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Le Concept de «nation» : Conclusions du Conseil de l'Europe
(pas confondre avec UE, il y a la Turquie, le Maroc en observateur)
Texte adopté par l’Assemblée le 26 janvier 2006 (7e séance).
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1. En 2003, l’Assemblée parlementaire débattait de la question du traitement préférentiel des minorités nationales par l’Etat-parent à travers le cas de la loi hongroise du 19 juin 2001 concernant les Hongrois vivant dans les pays voisins («Magyars»). Dans la Résolution 1335 (2003), l’Assemblée constatait à propos de la loi hongroise, qui contient en préambule une définition du concept de «nation», qu’il n’existait pas jusqu’ici de «définition juridique commune européenne du concept de “nation”».
2. L’Assemblée, consciente de la nécessité de clarifier la terminologie employée dans les Constitutions et législations en vigueur pour couvrir le phénomène des liens ethniques, linguistiques et culturels entre les groupes de citoyens vivant dans des Etats distincts, en particulier l’emploi du mot «nation», ainsi que la corrélation existante avec un contexte historique ou politique précis, s’est interrogée sur la question de savoir si, et de quelle manière, le concept de «nation» – le cas échéant un concept repensé et modernisé – pouvait aider à faire progresser la réflexion sur la question des minorités nationales et de leurs droits dans l’Europe du XXIe siècle.
3. Dans l’étude du concept de «nation» et de son utilisation en Europe, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme se basant, d’une part, sur les données recueillies auprès de 35 délégations parlementaires nationales qui ont répondu à un questionnaire, et, d’autre part, sur les interventions d’experts juristes et politologues qui ont participé à une audition qu’elle a organisée à Berlin le 7 juin 2004, a conclu à la difficulté, voire à l’impossibilité, de donner une définition commune du concept de «nation».
4. Le terme «nation» est profondément ancré dans la culture des peuples, leur histoire, et il intègre les éléments fondamentaux de leur identité. Il est, en outre, étroitement lié aux idéologies politiques qui en ont fait usage et en ont perverti le sens originel. De surcroît, au regard de la diversité des langues en usage en Europe, un concept comme celui de «nation» se trouve être proprement intraduisible dans beaucoup de pays où il n’y trouve au mieux qu’une traduction approximative dans la langue nationale. Inversement, les mots utilisés dans la langue nationale ne trouvent pas davantage de traduction adéquate en anglais ou en français, les deux langues officielles du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée a reconnu que, dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, le concept de «nation» sert à indiquer la citoyenneté, c’est-à-dire un lien (une relation) juridique entre un Etat et une personne, indépendamment de l’origine ethnoculturelle de celle-ci, tandis que, dans d’autres Etats membres, il renvoie à une communauté précise parlant une langue donnée et caractérisée par une série de traditions culturelles et historiques analogues, par une même conception de son passé, par les mêmes aspirations et par une même vision de son avenir. Dans certains Etats membres, les deux conceptions sont utilisées simultanément pour indiquer la citoyenneté et l’origine (ethnoculturelle) nationale respectivement. A cette fin, le mot «nation» est parfois employé à double sens, mais il arrive aussi que deux mots différents soient utilisés pour chacun de ces sens.
6. L’Assemblée reconnaît aussi que, lorsque le concept de «nation» est employé au sens de «citoyenneté», il désigne une certaine relation contractuelle entre une personne physique et un Etat, tandis que, lorsqu’il s’entend d’une communauté ethnoculturelle, il désigne une réalité culturelle (un fait ou un statut culturel) fondée sur l’association libre et unilatérale d’une personne physique à cette communauté, et ne concerne que les relations entre les membres de cette communauté. Une nation, au sens culturel du terme, ne devient un sujet de droit (voir le droit international) que si elle s’organise en tant qu’Etat internationalement reconnu.
7. L’Assemblée note que, dans le cadre du processus très complexe d’édification d’une nation et de naissance d’Etats-nations, les Etats européens modernes ont fondé leur légitimité soit sur l’acception civique du concept de «nation», soit sur l’acception culturelle de ce concept. Toutefois, si la distinction entre ces deux acceptions n’apparaît toujours pas dans la Constitution de certains Etats membres du Conseil de l’Europe, la tendance générale est que l’Etat-nation évolue, selon les cas, d’un Etat purement ethnique ou ethnocentrique vers un Etat civique, ou bien d’un Etat purement civique vers un Etat multiculturel dans lequel des droits particuliers sont reconnus non seulement aux personnes physiques mais aussi aux communautés culturelles ou nationales.
