26/11/2009 09:56:37 | Jeune Afrique | Par : Cherif Ouazani
De la sueur, du sang, des larmes et une grosse crise avec l’Égypte... Khadra, l’équipe nationale algérienne, a gagné, le 18 novembre, sa qualification pour le Mondial 2010. Cette victoire a soudé tout un peuple.
L’explosion de joie qui a suivi la qualification de l’équipe d’Algérie pour le Mondial sud-africain de juin 2010 est sans précédent. Dans l’histoire de la jeune République, aucun événement n’avait provoqué un tel engouement.
Même l’indépendance, en 1962 (à l’époque, les « autoroutes de l’information » relevaient encore de la science-fiction) n’avait pas soulevé pareil élan, autant de passion et une si belle communion. Des Trois-Horloges de Bab el-Oued aux Ksour du Touat Gourara, dans l’Adrar (sud du pays). Du cours de la Révolution à Annaba aux camps nomades des parcours de transhumance de la steppe, frontière naturelle entre les Hauts-Plateaux et le Sahara. Chaambas, les Malékites du M’zab, ont fraternisé avec les Ibadites de Berriane, leurs voisins et ennemis séculaires. Riches et pauvres, jeunes et vieux. Le bonheur a submergé toutes les catégories sociales. Pourvoyeurs de candidats kamikazes et harragas, les bidonvilles (on recense 550 000 habitations précaires) se sont drapés de vert, de blanc et de rouge.
Et ce bonheur absolu ne s’est pas limité au seul territoire algérien. Il a gagné les faubourgs de Montréal, Dakar, les bords de la Tamise, le Vieux-Port de Marseille. Même Gaza, l’écorchée vive, a tremblé pour Khadra – le nouveau surnom des Fennecs – et a poussé le cri de ralliement des Verts : « One, two, three, viva l’Algérie ! »
L’explication de cette ferveur ? La magie du football, bien sûr, et la fierté de participer à la compétition sportive la plus prestigieuse, dont l’Algérie est sevrée depuis près d’un quart de siècle. Mais il y a surtout eu ce scénario à la Hitchcock, et ces rebondissements que seule une Agatha Christie aurait pu imaginer.
Le parcours de Khadra ? De la sueur et du sang. Des larmes et beaucoup de douleur. Au bout de cette odyssée, une qualification, certes, mais aussi une crise diplomatique entre l’Algérie et l’Égypte aux conséquences imprévisibles (lire aussi "Pauvre Moubarak!").
Crime de lèse-raïs
Tout commence il y a dix-huit mois. En entamant la phase de poule, qualificative au Mondial et à la Coupe d’Afrique des nations (CAN), les dirigeants algériens, réalistes, annoncent que l’objectif consiste tout au plus à décrocher un billet pour Luanda, où se déroulera la CAN, en janvier 2010. Ils estiment en effet que la première place du groupe, qualificative au Mondial, est promise à l’Égypte, double champion africain en titre. Mais le parcours de Khadra (quatre victoires et un nul) nourrit les ambitions. L’enjeu cesse d’être exclusivement sportif le 12 novembre 2009, quarante-huit heures avant le match décisif contre l’Égypte, au Caire.
Ce jour-là, le bus qui transfère l’équipe algérienne de l’aéroport à son hôtel, situé à moins de 1 km à vol d’oiseau, est caillassé. Trois joueurs sont blessés, devant leurs coéquipiers terrorisés. L’incident prend un tour politique quand médias et responsables égyptiens évoquent une mise en scène de la délégation algérienne. « Nous les avons accueillis avec des fleurs [à Blida, le 7 juin dernier, NDLR], et ils nous reçoivent en nous balançant des pavés », s’indigne Rafik Saïfi, ancien meneur de jeu de Lorient en France, qui évolue aujourd’hui au Qatar. Gamal Moubarak, fils et successeur présumé de son père, se rend à l’hôtel. La délégation algérienne refuse de le rencontrer. Crime de lèse-raïs…
Abdelaziz Bouteflika est furieux. Il abrège un séjour à Sétif, rentre à Alger et appelle Hosni Moubarak. Loin de s’excuser, ce dernier se plaint de l’agression du… chauffeur égyptien du bus par les joueurs algériens.
Bouteflika exige que la sécurité de la délégation et des 3 000 supporteurs qui ont fait le déplacement au Caire soit assurée. Mohamed Raouraoua, président de la Fédération algérienne de football, évoque un traquenard organisé par son homologue égyptien avec la complicité des plus hautes autorités du pays.
