Lutte contre la matrice idéologique de l’islamisme
A quand la réconciliation officielle avec l’Algérianité ?
A quand la réconciliation officielle avec l’Algérianité ?
La lutte contre le terrorisme islamiste n'est pas seulement l'affaire du tout-sécuritaire. " Il faut s'attaquer à la matrice idéologique ", a préconisé dernièrement Yazid Zerhouni. La lutte menée sur le terrain par les forces de sécurité a fait ses preuves. Pourtant, elle n’a pas mis fin à la violence perpétrée par les extrémistes religieux. Le traitement politique de ce phénomène violent et rétrograde, par le biais de la loi sur la réconciliation nationale, ne s’est pas attaqué aux racines du problème ou à «la matrice idéologique», comme l’a signalé dernièrement le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, en Italie, lors de la Conférence des ministres de l’Intérieur de la Méditerranée.
Les journées mémorables ayant suivi la victoire de l’équipe nationale algérienne sur les «Pharaons» ont révélé beaucoup de choses, dont deux principales. Un, la victoire de l’équipe nationale de football au Soudan a été vécue comme l’indépendance, où les Ziani, Chaouchi et Antar Yahia sont devenus les héros d’une jeunesse en quête de représentation. Deux, les activistes islamistes se sont montrés fort discrets dans l’ambiance suscitée par cet historique 18 novembre 2009, neutralisés par le drapeau algérien qui flottait partout dans le pays, l’hymne national et aussi la soif de vivre des Algériens. Donc, sans même le recours du tout-sécuritaire. Agressée au Caire, puis remportant le match à Khartoum, l’EN a réussi là où le gouvernement et les partis politiques ont échoué, à savoir : réconcilier les générations d’Algériens avec leur histoire de résistance et de liberté. Mais pour un temps. Comment faire pour maintenir cette mobilisation et cette dynamique nationales ?
Après l’entrée, par effraction, de partis politiques islamistes (et de formations politiques d’obédience culturelle), l’islam politique a été officialisé en Algérie, dans la moitié des années 1990, avec l’admission des premiers chefs islamistes dans la course à la présidentielle. Dans une étude réalisée cette année et intitulée «L’impact de l’évolution de l’islam politique sur la cohésion nationale en Algérie», Amel Boubekeur, sociologue et chercheure à l’EHESS de Paris, ainsi qu’au Carnegie Middle East Center, où elle dirige le «Arab Maghreb project» à Beyrouth, s’est penchée sur le phénomène de l’islamisme algérien. L’une des conclusions dégagée a trait aux changements opérés dans «l’idéologie des partis islamistes» qui, selon elle, n’aspirent plus aujourd’hui à une quelconque «révolution» islamique, ni au terme d’un processus électoral ni à la suite d’un «processus révolutionnaire violent». Payant le prix de leur cooptation et des avantages de la rente pétrolière, ces partis, précise-t-elle, n’ont plus une grande influence auprès de la population. Cela a conduit au désintéressement des militants islamistes de base pour le cadre du parti politique qui désormais lui préfèrent un autre cadre, celui de la da’wa salafiyya. «En laissant se développer le mouvement de la salafiyya, l’Etat a trouvé un soutien de taille à sa politique de réconciliation et a endigué ponctuellement la radicalisation politique d’un islam ultra-orthodoxe», écrit Mme Boubekeur.
«Il n’y a pas de régulation du champ politique»
Devant l’instrumentalisation, par les gouvernants, des partis islamistes officiels cooptés ou neutralisés, soutenue par la fermeture de l’espace audiovisuel national, qui a cédé le pas aux chaînes religieuses du Golfe, et la présence d’une littérature religieuse de très bon marché, principalement salafie, ainsi que par la distribution de nombreux livres de prédication gratuits dans les mosquées, le mouvement de la salafiyya est devenu un des principaux mouvements de réislamisation du pays. Et, même si les membres de la salafiyya considèrent le système électoral et le cadre du parti comme l’importation d’une tradition occidentale, la responsable du «Arab Maghreb project» n’exclut pas l’implication importante des anciens membres et activistes de l’ex-FIS, ainsi que de la base islamiste de la da’wa salafiyya, lors des prochaines élections, communales, législatives et présidentielles.
Amel Boubekeur prévient, par ailleurs, que «la radicalité religieuse dont la salafiyya est porteuse», voire son rejet des « «valeurs majoritaires de la société et toute perspective de vie commune avec le reste de la population», pourrait avoir de lourdes conséquences pour la stabilité du pays.
Récemment, la sociologue est revenue sur le sujet, avec cette fois, une nouvelle étude en poche, consacrée à la «la réémergence du soufisme en Algérie et au Maroc». Lors d’une conférence qu’elle a animée le 23 novembre dernier, à Riad El-Feth, à Alger, Amel Boubekeur a déclaré : «Si islam politique il y a dans 5 ans, il sera hors partis politiques en Algérie et devra revoir sa position d’opposition». D’après elle, si cette forme d’islam continue d’être encouragée par l’Etat, elle s’exprimera alors à travers le mouvement de la salaffiya ou le mouvement soufi, vu sous l’angle des zaouïas. Cela, parce que le pluralisme de façade a complètement fragilisé le cadre moderne du parti politique. «Dans les années 1980 et 1990, les islamistes étaient utilisés par le régime pour contrer la gauche. Finalement, il n’y a pas de régulation du champ politique», a-t-elle remarqué.
Concernant le mouvement de la salaffiya, elle préviendra que celui-ci ne croit qu’à la nation musulmane et prône par opportunisme «le nationalisme et un islam purement algérien». Quant aux confréries et zaouïas, leurs leaders auraient collaboré avec le colonisateur français, mais malgré cela, elles ont été réhabilitées, ces dix dernières années, pour prêcher «un islam pro-étatique». Pour la chercheure, si la salafiyya est sectaire et exclut l’Autre, les soufis «sont perçus comme les conseillers du prince» et reconnaissent seulement le chef de l’Etat comme seul interlocuteur.
La pression du tout-sécuritaire n’a pas fait disparaître le terrorisme. Pire, elle a coûté cher, principalement à la société civile.
Pour la spécialiste, l’évolution de l’islam politique en Algérie et surtout l’encouragement, par le pouvoir, des formes hors partis politiques - comme étant les solutions uniques à l’islam politique - constituent une véritable menace à la cohésion nationale et à l’épanouissement de la société civile.
Est-il alors possible de s’attaquer à la matrice idéologique de l’islamisme, sans régler la question du choix d’un projet national commune (projet de société) et sans ouvrir tous les espaces nécessaires à l’expression de la raison et de la diversité, à l’approche de la différence et à la participation citoyenne dans la vie publique ?
Lorsque les dirigeants sont aux côtés des Algériens, qu’ils veillent sur leur dignité, qu’ils les écoutent, qu’ils leur font confiance, en leur rendant des comptes et en promouvant le savoir et l’algérianité, il fait toujours bon de vivre ensemble dans la maison Algérie.
Par Z’hor Chérief
Les Débats.
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