercheur en Informatique, avec un grand I ?

    Quand quelqu'un découvre que je «fais de l'Informatique», il me demande souvent des conseils pour se débarrasser d'un virus sur son ordinateur. Cela témoigne de la difficulté à séparer dans les esprits l'informatique avec un petit «i» de celle avec un grand «I». D'une part, parce que le public dispose, comme dans aucun autre domaine, d'une abondance de revues de vulgarisation : c'est l'informatique avec un petit «i». D'autre part, parce que nous-mêmes, les chercheurs, avons commencé tard à faire connaître la nature de nos travaux. Les logiciels figurent parmi les objets les plus complexes créés par l'homme. Certes, c'est moins tangible que pour un Airbus ou un accélérateur de particules, mais je vous assure que c'est aussi ardu à mettre au point ! Appuyer sur une simple touche de clavier active des centaines de millions de portes logiques à travers des couches complexes de logiciel, et pourtant, nous faisons tout pour qu'on ne s'en rende pas compte, ce qui tend à banaliser nos travaux.

    Si vous ne luttez pas contre les virus, que faites-vous ?


    Notre science est celle de l'Information, l'art de traiter des données (textes, images, listes, cartes...) par des méthodes mécanisées, c'est-à-dire «calculables». Ses branches sont multiples. Vous pouvez ainsi chercher à déterminer quels problèmes sont calculables et lesquels ne le sont pas. En effet, malgré leur toute-puissance supposée, les machines ne peuvent calculer qu'une part infime des fonctions existantes. On le sait depuis les années 1940, avant même qu'il y ait des ordinateurs ! On peut aussi réfléchir au meilleur moyen de résoudre un problème : le temps de calcul augmentera-t-il linéairement ou exponentiellement avec la taille du problème ? D'autres branches s'intéressent à la conception et à la sécurité des programmes, aux protocoles de communication... C'est une discipline jeune. Songez que dans les années 1980, les cours étaient donnés par des professeurs qui n'avaient pas fait d'Informatique ! Ils étaient mathématiciens, ingénieurs...

    Justement, quelle différence avec les maths ?


    Comme en maths, notre travail consiste à remplacer des procédures compliquées par des objets plus condensés ou plus généraux. C'est un combat permanent. La différence est que nous devons convaincre à la fois des collègues et des machines ! Je me souviens qu'au Cern (l'organisation pour la recherche nucléaire européenne), dans les années 1980, les physiciens ne pouvaient pas manipuler les résultats de leurs expériences car les ordinateurs n'arrivaient tout simplement pas à trier rapidement les données. Des informaticiens leur ont alors montré une méthode beaucoup plus efficace. Ils ont été regardés différemment... Un autre point commun avec les maths est que lorsque nous nous attaquons à un problème, nous commençons toujours par un papier et un crayon.

    Comment peut-on être informaticien sans écran, ni souris, ni ordinateur ?

    A l'école, on confond trop utilisation d'outils et apprentissage des concepts. Qui aurait l'idée de dire qu'il suffit d'une calculatrice pour faire des maths ? Le projet Computer Science Unplugged (1), impulsé par des chercheurs australiens et néo-zélandais, propose des contenus pour faire de l'informatique à l'école sans ordinateur. Les enfants apprennent les rudiments du calcul binaire ou «miment» différentes méthodes de tri de données... sans jamais mettre en marche un PC. L'Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria) est en train de le traduire en français. Les notions de base de l'informatique doivent être étudiées dès le secondaire.

    A quoi bon ? Tout le monde n'a pas vocation à devenir informaticien.


    Regardez la fascination qu'ont les jeunes générations pour la magie, qui est l'art de produire de grands effets avec de petites incantations. L'Informatique est aujourd'hui une des sciences les plus accessibles pour répondre à cette soif de magie : les incantations sont les algorithmes et les programmes, les grands effets sont les traitements sophistiqués des données dont notre société a besoin chaque jour davantage. On peut se borner à donner aux jeunes de la «magie en boîte» en leur apprenant à utiliser un tableur ou un moteur de recherche, mais ce serait renoncer à leur offrir les clés de leur liberté. Car le pouvoir appartiendra à ceux qui sauront décrypter et utiliser ces connaissances. Je suis stupéfait de voir à quelles horreurs peut mener le manque de culture : par exemple aux machines à voter électroniques. Pour répondre, dit-on, à des problèmes comme l'abstention ou la fraude, on met en danger deux principes forts du vote, l'anonymat et la vérification. Or la sincérité du vote doit pouvoir être vérifiée par tout le monde, même par les non-informaticiens. Dès qu'on vous dit : «Ne vous inquiétez pas, quelqu'un va vérifier», vous ne pouvez plus avoir confiance. Pour comprendre cela, il faut savoir que ce qu'on lit sur l'écran est différent de ce qu'il y a dans la machine. Il faut distinguer l'information de sa représentation. Les logiciels libres sont un moyen de faire de la pédagogie sur ces questions.

