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Lettre ouverte à mon frère d’Egypte

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    Incompréhension

    Lettre ouverte à mon frère d’Egypte

    Ce n'est que du hooliganisme, mon frère, voyons ! Je respecte ton émotion et ne veux pas te rappeler ce qui s'est passé avant, au Caire.

    Cher frère,

    Je te vois en colère. J’ignore si cette colère est partagée par tous les Egyptiens ou si elle est seulement le fait de quelques journalistes aux ordres, mais je veux la croire sincère. Je t’écris cette lettre pour te demander une grande faveur, au nom de tout ce qui nous lie encore, bien malgré nous, et que je n’ai nul besoin de rappeler ici. Je veux que tu m’aides à comprendre pourquoi tu es en colère. Je t’avoue que je n’ai pas compris. Je t’entends me dire que je t’ai agressé, à l’occasion d’un match de foot au Soudan. Cela me surprend pour plusieurs raisons. D’abord, rien de très grave ne s’y est produit. Nous savons tous qu’il y a eu quelques blessés légers. En supposant que des fanatiques de foot se soient mal comportés à Khartoum, pourquoi dramatiser ? Ce n’est que du hooliganisme, mon frère, voyons ! Je respecte ton émotion et ne veux pas te rappeler ce qui s’est passé avant, au Caire. Ce qui a conduit au comportement dont tu te plains, je veux bien dire à juste titre. Entre nous, j’ignore ce qui s’est passé de si répréhensible à Khartoum, toi tu sembles le savoir, mais moi je te rappelle seulement qu’il n’y a pas eu mort d’homme. Alors pourquoi tant de colère ? Mon frère, est-ce à cause du résultat du match ? Dis-moi non, rassure-moi, j’ai trop de respect à ton égard pour le croire. Je m’adresse au grand homme de culture, à l’enfant de «la mère du monde» que tu es et jamais je ne penserai que la petitesse et la mesquinerie puissent faire partie de ton noble caractère. Si ce n’est pas à cause du résultat d’un match ou du mauvais comportement supposé de quelques supporters algériens, c’est à cause de quoi alors ? Je t’entends me dire que l’Etat algérien a organisé un complot contre la grande Egypte, peut-être avec la connivence israélienne, notamment par le saccage des intérêts égyptiens installés en Algérie. C’est donc une affaire politique. Partons du fait que nous sommes tous mal dirigés. Pourquoi cette implication aux côtés des politiciens ? Les vôtres seraient-ils meilleurs que les nôtres ? Mettons tous nos dirigeants dans le même sac et préservons notre fraternité. Ne jouons pas le jeu politique qui consiste à nous diviser. On te dit que les intérêts économiques égyptiens ont été touchés en Algérie. Mais n’oublie pas qu’il s’agit ici de business seulement. Dans la pire des hypothèses, l’Etat algérien a décidé de ne plus faire de cadeaux à une entreprise, Orascom-Djezzy pour la nommer, sous forme de plusieurs milliards de dollars annuellement. Je sais que tu ne le crois pas, que tu penses que ton entreprise a sauvé l’Algérie de je ne sais quel gouffre d’archaïsme, que tu ignores qu’il existe d’autres opérateurs concurrents sur le marché etc. Je ne peux pas t’inviter à te pencher sur ce fait que Djezzy, qui est le principal pourvoyeur d’argent de sa filiale Orascom, a craché dans la soupe en fêtant la victoire égyptienne contre ses propres intérêts en Algérie. Autrement comment expliquer qu’elle a accordé à tous ses travailleurs une journée chômée et payée au lendemain de la victoire du 14 novembre. La réaction des supporters était prévisible. Encore une chose. Cette histoire de caillassage du bus qui transportait nos joueurs de l’aéroport du Caire à leur hôtel. N’est-ce pas cela qui est l’origine de tout ? Tu dis que c’était de la mise en scène, et tu dis toujours vrai. Je demande simplement que tu m’expliques comment on aurait pu faire alors que nous sommes de si mauvais metteurs en scène. Il semblerait que les nôtres, joueurs comme supporters, ont un peu souffert du mauvais accueil qui leur fut réservé chez vous. Tu infirmes et tu dis que le peuple mille fois civilisé d’Egypte nous a accueilli correctement. Soit. Mais les supporters blessés, du côté algérien, se sont-ils eux aussi agressés