Le football et le changement: Une nouvelle gouvernance pour «l'Algérie qui gagne» ?
par Si Mohamed Baghdadi
La victoire sur l'Egypte a déclenché un déferlement impressionnant. Un raz de marée, un tsunami que les gens du système ne comprennent pas ou font semblant de ne pas comprendre, mais qu'ils redoutent, tout en voulant l'exploiter sans vergogne. par Si Mohamed Baghdadi
Tout le monde s'interroge: pourquoi cet immense engouement et que peut-il révéler sur l'avenir de la République, que beaucoup, frileux en diable, avaient hâtivement précipitée aux oubliettes de l'histoire. Et pourtant, le peuple des jeunes est là, plus présent que jamais, plus virulent et exigeant qu'hier. Surtout conscient des enjeux réels, un temps occultés par un match de football qui a redonné à tout un peuple fierté et dignité ; et un élan patriotique dont on ne mesure pas encore toute la portée après des décennies de hogra et de barbarie.
Mais avec cela nous sommes côté cour et personne ne veut admettre la réalité de ce qui est caché, de ce qu'ils veulent cacher et travestir au peuple plus jamais dupe des simagrées d'un pouvoir à bout de souffle, voulant reprendre haleine, en puisant dans cet immense réservoir qui s'offre à lui ; et qu'il sait ne pas être dupe.
Un quart de siècle de déserts traversés
Cela fait près d'un quart de siècle, après le faste des années 82 et 86, que l'Algérie n'avait pas fait la fête. Puis notre pays a traversé, à partir d'octobre 88, les affres de la barbarie. Avec, cependant, les fulgurantes éclaircies dues, en sport, à Hassiba Boulmerka, Nourredine Morceli, Djaber, Hamed et Nouria Benida. Même si l'athlétisme n'a rien à voir, en terme d'audience et de charisme collectifs, avec le football.
Pour ce qui est du politique, nul ne fut dupe de la supercherie de l'après-octobre 88. Peu crurent aux faux-semblants de la libéralisation économique, politique et sociale. Maïs ils furent beaucoup à se laisser emporter par la vague d'unanimisme qui montait, via médias emportés par une euphorie qui fit tourner la tête à toute la mouvance démocratique. Penser que la société se libérait fut une tragique illusion. Au contraire, elle était de plus en plus ligotée, bâillonnée, interdite de manifester et de s'exprimer pour oser réclamer ses droits constitutionnellement établis. La parole des pauvres et des miséreux n'était plus portée par personne, pas même par ceux que l'on appelle «élus du peuple». La création littéraire, artistique et scientifique végétait à l'ombre de ministères tutélaires, plus prompts à organiser de grandes zerdas qu'à accepter que la liberté des justes s'exprimât.
La glaciation systémique et le dégel footballistique
Une pieuvre immense, que l'on nomme commodément système, enserre la société et tous les appareils politiques, syndicaux ou associatifs, et surtout économiques, dans une nasse de tentacules invisibles mais puissants, propres à décourager toutes les velléités ou tentatives de résistance ou de changement. Dans cette énorme opération d'embastillement social, politique et culturel qui dessert plus le système qu'elle ne le sert - parce que par définition les systèmes exècrent la liberté et l'intelligence - il est à craindre de voir ces bastilles où croupissent droits et libertés du peuple, exploser un jour au visage de ceux qui les construisent ou les contiennent, en se servant de mille et un expédients.
Etat d'urgence, répression policière, justice aux ordres, redressements intempestifs, islamisation planifiée de la société, non pour sa libération, mais essentiellement pour sa plus grande caporalisation, grâce à l'effet du sacré et au recul de la citoyenneté, dévitalisation et dévirilisation de la vie politique, sont les maîtres mots de la vaste entreprise de dépossession du peuple de sa souveraineté et, partant, de ses droits les plus élémentaires à espérer qu'un jour le changement advienne.
Et, sur cette lente mais inexorable glaciation systémique, s'abat l'éclair fulgurant de l'exploit de l'équipe nationale de football. Le «peuple jeune» et moins jeune, où la femme a réussi à imposer son espace - pour un temps, admis et respecté - envahit les rues et fait sauter, sans coup férir, les verrous d'un état d'urgence, plus alibi liberticide que rempart sécuritaire.
La joie gronde dans les rues bousculées et chavirées par un enthousiasme sans retenue. On dirait que les jeunes générations ont voulu faire plus fort, plus large et plus haut, que celles de l'indépendance, lorsque le peuple en joie, s'est réapproprié sa liberté pendant de folles journées de liesse.
Ils ont senti d'instinct que la patrie était «en danger» et qu'il était de leur devoir de voler à son secours ; alors foin des entraves de toutes sortes face à cet enthousiasme patriotique démesuré, plus fort et plus étendu que tout ce qui aurait pu lui être opposé.
Les politiques surfeurs
Le président de la République, qui fait partie de ces leaders du 21e siècle sachant surfer sur les événements, après s'être rendu compte que l'ère des Grands Timoniers était révolue, a su utiliser cette vague énorme qui a déferlé sur tout le pays dans ses coins les plus reculés.
Joël de Rosnay attentif aux nouveaux types de gouvernance écrit dans L'Homme symbiotique: «Le politicien-surfeur cherche à créer des événements qui fournissent l'énergie nécessaire à son propre mouvement. Comme le disait Henri Kissinger: «Il faut non seulement surfer sur la vague des événements mais créer celle sur laquelle on surfera».
Et cela, non seulement pour répondre à l'appel d'une jeunesse chauffée à blanc et frustrée de n'avoir pas eu de révolution à faire comme ses aînés, mais pour s'assurer les rênes d'un pouvoir que des «niches» du système avaient tendance à lui contester.
(àsuivre)
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