    Que sont les logiciels libres ?


    Des logiciels qui possèdent quatre propriétés principales : on est libre de les utiliser, de les étudier, de les modifier et de les distribuer. Cela impose que le code source, c'est-à-dire les lignes de programmes avant leur conversion en langage machine, incompréhensible pour un humain, soit disponible. La notion de logiciel libre s'oppose à celle de logiciel «propriétaire», où souvent seul le code compréhensible par la machine est disponible.

    Quel intérêt d'utiliser un logiciel libre si l'on ne sait pas modifier un programme ?

    C'est une question de sécurité et de garantie des libertés. Je ferai l'analogie avec les lois : si elles sont écrites dans un langage qu'on ne comprend pas, à quoi cela sert-il qu'elles soient publiques ? On pourrait faire confiance aux avocats et aux juges sans avoir à connaître une seule ligne du code pénal. Le feriez-vous ? Je n'en suis pas si sûr... Il faut toujours qu'on puisse choisir quelqu'un de confiance capable d'«ouvrir la boîte» pour nous, même si cette information nous est personnellement incompréhensible. De plus, l'importance du logiciel libre va bien au-delà de la gratuité qui lui est souvent associée. Il peut être un moyen de préparer nos étudiants à la complexité de l'informatique de demain.

    En quoi sera-t-elle différente ?

    Mon premier ordinateur, il y a plus de 25 ans, n'avait qu'un seul kilo-octet (ko) de mémoire. Aujourd'hui, les machines standard en possèdent un million de fois plus. A l'université, j'apprenais des algorithmes simples et j'écrivais tout seul de petits programmes de A à Z. Aujourd'hui, nous sommes passés à une autre échelle. Lorsqu'il s'intéresse à un système, un ingénieur doit décrypter, dans les logiciels, le travail de ses prédécesseurs, réparti en couches successives, souvent sans disposer d'autre documentation que le code. Pour concevoir de nouveaux systèmes, il a à sa disposition une multitude de briques logicielles «toutes faites», qu'il doit assembler pour en faire un système complexe sans que cela ressemble à un Lego informe ! Cette complexité ne peut plus s'apprendre en se limitant aux notions de base que sont les langages et les algorithmes : il faut aller plus loin, en mettant nos étudiants en contact avec les systèmes logiciels d'aujourd'hui. Certains collègues sont conscients de ces enjeux, et une piste intéressante vient justement des logiciels libres : un étudiant peut comprendre les choix qui ont été faits par les développeurs, et même échanger avec eux. Il peut ainsi mieux «grimper sur les épaules des géants» et rajouter sa pierre à l'édifice déjà en place.

  • #2
    Cet engagement pour le libre vous a conduit à critiquer sévèrement Microsoft et son fondateur Bill Gates. Pourquoi ?

    A l'époque, il y a plus de dix ans, j'étais à contre-courant, et j'ai énergiquement critiqué cette multinationale : aujourd'hui, c'est devenu banal. Mais je suis toujours très agacé que l'on puisse penser que Microsoft a contribué à démocratiser l'informatique dans le monde. C'est tout le contraire ! Nous avons pris quinze ans de retard technologique à cause de ce type d'entreprises ! Il y a vingt ans, j'avais la possibilité de travailler sur des ordinateurs performants et accessibles (les Next) qui, contrairement aux PC équipés du système d'exploitation Windows de Microsoft, disposaient de l'interface graphique à l'origine de celle de Mac OS X. Comment Microsoft a-t-il réussi à s'imposer malgré tout ? Grâce à des pratiques commerciales scandaleuses : profitant de son monopole, elle impose la vente de ses produits à des gens qui n'en veulent pas ! Contrairement à ce que l'on croit, le pouvoir n'est pas dans les mains du consommateur, mais dans celles de qui contrôle le circuit de distribution.

    Comment faire vivre l'industrie du logiciel autrement que par la vente de licences ?


