Esther Benbassa rappelle d’abord que l’histoire qu’il faut connaître pour saisir l’attitude de bien des Juifs à l’endroit d’Israël et des Palestiniens, c’est l’histoire de l’Holocauste. Or, il s’agit d’une histoire appropriée : si l’on se penche sur le cas des Juifs d’Afrique du Nord, on constate qu’ils évoquaient peu l’histoire du génocide avant d’émigrer en Europe ou en Israël. En Israël, les Juifs maghrébins et orientaux ont souffert du mépris des Juifs originaires d’Europe, car ceux-ci les considèrent comme des citoyens de seconde zone, des « Noirs », des « Arabes ». Ces nouveaux Israéliens effacent donc leur propre histoire, ne doivent pas avoir de racines dans les pays maghrébins qu’ils ont quittés, et surtout ne pas regretter ces terres peuplées d’ « Arabes » ; car les « Arabes » sont précisément les ennemis de ce nouvel Etat qui leur permet de renaître. On ne veut rien savoir de leur histoire ; ils sont donc obligés d’embrasser celle de l’Holocauste, qui fait désormais partie de l’identité juive ou israélienne.
Quelque chose de très particulier : le Juif originaire d’un pays arabe rejette donc l’Arabe en lui-même (coutumes, gestuelle, façon de parler : tout témoigne de son « appartenance » à l’arabité maghrébine) en même temps qu’au dehors (rejet d’autant plus virulent du Palestinien). C’est donc par un jeu de miroirs complexe que cette judaïcité venue des terres musulmanes finit par nourrir l’aversion pour les musulmans. C’est comme si les Juifs orientaux se vengeaient sur les Palestiniens de l’infériorité à laquelle ils sont assignés par les Juifs originaires d’Europe.
Dans les années 1970, un mouvement de jeunes Juifs issus du Maghreb (surtout du Maroc), appelé « Les Panthères Noires » en référence aux « Black Panthers » qui luttaient aux Etats Unis pour l’égalité des droits de Afro-Americains, exige l’intégration à la société israélienne en dénonçant les discriminations dont leurs parents puis eux-mêmes ont été victimes.
En 1977, ce sont les Juifs orientaux qui permettent au Likoud de Menahem Begin d’accéder au pouvoir en votant massivement pour lui (ils sont majoritaires dans la société israélienne, mais sont toujours considérés comme des « primitifs » ou comme des « sauvages » par les « Juifs occidentaux »). Cette victoire électorale venge bien des humiliations.
[Exemple des maltraitances subies par les Juifs originaires du Maghreb : dans les années 1950, 100 000 enfants ont été soumis à des expérimentations avec des appareils à rayons X, environ 6 000 en meurent, presque tous les autres dévelepperont des cancers, ou feront de l’épilepsie..]
En 1984, seconde revanche des Juifs marocains : ils politisent leur religiosité et créent le Shas, un parti de droite, ultra-religieux.
Ce sont donc ces gouvernements de droite, soutenus par les Juifs « orientaux », originaires des pays arabes, qui ont pris le relais de la gauche travailliste dans la colonisation massive dans territoires palestiniens. Ce sont eux qui ont mené la meurtrière offensive contre Gaza.
Or, la judaïcité française, majoritairement issue d’Afrique du Nord (surtout d’Algérie) a soutenu (si l’on en croit le CRIF, Conseil Représentatif des Institutions juives de France) l’offensive sur Gaza, à 95%. Comment comprendre ce soutien ? Il faut souligner que cette population juive est géographiquement plus proche d’Israël (liens familiaux, voyages fréquent, attachement sentimental) que les Juifs des Etats Unis par exemple ; il faut aussi souligner l’importance de leur histoire : déracinement, contentieux avec « les Arabes » prolongé en France, qui fut aussi la terre d’exil de beaucoup d’Algériens musulmans. Pendant les conflits coloniaux, ils étaient « du côté » de la puissance colonisatrice (d’où leur « rapatriement » en métropole - qui fut en fait une expatriation), et n’ont quasiment pas participé aux mouvements indépendantistes maghrébins. Ces deux facteurs expliquent peut-être le soutien d’une certaine frange de la judaïcité française d’origine maghrébine à Israël.
Israël fait partie intégrante de l’identité du Juif d’aujourd’hui (sauf pour les a-sionistes ou les anti-sionistes). Claude Lanzmann en 1967 : « Israël c’est ma liberté. Certes je suis assimilé, mais je n’ai pas confiance. Sans Israël, je me sens nu. » En 1967, la peur de voir Israël disparaître marque les esprits d’une manière indélébile. Israël bénéficie du soutien international, et les médias occidentaux diffusent la formule d’Ahmad al-Shuqayri, fondateur de l’OLP en l’accusant de vouloir « jeter les Arabes à la mer ». [en réalité il avait dit : « On s’efforcera d’assister les Juifs et de faciliter leur départ vers leur pays d’origine (si les Arabes gagnaient la guerre de 1967) » ; puis, parlant du sort des Juifs nés sur place : « Ceux qui survivront resteront en Palestine, mais selon mon opinion aucun ne survivra. »] Cela mobilise les Juifs français, qui adhèrent à l’idée de la radicalité de la menace qui pèse sur Israël.
