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Les documents secrets de Tibéhirine

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  • Les documents secrets de Tibéhirine

    Le voile qui recouvre l'assassinat, fin mai 1996, en Algérie, des sept moines de Tibéhirine commence à être levé. Le ministère des affaires étrangères a transmis tout récemment au juge antiterroriste Marc Trévidic, chargé de l'instruction, vingt-six documents classés jusqu'à présent "confidentiel défense".

    Ce faisant, le Quai d'Orsay a anticipé l'avis favorable donné par la Commission consultative du secret de la défense nationale, publié vendredi 20 novembre au Journal officiel.

    Le Quai d'Orsay n'est pas le seul ministère concerné. Le ministre de la défense, Hervé Morin, a annoncé qu'il avait déclassifié soixante-huit documents supplémentaires, suivant en cela l'avis de la commission. Vendredi soir, ceux-ci n'étaient pas encore en possession du juge Trévidic.

    Reste le ministère de l'intérieur. Le juge avait demandé la transmission de quinze documents. La commission a rendu un avis favorable pour la publication intégrale de onze d'entre eux, la publication partielle de trois, et un avis défavorable pour un dernier. L'avis de la commission n'est que consultatif. Le ministre, Brice Hortefeux, peut ne pas le suivre.

    Même s'ils n'éclairent pas toutes les zones d'ombre - loin s'en faut -, les documents du Quai d'Orsay, consultés par Le Monde, permettent de mieux cerner les contours d'une affaire tragique qui avait ému l'opinion publique française et algérienne au printemps 1996.

    Elle avait débuté dans la nuit du 26 au 27 mars par l'enlèvement des sept trappistes kidnappés dans leur monastère, Notre-Dame de l'Atlas, dans un site montagneux sur les hauteurs de Médéa, à une heure de route de la capitale, Alger. Un peu plus de deux mois plus tard, le 21 mai, un communiqué du Groupe islamique armé (GIA) annonçait la mort des religieux. Le 30 mai, les têtes des moines en partie décomposées étaient retrouvées enfermées dans un sac et, à l'issue d'une cérémonie, enterrées dans le jardin de l'abbaye cistercienne, où plus aucun religieux n'est, depuis, autorisé à séjourner. Jamais les corps n'ont été retrouvés.

    Pendant des années, Paris a avalisé l'explication sans nuance de l'Algérie, symptomatique d'une époque de feu et de sang pour le pays (au moins 150 000 morts) : les moines avaient été kidnappés et assassinés par Jamel Zitouni, l'émir du GIA. L'armée algérienne n'avait rien à se reprocher. Et les services de sécurité pas davantage. Tous avaient fait leur possible pour localiser les "barbus" et libérer les otages. Ils avaient travaillé main dans la main avec les autorités françaises.

    C'est cette vérité officielle que font vaciller les documents du Quai transmis au juge Trévidic - "un homme courageux, indépendant et déterminé", selon l'avocat des familles des victimes, Me Patrick Baudoin.

    Passée une période de flottement, les diplomates français en poste à Alger, tout comme ceux basés à Paris, s'étaient interrogés sur les relations entre les services de renseignements algériens et Jamel Zitouni. "On ne peut exclure que les services algériens (...) en sachent plus qu'ils ne le disent sur les intentions de Zitouni : on prétend qu'ils (le) manipuleraient plus ou moins", écrit dans une note à Hervé de Charette, le ministre des affaires étrangères, son directeur de cabinet, Hubert Colin de Verdière, une dizaine de jours après l'enlèvement. Une note ultérieure évoquera à nouveau "les interrogations souvent formulées sur les liens entre Zitouni et la Sécurité algérienne".

    Prudence de diplomate, sans doute. Mais cette note éclaire une confidence du général Smaïn Lamari, chargé de la lutte antiterroriste en Algérie, à Philippe Parant, le patron de la DST, le contre-espionnage français. Selon l'un des documents transmis par le Quai d'Orsay, le haut fonctionnaire algérien "considérait encore Zitouni, il y a peu, comme un élément plutôt commode", avant qu'il ne devienne "moins contrôlable ".

    A la lecture de cette première salve de notes et de télégrammes diplomatiques, un autre constat s'impose : au printemps 1996, en dépit de ses promesses répétées, Alger ne livre qu'au compte-gouttes les informations dont il dispose. L'ambassadeur de France à Alger, Michel Lévêque, s'en plaint à plusieurs reprises auprès de ses homologues algériens.

    Le diplomate déplore en particulier que l'attaché militaire de l'ambassade, le colonel Buchwalter, et les hommes des services de renseignements ne soient pas parvenus "à obtenir les entretiens qu'ils demandaient avec leurs homologues".

    Ironie du sort, ce sont les déclarations à la presse de François Buchwalter, treize ans plus tard, puis son audition par le juge antiterroriste qui ont permis de relancer l'enquête. Selon des confidences d'un militaire algérien faites à l'attaché militaire français (aujourd'hui retraité), les moines auraient été tués par des tirs d'hélicoptères militaires, et non par les hommes du GIA.

    Il s'agirait donc d'une bavure de l'armée, suivie d'un maquillage. L'hypothèse n'est pas à exclure. Mais elle contredit la promesse faite à l'époque par les autorités algériennes de ne mener "aucune action militaire" dans la zone où l'on pensait que les moines étaient détenus.

    Cette hypothèse laisse aussi une question sans réponse : pourquoi les responsables algériens ont-ils cherché à dissimuler dans un premier temps le fait que seules les têtes des moines avaient été retrouvées ? La publicité donnée à cet acte barbare ne servait-elle pas les desseins d'Alger ?

    Peut-être les documents fournis par les deux autres ministères permettront-ils d'y voir plus clair. "On avance. Mais Alger cache encore beaucoup de choses", estime Me Baudoin.

    Par Jean-Pierre Tuquoi, Le Monde
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