8. L’Assemblée note aussi que, en raison de la manière dont les Etats-nations se sont formés au XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle, et des modifications de leurs frontières à la fin de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide, vivent sur le territoire de la quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe divers groupes de personnes qui sont citoyennes du même Etat ou de la même nation civique mais qui appartiennent à différentes nations culturelles ou s’y rattachent. Par rapport au plus grand groupe de citoyens ayant les mêmes origines ethnoculturelles, ces groupes, qui sont relativement plus petits, constituent des minorités nationales et sont ainsi qualifiés.
9. Ces minorités ou communautés nationales – souvent nées à la suite du changement des frontières étatiques –, qui représentent une partie constitutive et une entité cofondatrice de l’Etat-nation dont les membres sont sujets en tant que citoyens, jouissent de leurs droits afin de préserver, exprimer et développer leur identité nationale, tels que ces droits sont prévus dans les Recommandations 1201 (1993) et 1623 (2003) de l’Assemblée, ainsi que dans la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148).
10. L’Assemblée note aussi que les minorités nationales en tant que telles n’ayant pas la personnalité juridique, elles ne peuvent pas être sujets de droit et ne peuvent donc pas être parties à des contrats ou à des accords. Elles doivent, toutefois, faire l’objet d’une protection collective et leurs membres doivent avoir la capacité d’agir, soit individuellement en qualité de sujets de droit, soit collectivement dans le cadre de diverses entités ayant la personnalité juridique, pour défendre l’identité et les droits culturels de leurs minorités nationales respectives. Ces droits ne sont ni territoriaux ni liés à un territoire, et leur reconnaissance et leur protection doivent être organisées par la loi à la fois au niveau de chaque Etat-nation concerné et au niveau transnational (international).
11. L’Assemblée reconnaît que le rôle le plus important dans la préservation de l’identité des minorités nationales revient à l’Etat dont les personnes appartenant à ces minorités nationales sont les citoyens. Elle invite, en conséquence, les Etats membres à adopter des législations et des actes normatifs qui reconnaissent les minorités nationales traditionnelles et à les appliquer de bonne foi. En ce qui concerne la représentation dans les institutions politiques, elle recommande aux Etats d’appliquer le principe de la discrimination positive envers les membres des minorités nationales, spécialement pour ce qui est de la représentation proportionnelle dans les institutions centrales et décentralisées (y compris au niveau de leur exécutif), en particulier dans les régions où ces minorités résident.
12. L’Assemblée considère qu’il est nécessaire de renforcer la reconnaissance des liens de chaque citoyen européen avec son identité, sa culture, ses traditions et son histoire, pour permettre à tout individu de se définir en tant que membre d’une «nation» culturelle, indépendamment du pays dont il est citoyen ou de la nation civique à laquelle il appartient en tant que citoyen, et, plus précisément, de répondre aux aspirations croissantes des minorités qui ont un fort sentiment d’appartenance à une certaine nation culturelle. Elle estime qu’il est important, autant dans une perspective politique que juridique, d’encourager une approche plus tolérante de la question des relations entre l’Etat et les minorités nationales, qui conduise à l’acceptation de bonne foi du droit de chaque individu d’appartenir à la nation à laquelle il a le sentiment d’appartenir, soit du point de vue de la citoyenneté, soit du point de vue de la langue, de la culture et des traditions.
13. L’Assemblée rappelle que, dans sa Résolution 1335 (2003), elle relevait que «l’émergence de formes nouvelles et originales de protection des minorités, notamment par leur Etat-parent, est une tendance positive (…)». Elle subordonnait la possibilité pour les Etats d’adopter des mesures unilatérales concernant la protection des minorités à l’étranger, qu’elles résident dans un pays voisin ou dans d’autres pays, au respect des principes suivants: la souveraineté territoriale, la règle pacta sunt servanda, les relations amicales entre les Etats et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales – en particulier l’interdiction de la discrimination. S’il est légitime que les Etats-parents jouent un rôle important dans le respect des droits des minorités nationales en ce qu’ils se préoccupent du sort de leurs conationaux résidant dans d’autres pays, ce soutien doit absolument respecter la législation des Etats où les minorités concernées vivent et tout acte normatif doit être préalablement négocié avec les gouvernements de ces Etats. Les mêmes droits et obligations devraient être reconnus à, ou observés par, tous les Etats qui entendent adopter des mesures unilatérales concernant la protection de l’identité des minorités culturelles et nationales vivant dans différents Etats et composées des citoyens de ces derniers.