Après 67, évolution différente selon les pays : aux Etats Unis (selon une étude réalisée par Stephen Cohen), plus de la moitié des Juifs de moins de 35 ans ne considèreraient pas la disparition d’Israël comme une tragédie personnelle (mais les Juifs orthodoxes n’ont pas été interrogés pour cette enquête). Sur les campus américains, Israël est considéré comme une puissance coloniale, oppressive, et nombre d’étudiants juifs préfèrent ne pas y être associés. Vu d’Amérique, le conflit avec « les Arabes » n’a pas de résonance (alors qu’en France, la présence des musulmans alimente les craintes des Juifs français et renforce leur adhésion à Israël). Aux Etats Unis, 69% des Juifs s’opposent aux mesures préconisées par Lieberman (ex : imposer aux Arabes israéliens de prêter un serment d’allégeance à Israël comme Etat juif). Mais, en dépit de ces nuances, le lien à Israël demeure globalement central dans la manière d’être juif d’aujourd’hui. (ex : beaucoup de Juifs français ont un appartement en Israël « au cas où les choses tourneraient mal en France » - Tribune juive). Israël est doublement sacralisé : par la Bible, et par les épreuves endurées. La guerre de conquête de 1967 soulève l’enthousiasme de certains Français, même non-Juifs, qui avaient mal digéré la décolonisation du Maghreb. La jeune génération des Juifs de France se fait plus « visible » (multiplication des centres communautaires, boucheries et restaurants cachers) et reproche leur « passivité » aux générations qui l’ont précédée. Ce mythe de la « passivité » est directement importé d’Israël (selon le poète israélien Abba Kovner, les Juifs de la diaspora se sont laissé conduire dans les chambres à gaz « comme des moutons à l’abattoir »). A cette passivité passée, les jeunes Juifs souhaitent opposer l’idéal du vaillant soldat israélien, qui se bat héroïquement contre les Arabes..
Mais la plupart de ces jeunes sont ignorants en matière en judaïsme. Qu’est-ce donc que le « peuple » juif ? Certains disent que le partage d’une histoire de souffrances suffit à créer l’appartenance. Mais nous avons vu que cette « histoire » était en réalité tissée d’oublis, d’absences. Plus que sur une histoire commune, la revendication identitaire (peuple juif) s’appuie aujourd’hui sur une reconstruction mémorielle (cf l’ouvrage de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé).
Actuellement, parmi les Juifs français qui s’implantent dans les territoires palestiniens occupés, la plupart sont : 1. d’origine maghrébine ; 2. religieux.
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Quelque chose de très particulier : le Juif originaire d’un pays arabe rejette donc l’Arabe en lui-même (coutumes, gestuelle, façon de parler : tout témoigne de son « appartenance » à l’arabité maghrébine) en même temps qu’au dehors (rejet d’autant plus virulent du Palestinien). C’est donc par un jeu de miroirs complexe que cette judaïcité venue des terres musulmanes finit par nourrir l’aversion pour les musulmans. C’est comme si les Juifs orientaux se vengeaient sur les Palestiniens de l’infériorité à laquelle ils sont assignés par les Juifs originaires d’Europe.
Dans les années 1970, un mouvement de jeunes Juifs issus du Maghreb (surtout du Maroc), appelé « Les Panthères Noires » en référence aux « Black Panthers » qui luttaient aux Etats Unis pour l’égalité des droits de Afro-Americains, exige l’intégration à la société israélienne en dénonçant les discriminations dont leurs parents puis eux-mêmes ont été victimes.
En 1977, ce sont les Juifs orientaux qui permettent au Likoud de Menahem Begin d’accéder au pouvoir en votant massivement pour lui (ils sont majoritaires dans la société israélienne, mais sont toujours considérés comme des « primitifs » ou comme des « sauvages » par les « Juifs occidentaux »). Cette victoire électorale venge bien des humiliations.
[Exemple des maltraitances subies par les Juifs originaires du Maghreb : dans les années 1950, 100 000 enfants ont été soumis à des expérimentations avec des appareils à rayons X, environ 6 000 en meurent, presque tous les autres dévelepperont des cancers, ou feront de l’épilepsie..]
En 1984, seconde revanche des Juifs marocains : ils politisent leur religiosité et créent le Shas, un parti de droite, ultra-religieux.
