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Lecture critique : L’Inconnu d’Alger, de Stéphane Babey

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  • Lecture critique : L’Inconnu d’Alger, de Stéphane Babey

    Lecture critique :

    L’Inconnu d’Alger, de Stéphane Babey (Editions KOUTOUBIA, 2009)


    La confusion des sentiments



    Après la publication des Assassins de la Citadelle, Stéphane Babey semblait avoir mis un terme à la quête de son algérianité paternelle. Pourtant, seulement deux ans après, le besoin profond récidive. Cela donne lieu à la publication de l’Inconnu d’Alger.

    Comme un grand nombre de romans modernes, l’Inconnu d’Alger est truffé de subites et subtiles introductions de séquences rétrospectives (Analepses), d’incessants allers-retours entre le présent et le passé qui empêchent d’en parler sans altérer son histoire, et surtout sa structure.

    Danoy Victor est un écrivain quadragénaire dont les romans ont un certain succès. Pour des raisons qui sont obscures au commencement, il mène dans sa propre ville et dans son propre pays une vie d’«exilé» et de «déraciné». Il semble souffrir d’une intime carence et vouloir à tout prix y remédier. Ce mal le plonge constamment dans des réminiscences de différentes périodes de sa vie. Il considère son passé comme «un vrai cancer généralisé». Et comme si son propre égarement intérieur ne pouvait suffire, Victor souffrira jusqu’à l’agacement d’avoir, sa vie durant, à ‘’donner’’ son nom. Ce nom «d’emprunt», ce nom qu’il récuse lui sera réclamé chaque rentrée des classes par ses instituteurs, puis plus tard par des agents d’administration ou des agents de police, et jamais, jamais en toutes ces occasions, il ne parviendra à prononcer directement ce mot de ‘’Danoy’’.

    Littéralement, ces questions à propos du nom (entre autres) constituent un écueil à la progression linéaire du récit. L’auteur les utilise comme des actants de l’intériorité, puisqu’elles amorcent un brutal changement de trajectoire où le narrateur se met à se parler à lui-même, à concevoir entre lui et les autres une barrière impossible à franchir. Ainsi, l’Inconnu d’Alger renferme, comme une principale parabole, l’histoire d’une impossibilité originelle de prononcer un nom, au risque d’y endiguer, d’y restreindre et d’y enfermer une identité. Cette suite de syllabes, insignifiante en soi, ne sera jamais prononcée par Victor qu’en guise d’échappatoire, «pour qu’on lui foute la paix», car il semble être au courant d’une autre réalité.

    Cette réalité que la mère a toujours voulu cacher, Victor fini par la découvrir un jour. Sur une photographie, un père algérien. A l’hostilité qui l’a toujours lié à sa mère, s’ajoute alors une haine d’un autre genre : Victor assimile sa mère à la France, son père à l’Algérie. Il fait du FLN l’emblème de son enfance. Il se met dans les rangs du «camp paternel» pour combattre le négationnisme de sa mère et, par là-même, celui de la France qui, toutes deux, doivent une grande part de passé à l’Algérie qu’elles voudraient oublier, et faire oublier. Cette part d’algérianité que Victor à su préserver en lui ne se dévoilera que quelques années plus tard, grâce à la complicité de Nadja, une étudiante algérienne.

    Mais c’est une autre figure féminine qui se révélera cruciale à la quête de l’identité. Ecrivain, Victor rencontre lors d’une séance de dédicaces Zoulikha, une jeune maghrébine. Celle-ci lui fait visiter et découvrir la banlieue. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’on constate que le roman est historicisé et inscrit dans une actualité très proche. L’auteur profite d’ailleurs de cette intrusion de ses personnages pour constater à travers eux dans quelle détresse et dans quel dénuement se trouve la banlieue. Vient ensuite l’heure du voyage en Algérie et des retrouvailles éventuelles. Victor n’a jamais visité l’Algérie, ses connaissances sur ce pays sont vagues et interfèrent avec tout ce qu’il a pu imaginer depuis qu’il se savait une part algérienne. Tout ne pouvait que le surprendre alors, tout et en particulier la principale découverte qu’il fera et qui constitue la chute du roman. La mémoire de Victor se trouve enfin incarnée, et de la manière la plus troublante et la plus inattendue.