Le Concept de «nation» : Conclusions du Conseil de l'Europe
(pas confondre avec UE, il y a la Turquie, le Maroc en observateur)
Texte adopté par l’Assemblée le 26 janvier 2006 (7e séance).
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1. En 2003, l’Assemblée parlementaire débattait de la question du traitement préférentiel des minorités nationales par l’Etat-parent à travers le cas de la loi hongroise du 19 juin 2001 concernant les Hongrois vivant dans les pays voisins («Magyars»). Dans la Résolution 1335 (2003), l’Assemblée constatait à propos de la loi hongroise, qui contient en préambule une définition du concept de «nation», qu’il n’existait pas jusqu’ici de «définition juridique commune européenne du concept de “nation”».
2. L’Assemblée, consciente de la nécessité de clarifier la terminologie employée dans les Constitutions et législations en vigueur pour couvrir le phénomène des liens ethniques, linguistiques et culturels entre les groupes de citoyens vivant dans des Etats distincts, en particulier l’emploi du mot «nation», ainsi que la corrélation existante avec un contexte historique ou politique précis, s’est interrogée sur la question de savoir si, et de quelle manière, le concept de «nation» – le cas échéant un concept repensé et modernisé – pouvait aider à faire progresser la réflexion sur la question des minorités nationales et de leurs droits dans l’Europe du XXIe siècle.
3. Dans l’étude du concept de «nation» et de son utilisation en Europe, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme se basant, d’une part, sur les données recueillies auprès de 35 délégations parlementaires nationales qui ont répondu à un questionnaire, et, d’autre part, sur les interventions d’experts juristes et politologues qui ont participé à une audition qu’elle a organisée à Berlin le 7 juin 2004, a conclu à la difficulté, voire à l’impossibilité, de donner une définition commune du concept de «nation».
4. Le terme «nation» est profondément ancré dans la culture des peuples, leur histoire, et il intègre les éléments fondamentaux de leur identité. Il est, en outre, étroitement lié aux idéologies politiques qui en ont fait usage et en ont perverti le sens originel. De surcroît, au regard de la diversité des langues en usage en Europe, un concept comme celui de «nation» se trouve être proprement intraduisible dans beaucoup de pays où il n’y trouve au mieux qu’une traduction approximative dans la langue nationale. Inversement, les mots utilisés dans la langue nationale ne trouvent pas davantage de traduction adéquate en anglais ou en français, les deux langues officielles du Conseil de l’Europe.
5. L’Assemblée a reconnu que, dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe, le concept de «nation» sert à indiquer la citoyenneté, c’est-à-dire un lien (une relation) juridique entre un Etat et une personne, indépendamment de l’origine ethnoculturelle de celle-ci, tandis que, dans d’autres Etats membres, il renvoie à une communauté précise parlant une langue donnée et caractérisée par une série de traditions culturelles et historiques analogues, par une même conception de son passé, par les mêmes aspirations et par une même vision de son avenir. Dans certains Etats membres, les deux conceptions sont utilisées simultanément pour indiquer la citoyenneté et l’origine (ethnoculturelle) nationale respectivement. A cette fin, le mot «nation» est parfois employé à double sens, mais il arrive aussi que deux mots différents soient utilisés pour chacun de ces sens.
6. L’Assemblée reconnaît aussi que, lorsque le concept de «nation» est employé au sens de «citoyenneté», il désigne une certaine relation contractuelle entre une personne physique et un Etat, tandis que, lorsqu’il s’entend d’une communauté ethnoculturelle, il désigne une réalité culturelle (un fait ou un statut culturel) fondée sur l’association libre et unilatérale d’une personne physique à cette communauté, et ne concerne que les relations entre les membres de cette communauté. Une nation, au sens culturel du terme, ne devient un sujet de droit (voir le droit international) que si elle s’organise en tant qu’Etat internationalement reconnu.
7. L’Assemblée note que, dans le cadre du processus très complexe d’édification d’une nation et de naissance d’Etats-nations, les Etats européens modernes ont fondé leur légitimité soit sur l’acception civique du concept de «nation», soit sur l’acception culturelle de ce concept. Toutefois, si la distinction entre ces deux acceptions n’apparaît toujours pas dans la Constitution de certains Etats membres du Conseil de l’Europe, la tendance générale est que l’Etat-nation évolue, selon les cas, d’un Etat purement ethnique ou ethnocentrique vers un Etat civique, ou bien d’un Etat purement civique vers un Etat multiculturel dans lequel des droits particuliers sont reconnus non seulement aux personnes physiques mais aussi aux communautés culturelles ou nationales.