Ce sont donc ces gouvernements de droite, soutenus par les Juifs « orientaux », originaires des pays arabes, qui ont pris le relais de la gauche travailliste dans la colonisation massive dans territoires palestiniens. Ce sont eux qui ont mené la meurtrière offensive contre Gaza.
Or, la judaïcité française, majoritairement issue d’Afrique du Nord (surtout d’Algérie) a soutenu (si l’on en croit le CRIF, Conseil Représentatif des Institutions juives de France) l’offensive sur Gaza, à 95%. Comment comprendre ce soutien ? Il faut souligner que cette population juive est géographiquement plus proche d’Israël (liens familiaux, voyages fréquent, attachement sentimental) que les Juifs des Etats Unis par exemple ; il faut aussi souligner l’importance de leur histoire : déracinement, contentieux avec « les Arabes » prolongé en France, qui fut aussi la terre d’exil de beaucoup d’Algériens musulmans. Pendant les conflits coloniaux, ils étaient « du côté » de la puissance colonisatrice (d’où leur « rapatriement » en métropole - qui fut en fait une expatriation), et n’ont quasiment pas participé aux mouvements indépendantistes maghrébins. Ces deux facteurs expliquent peut-être le soutien d’une certaine frange de la judaïcité française d’origine maghrébine à Israël.
Israël fait partie intégrante de l’identité du Juif d’aujourd’hui (sauf pour les a-sionistes ou les anti-sionistes). Claude Lanzmann en 1967 : « Israël c’est ma liberté. Certes je suis assimilé, mais je n’ai pas confiance. Sans Israël, je me sens nu. » En 1967, la peur de voir Israël disparaître marque les esprits d’une manière indélébile. Israël bénéficie du soutien international, et les médias occidentaux diffusent la formule d’Ahmad al-Shuqayri, fondateur de l’OLP en l’accusant de vouloir « jeter les Arabes à la mer ». [en réalité il avait dit : « On s’efforcera d’assister les Juifs et de faciliter leur départ vers leur pays d’origine (si les Arabes gagnaient la guerre de 1967) » ; puis, parlant du sort des Juifs nés sur place : « Ceux qui survivront resteront en Palestine, mais selon mon opinion aucun ne survivra. »] Cela mobilise les Juifs français, qui adhèrent à l’idée de la radicalité de la menace qui pèse sur Israël.
Après 67, évolution différente selon les pays : aux Etats Unis (selon une étude réalisée par Stephen Cohen), plus de la moitié des Juifs de moins de 35 ans ne considèreraient pas la disparition d’Israël comme une tragédie personnelle (mais les Juifs orthodoxes n’ont pas été interrogés pour cette enquête). Sur les campus américains, Israël est considéré comme une puissance coloniale, oppressive, et nombre d’étudiants juifs préfèrent ne pas y être associés. Vu d’Amérique, le conflit avec « les Arabes » n’a pas de résonance (alors qu’en France, la présence des musulmans alimente les craintes des Juifs français et renforce leur adhésion à Israël). Aux Etats Unis, 69% des Juifs s’opposent aux mesures préconisées par Lieberman (ex : imposer aux Arabes israéliens de prêter un serment d’allégeance à Israël comme Etat juif). Mais, en dépit de ces nuances, le lien à Israël demeure globalement central dans la manière d’être juif d’aujourd’hui. (ex : beaucoup de Juifs français ont un appartement en Israël « au cas où les choses tourneraient mal en France » - Tribune juive). Israël est doublement sacralisé : par la Bible, et par les épreuves endurées. La guerre de conquête de 1967 soulève l’enthousiasme de certains Français, même non-Juifs, qui avaient mal digéré la décolonisation du Maghreb. La jeune génération des Juifs de France se fait plus « visible » (multiplication des centres communautaires, boucheries et restaurants cachers) et reproche leur « passivité » aux générations qui l’ont précédée. Ce mythe de la « passivité » est directement importé d’Israël (selon le poète israélien Abba Kovner, les Juifs de la diaspora se sont laissé conduire dans les chambres à gaz « comme des moutons à l’abattoir »). A cette passivité passée, les jeunes Juifs souhaitent opposer l’idéal du vaillant soldat israélien, qui se bat héroïquement contre les Arabes..
Mais la plupart de ces jeunes sont ignorants en matière en judaïsme. Qu’est-ce donc que le « peuple » juif ? Certains disent que le partage d’une histoire de souffrances suffit à créer l’appartenance. Mais nous avons vu que cette « histoire » était en réalité tissée d’oublis, d’absences. Plus que sur une histoire commune, la revendication identitaire (peuple juif) s’appuie aujourd’hui sur une reconstruction mémorielle (cf l’ouvrage de Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé).
Actuellement, parmi les Juifs français qui s’implantent dans les territoires palestiniens occupés, la plupart sont : 1. d’origine maghrébine ; 2. religieux.
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