    L'économie est «l'art de l'allocation des ressources rares». Or, pendant trente ans, nous avons été formatés sur l'idée fausse que la copie d'un logiciel est rare puisque nous la payons, parfois cher, à coup de licences et de brevets ! Or, une «copie» d'un logiciel existant ne coûte rien. La vraie rareté, c'est la compétence, les idées et les gens qui les mettent en oeuvre en amont pour fabriquer la première copie. Comme le dit l'Association des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres pour l'administration et les collectivités territoriales (Adul- lact), «un logiciel libre est gratuit, quand on l'a payé une fois». Autrement dit, les entreprises sont prêtes à payer pour avoir des systèmes d'information qui leur correspondent, mais plus à payer des licences pour des produits faits pour d'autres. Cette évolution dans les logiciels a d'ailleurs des analogies avec la création culturelle.

    Faites-vous allusion à la loi réprimant le téléchargement illégal ?

    Le monde culturel aussi a fondé son économie sur le fait que la ressource rare, c'était la copie : on produit une seule fois, mais on fait payer à chaque utilisation ! Des alternatives, comme la licence globale (1), ont été proposées, et la seule question reste celle de la répartition entre les différents acteurs culturels des revenus considérables qu'elle produira. C'est cette question, éminemment politique, qu'une loi devrait trancher en faisant preuve de créativité, et non pas en freinant le développement d'Internet et en s'attaquant à nos droits numériques pour protéger les bénéfices de quelques-uns. Mettre en place des mécanismes technologiques irrationnels pour empêcher la copie est une perte de temps et d'énergie chère et dangereuse.

    Le logiciel libre a-t-il de l'avenir ?

    En France, les logiciels libres génèrent déjà plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires. Une grande administration comme celle des impôts s'est totalement tournée vers eux. Il faut maintenant développer les relations entre les mondes de l'enseignement, de la recherche et de l'industrie. C'est un des buts du Groupe thématique logiciel libre (GTLL) que j'ai créé fin 2007 au sein du pôle de compétitivité System@tic en Ile-de-France. 70 partenaires travaillent sur une dizaine de projets pour un budget de 24 millions d'euros, dont environ la moitié provient de fonds publics.

    Qu'en retirez-vous pour votre recherche ?

    Les systèmes informatiques sont devenus si gros, avec des milliers de sous-systèmes en interaction, que leur gestion - les mises à jour, par exemple - sont extrêmement complexes : grâce aux logiciels libres, des chercheurs comme moi ont accès directement à ces problèmes qui ne sont plus cachés derrière des secrets industriels, et nos recherches peuvent avoir un impact plus rapide sur le monde réel. Ainsi, dans un système d'exploitation comme une distribution GNU/Linux (voir Repères), vous avez 25 000 composants reliés entre eux. Visualiser les interactions, suivre l'évolution de ces systèmes et les optimiser tout en les présentant de façon simple aux utilisateurs est un vrai défi. C'est l'objectif du projet Mancoosi, financé par l'Union européenne depuis février 2008, que je coordonne. Ce sont aussi les problématiques au coeur du Cirill, un centre de recherche dédié aux logiciels libres, où se côtoieront bien sûr les universitaires et les industriels, qui ouvrira ses portes bientôt.

    (1) http://csunplugged.org/


    ROBERTO DI COSMO

    enseigne l'informatique à l'université Paris-VII. Engagé de longue date dans la promotion des logiciels libres, ce chercheur italien s'est fait connaître du grand public en publiant en 1998 avec la journaliste Dominique Nora Le Hold-Up planétaire. La face cachée de Microsoft (Calmann-Lévy).


    REPERES


    LES LOGICIELS LIBRES L'univers informatique est coupé en deux : le monde dit libre et le monde dit propriétaire. Le premier rend disponibles les lignes de programmation (le code source) qui composent le logiciel. Le second crée des boîtes noires dans lesquelles les lignes de programmation visibles ne sont compréhensibles que par l'ordinateur, et non par un humain. Ces programmes propriétaires sont vendus sous licence. Ils ne peuvent pas être modifiés par l'utilisateur. Les logiciels libres, souvent gratuits, sont, eux, modifiables et diffusables sans limites. Les plus connus sont le navigateur Web Firefox, la suite bureautique Openoffice ou le traitement d'images GIMP. On sait moins qu'une majorité de serveurs Internet et de services associés ont recours à des logiciels libres. Les systèmes d'exploitation d'un PC (les programmes qui font fonctionner l'ordinateur et ses périphériques) peuvent aussi être libres : ce sont les Linux et leurs variantes (Mandriva et Ubuntu par exemple) que proposent plusieurs sociétés. Des téléphones portables, des boîtiers d'accès Internet, des livres électroniques... fonctionnent aussi sous logiciels libres. Les principes ont été posés au début des années 1980 par l'Américain Richard Stallman, qui se rebellait contre le verrouillage des premiers systèmes informatiques grand public.


    Par Sciences et Avenir

    Commentaire

    Chargement...
    X