8. L’Assemblée note aussi que, en raison de la manière dont les Etats-nations se sont formés au XIXe siècle et dans la première partie du XXe siècle, et des modifications de leurs frontières à la fin de la seconde guerre mondiale et de la guerre froide, vivent sur le territoire de la quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe divers groupes de personnes qui sont citoyennes du même Etat ou de la même nation civique mais qui appartiennent à différentes nations culturelles ou s’y rattachent. Par rapport au plus grand groupe de citoyens ayant les mêmes origines ethnoculturelles, ces groupes, qui sont relativement plus petits, constituent des minorités nationales et sont ainsi qualifiés.
9. Ces minorités ou communautés nationales – souvent nées à la suite du changement des frontières étatiques –, qui représentent une partie constitutive et une entité cofondatrice de l’Etat-nation dont les membres sont sujets en tant que citoyens, jouissent de leurs droits afin de préserver, exprimer et développer leur identité nationale, tels que ces droits sont prévus dans les Recommandations 1201 (1993) et 1623 (2003) de l’Assemblée, ainsi que dans la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148).
10. L’Assemblée note aussi que les minorités nationales en tant que telles n’ayant pas la personnalité juridique, elles ne peuvent pas être sujets de droit et ne peuvent donc pas être parties à des contrats ou à des accords. Elles doivent, toutefois, faire l’objet d’une protection collective et leurs membres doivent avoir la capacité d’agir, soit individuellement en qualité de sujets de droit, soit collectivement dans le cadre de diverses entités ayant la personnalité juridique, pour défendre l’identité et les droits culturels de leurs minorités nationales respectives. Ces droits ne sont ni territoriaux ni liés à un territoire, et leur reconnaissance et leur protection doivent être organisées par la loi à la fois au niveau de chaque Etat-nation concerné et au niveau transnational (international).
11. L’Assemblée reconnaît que le rôle le plus important dans la préservation de l’identité des minorités nationales revient à l’Etat dont les personnes appartenant à ces minorités nationales sont les citoyens. Elle invite, en conséquence, les Etats membres à adopter des législations et des actes normatifs qui reconnaissent les minorités nationales traditionnelles et à les appliquer de bonne foi. En ce qui concerne la représentation dans les institutions politiques, elle recommande aux Etats d’appliquer le principe de la discrimination positive envers les membres des minorités nationales, spécialement pour ce qui est de la représentation proportionnelle dans les institutions centrales et décentralisées (y compris au niveau de leur exécutif), en particulier dans les régions où ces minorités résident.
12. L’Assemblée considère qu’il est nécessaire de renforcer la reconnaissance des liens de chaque citoyen européen avec son identité, sa culture, ses traditions et son histoire, pour permettre à tout individu de se définir en tant que membre d’une «nation» culturelle, indépendamment du pays dont il est citoyen ou de la nation civique à laquelle il appartient en tant que citoyen, et, plus précisément, de répondre aux aspirations croissantes des minorités qui ont un fort sentiment d’appartenance à une certaine nation culturelle. Elle estime qu’il est important, autant dans une perspective politique que juridique, d’encourager une approche plus tolérante de la question des relations entre l’Etat et les minorités nationales, qui conduise à l’acceptation de bonne foi du droit de chaque individu d’appartenir à la nation à laquelle il a le sentiment d’appartenir, soit du point de vue de la citoyenneté, soit du point de vue de la langue, de la culture et des traditions.
13. L’Assemblée rappelle que, dans sa Résolution 1335 (2003), elle relevait que «l’émergence de formes nouvelles et originales de protection des minorités, notamment par leur Etat-parent, est une tendance positive (…)». Elle subordonnait la possibilité pour les Etats d’adopter des mesures unilatérales concernant la protection des minorités à l’étranger, qu’elles résident dans un pays voisin ou dans d’autres pays, au respect des principes suivants: la souveraineté territoriale, la règle pacta sunt servanda, les relations amicales entre les Etats et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales – en particulier l’interdiction de la discrimination. S’il est légitime que les Etats-parents jouent un rôle important dans le respect des droits des minorités nationales en ce qu’ils se préoccupent du sort de leurs conationaux résidant dans d’autres pays, ce soutien doit absolument respecter la législation des Etats où les minorités concernées vivent et tout acte normatif doit être préalablement négocié avec les gouvernements de ces Etats. Les mêmes droits et obligations devraient être reconnus à, ou observés par, tous les Etats qui entendent adopter des mesures unilatérales concernant la protection de l’identité des minorités culturelles et nationales vivant dans différents Etats et composées des citoyens de ces derniers.
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