pour faire semblant ? Peut-être, après tout. Surtout qu’il y a eu cette rumeur faisant état de plusieurs morts. Vois comme tu as raison sur toute la ligne. Pardon, pardon, mon cher et grand frère ! Caillassage, mise en scène, rumeurs, malgré tout, ne sont-ils pas des excuses pour notre sauvagerie ? Pourquoi ne te dis-tu pas, dans ta grande mansuétude, que nous sommes nous-mêmes victimes à la fois de notre caractère et des circonstances ? Pourquoi cette intransigeance chez toi ? Je voudrais encore comprendre : un match derby qui se déroule loin de chez toi, au Soudan, vu la situation, ce n’est peut-être pas le meilleur endroit au monde, pour un homme de culture, d’aller passer sa journée, avec sa femme et ses enfants ? Ou bien alors, il faut prendre ses responsabilités. Les stades, partout, dans ces occasions-là, sont propices à la passion et à la violence, tu ne l’ignores pas. De grandes actrices qui vont supporter leur équipe, c’est à l’honneur de l’Egypte entière, mais enfin, comment peut-on imaginer qu’à leur simple vue les fanatiques de tous poils baissent les bras et se calment. Il y a danger, convenons-en. Mais bon, on ne réfléchit peut-être pas de la même manière. Bouteflika aurait dû s’arranger pour envoyer nos propres gens de culture, mais il y en a si peu, et ça leur arrive d’être plus violent que le supporter de base ! Vois, comme c’est compliqué. Tu dis aussi qu’il y a eu complot israélo-algérien. Tu es bien placé pour démasquer ce complot qui nous a tous échappé ici, en raison des bons liens que tu as su entretenir, en peuple d’une grande intelligence, avec Israël. De cette manière, dès que l’Etat hébraïque prépare un coup, tu es le premier à le voir. Mais pourquoi, en l’occurrence, ne l’as-tu pas déjoué, ce mauvais coup qu’il vient de nous faire ? Sur cette question d’Israël, je tiens à te faire un grand aveu. Mon frère, oui, je te déteste un peu parce que tu aurais pu être un peu digne, en raison même de ces liens, face à l’injustice qui a été faite à Ghaza. Mon frère, oui, je suis un peu anti-égyptien, parce que ton Etat a organisé et cautionné la souricière contre le peuple palestinien de Ghaza. Pose-toi des questions. Ne vois-tu pas à quel point tu es isolé du fait de la politique de ton pays ? Ne vois-tu pas à quel point le monde entier, et non pas seulement les Arabes, te détestent, détestent l’execrable image que tu te donnes de toi-même ? Et si tu avais vraiment raison sur la question qui concerne la rencontre au Soudan ou ailleurs, qui n’est qu’un leurre, comment expliques-tu qu’aucun media au monde, aucune organisation sportive ou même politique, aucun pays n’aient pu te donner raison jusqu’ici. Mais de grâce, ne parlons pas de cela : la culture n’a rien à y voir. Je m’étais promis de t’écouter non pas te développer mes arguments. Je voulais comprendre ton émotion, ta colère. Je ne te tiens pas rigueur sur les menaces, les insultes que tu profères contre moi. Tu me traites de barbare, soit je le suis. Mais toi, au moins, agis donc en homme civilisé ! Est-ce sérieux de ta part de vouloir m’excommunier de l’arabité dont tu affirmes être le fondateur et le dépositaire ? Penses-tu vraiment que tu es le centre de l’islam quand tu dis être le seul pays au monde à avoir été cité par le Coran ? Moi, je veux bien croire ce que tu veux, y compris que ton équipe de foot joue mieux que la mienne. Mais à ton tour de comprendre que je n’ai qu’un seul lien avec toi, ce sont tes chanteurs, tes acteurs et quelques-unes de tes moussalssalates. La lettre ouverte que je te fais ici, l’effort que j’entreprends pour admettre ton juste courroux, le pardon même que je suis prêt à te demander, à genoux, n’a aucune autre motivation que celle de ne pas me priver de ton immense culture de divertissement. Sois donc indulgent envers moi, je m’arabise comme je peux, je ne mérite pas d’être rejeté par toi, donne-moi un peu de temps, sois patient, une seconde chance de grâce, mon grand frère pour l’éternité. Tu es grand, agis en grand. Et réponds-moi vite, ne me laisse pas languir.

    Par Brahim Djalil
    Le Jour d'Algérie
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