    Ainsi, l’Inconnu d’Alger nous apprend (ou du moins nous rappelle) à travers une histoire et surtout à travers une structure, qu’un déraciné est un eternel Janus qui, trainant un passé irrésolu, ne peut se décider à placer son point de mire au devant de lui-même. Il s’invente un passé, et dans ce passé, un destin tout aussi inventé. Il observe en arrière, avec stupeur, cette blessure béante et, à défaut de pouvoir la refermer, se résigne à y trouver refuge.

    L.L.A.




    L’intertextualité :
    Par sa construction et par ses thèmes, l’Inconnu d’Alger fait penser à de probables liens d’intertextualité. Ces errances de l’adulte enfant dans le temps et dans l’espace ne manquent pas de faire venir à l’esprit un certain Wallas, lui-même à la recherche d’un père (Les Gommes). Le rapport de l’enfant avec sa mère devient, avec le temps, similaire au rapport de Brasse-Bouillon avec Folcoche (Vipère au Poing). Et puis, la relation qu’entretient Victor adulte avec sa mère, dans une sorte de non-lien, est semblable à celle du personnage de l’Etranger (La maison de retraite, les visites espacées, l’enterrement…)

    La faille :
    Quand le narrateur débarque en Algérie, nous retrouvons dans le roman quelques descriptions et quelques commentaires sur la vie et la société. Nous ne pouvons que savoir gré à Stephane Babey de s’impliquer dans la réalité algérienne, mais relevons tout de même que quelques imperfections procèdent justement de cette implication. Il s’agit principalement du caractère anachronique et stéréotypé de certains propos. Non que ceux-ci soient fondamentalement faux, mais ils sont insérés dans une réalité qui n’est plus la leur. Nous pouvons ainsi lire : «Plus nous avancions en direction des bâtiments (…), plus leur vétusté était flagrante (…) D’innombrables fissures stigmatisaient l’absence totale d’entretien (…) Des fenêtres avaient dû être remplacées à la hâte par les locataires qui (…) avaient fini par substituer des sacs plastiques aux vitres (…) Le parking était rempli de vieilles voitures… » Et l’on peut aussi entendre un des personnages : «Mais nous, on n’a pas d’eau (…) nous sommes approvisionnés le mercredi et le jeudi, de 14 à 15 heures.» «C’est ça l’Algérie aujourd’hui. Le pays du fatalisme».


    Les extraits :
    «Mon premier procès eut donc lieu le jour de ma rentrée au cours préparatoire dans cette école du dixième arrondissement », Page 17, paragraphe 5.
    «Enfin la sonnerie se mit à retentir et je me sentit enfin délivré des regards inquiétants qui semblaient converger sur la bête curieuse que j’étais. Nous nous mîmes en rang par deux et un homme d’une quarantaine d’années vint nous chercher. Quelques minutes plus tard, alors que je commençais à me sentir dans la salle de classe comme un réfugier dans un abri de fortune, ce petit barbu m’asséna un coup dont, je crois, je n’oublierai jamais la rudesse», Pages 18 et 19, paragraphe 7.
    « - Danoy Victor, c’est toi ? Ma réponse fut aussi polie que pavlovienne. Oui Monsieur. C’est moi. L’interrogation ne faisait que commencer. «Le barbu» était donc le premier procureur auquel j’eus à faire. La profession de tes parents ? Le salaud m’avait piégé et je ne savais déjà que je ne pourrais pas m’en tirer. J’étais fait comme un rat. -Ma mère est professeur, monsieur. L’effet que fit ma réponse me donna la même impression qu’un accusé à qui un tribunal octroie une peine avec sursis. Mais ce fut une impression qui dura à peine quelques secondes. Et ton père ? Je ne sais pas, monsieur.» (Pages 19 et 20)


    Par Lamellad Larbi Amine ([email protected])
    Paru dans El Djadel N°07 du 18 avril au 8 mai 2009


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    Ce n’est pas un homme, c’est un champignon.
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