Les Égyptiens maintiennent leur version des faits : ce sont les Algériens qui ont terrorisé le chauffeur, vandalisé le bus et qui se sont blessés volontairement pour disqualifier les Pharaons. Une nouvelle fois, les Algériens sont traités d’affabulateurs.
Manque de chance pour les Égyptiens, une équipe de Canal +, la chaîne de télévision française, se trouvait dans le bus de la discorde. Depuis plusieurs semaines, elle accompagne Khadra pour réaliser un reportage.
Ses images passent en boucle sur toutes les télévisions du monde (à l’exception des chaînes égyptiennes), et provoquent un énorme buzz sur YouTube et Dailymotion.
La décision de la Fifa de maintenir le match et l’apparente impunité égyptienne exacerbent le sentiment d’injustice et suscitent un courant de sympathie en faveur de Khadra. Le New York Times fustige les instances internationales et John Lancaster, éditorialiste de l’USA Today, consacre sa colonne à l’événement : « Imaginez les réactions et le concert de condamnations outrées si le bus attaqué par les hooligans égyptiens avait transporté l’équipe d’Angleterre, d’Espagne, de France ou du Portugal.
Imaginez les répercussions si David Beckham, Fernando Torres, Thierry Henry ou Cristiano Ronaldo avaient été contraints de jouer dans les mêmes conditions que Khaled Lemouchia [le milieu défensif de Khadra, NDLR], avec trois points de suture sur le cuir chevelu. »
Pourtant, Lemouchia fera partie du onze qui entrera sur le terrain le 14 novembre. Le Cairo Stadium est une arène, où les gladiateurs sont vêtus de blancs. Pansements et bandages des joueurs témoignent du climat de violence qui a régné peu avant la rencontre. Après le sang, la sueur. Et cela finit par la douleur. Au bout du temps additionnel, un second but égyptien remet les deux équipes à égalité parfaite. Un match d’appui, au Soudan, s’impose.
Les malheurs des Algériens ne sont pas finis. Équipe et supporteurs sont contraints de rester sur le stade trois heures après le coup de sifflet final. Un autre traquenard les attend. Le bus des joueurs est de nouveau caillassé. Le délégué de la Fifa, dont Raouraoua exige désormais la présence pour tous les déplacements de joueurs en Égypte, envoie un rapport accablant.
De la sueur, du sang, des larmes et une grosse crise avec l’Égypte... Khadra, l’équipe nationale algérienne, a gagné, le 18 novembre, sa qualification pour le Mondial 2010. Cette victoire a soudé tout un peuple.
L’explosion de joie qui a suivi la qualification de l’équipe d’Algérie pour le Mondial sud-africain de juin 2010 est sans précédent. Dans l’histoire de la jeune République, aucun événement n’avait provoqué un tel engouement.
Même l’indépendance, en 1962 (à l’époque, les « autoroutes de l’information » relevaient encore de la science-fiction) n’avait pas soulevé pareil élan, autant de passion et une si belle communion. Des Trois-Horloges de Bab el-Oued aux Ksour du Touat Gourara, dans l’Adrar (sud du pays). Du cours de la Révolution à Annaba aux camps nomades des parcours de transhumance de la steppe, frontière naturelle entre les Hauts-Plateaux et le Sahara. Chaambas, les Malékites du M’zab, ont fraternisé avec les Ibadites de Berriane, leurs voisins et ennemis séculaires. Riches et pauvres, jeunes et vieux. Le bonheur a submergé toutes les catégories sociales. Pourvoyeurs de candidats kamikazes et harragas, les bidonvilles (on recense 550 000 habitations précaires) se sont drapés de vert, de blanc et de rouge.
Et ce bonheur absolu ne s’est pas limité au seul territoire algérien. Il a gagné les faubourgs de Montréal, Dakar, les bords de la Tamise, le Vieux-Port de Marseille. Même Gaza, l’écorchée vive, a tremblé pour Khadra – le nouveau surnom des Fennecs – et a poussé le cri de ralliement des Verts : « One, two, three, viva l’Algérie ! »
L’explication de cette ferveur ? La magie du football, bien sûr, et la fierté de participer à la compétition sportive la plus prestigieuse, dont l’Algérie est sevrée depuis près d’un quart de siècle. Mais il y a surtout eu ce scénario à la Hitchcock, et ces rebondissements que seule une Agatha Christie aurait pu imaginer.
Le parcours de Khadra ? De la sueur et du sang. Des larmes et beaucoup de douleur. Au bout de cette odyssée, une qualification, certes, mais aussi une crise diplomatique entre l’Algérie et l’Égypte aux conséquences imprévisibles (lire aussi "Pauvre Moubarak!").
Crime de lèse-raïs
Tout commence il y a dix-huit mois. En entamant la phase de poule, qualificative au Mondial et à la Coupe d’Afrique des nations (CAN), les dirigeants algériens, réalistes, annoncent que l’objectif consiste tout au plus à décrocher un billet pour Luanda, où se déroulera la CAN, en janvier 2010. Ils estiment en effet que la première place du groupe, qualificative au Mondial, est promise à l’Égypte, double champion africain en titre. Mais le parcours de Khadra (quatre victoires et un nul) nourrit les ambitions. L’enjeu cesse d’être exclusivement sportif le 12 novembre 2009, quarante-huit heures avant le match décisif contre l’Égypte, au Caire.
Ce jour-là, le bus qui transfère l’équipe algérienne de l’aéroport à son hôtel, situé à moins de 1 km à vol d’oiseau, est caillassé. Trois joueurs sont blessés, devant leurs coéquipiers terrorisés. L’incident prend un tour politique quand médias et responsables égyptiens évoquent une mise en scène de la délégation algérienne. « Nous les avons accueillis avec des fleurs [à Blida, le 7 juin dernier, NDLR], et ils nous reçoivent en nous balançant des pavés », s’indigne Rafik Saïfi, ancien meneur de jeu de Lorient en France, qui évolue aujourd’hui au Qatar. Gamal Moubarak, fils et successeur présumé de son père, se rend à l’hôtel. La délégation algérienne refuse de le rencontrer. Crime de lèse-raïs…
Abdelaziz Bouteflika est furieux. Il abrège un séjour à Sétif, rentre à Alger et appelle Hosni Moubarak. Loin de s’excuser, ce dernier se plaint de l’agression du… chauffeur égyptien du bus par les joueurs algériens.
Bouteflika exige que la sécurité de la délégation et des 3 000 supporteurs qui ont fait le déplacement au Caire soit assurée. Mohamed Raouraoua, président de la Fédération algérienne de football, évoque un traquenard organisé par son homologue égyptien avec la complicité des plus hautes autorités du pays.
Les Égyptiens maintiennent leur version des faits : ce sont les Algériens qui ont terrorisé le chauffeur, vandalisé le bus et qui se sont blessés volontairement pour disqualifier les Pharaons. Une nouvelle fois, les Algériens sont traités d’affabulateurs.
Manque de chance pour les Égyptiens, une équipe de Canal +, la chaîne de télévision française, se trouvait dans le bus de la discorde. Depuis plusieurs semaines, elle accompagne Khadra pour réaliser un reportage.
Ses images passent en boucle sur toutes les télévisions du monde (à l’exception des chaînes égyptiennes), et provoquent un énorme buzz sur YouTube et Dailymotion.
La décision de la Fifa de maintenir le match et l’apparente impunité égyptienne exacerbent le sentiment d’injustice et suscitent un courant de sympathie en faveur de Khadra. Le New York Times fustige les instances internationales et John Lancaster, éditorialiste de l’USA Today, consacre sa colonne à l’événement : « Imaginez les réactions et le concert de condamnations outrées si le bus attaqué par les hooligans égyptiens avait transporté l’équipe d’Angleterre, d’Espagne, de France ou du Portugal.
Imaginez les répercussions si David Beckham, Fernando Torres, Thierry Henry ou Cristiano Ronaldo avaient été contraints de jouer dans les mêmes conditions que Khaled Lemouchia [le milieu défensif de Khadra, NDLR], avec trois points de suture sur le cuir chevelu. »
Pourtant, Lemouchia fera partie du onze qui entrera sur le terrain le 14 novembre. Le Cairo Stadium est une arène, où les gladiateurs sont vêtus de blancs. Pansements et bandages des joueurs témoignent du climat de violence qui a régné peu avant la rencontre. Après le sang, la sueur. Et cela finit par la douleur. Au bout du temps additionnel, un second but égyptien remet les deux équipes à égalité parfaite. Un match d’appui, au Soudan, s’impose.
Les malheurs des Algériens ne sont pas finis. Équipe et supporteurs sont contraints de rester sur le stade trois heures après le coup de sifflet final. Un autre traquenard les attend. Le bus des joueurs est de nouveau caillassé. Le délégué de la Fifa, dont Raouraoua exige désormais la présence pour tous les déplacements de joueurs en Égypte, envoie un rapport accablant.
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