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Culture et communication en milieu rural en Algérie

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  • Culture et communication en milieu rural en Algérie

    En Algérie, comment valoriser le savoir-faire local, tirer une philosophie de la vie et du développement à partir de la sagesse ancestrale et féconder ce legs précieux avec les données modernes de la sociologie et de la communication ?

    Comment obtenir un développement équilibré et harmonieux des territoires et des communautés humaines à partir de projets conçus et formulés à la base ? Tel semble être le pari de l’approche participative du développement durable telle qu’elle se décline dans les projets destinés aux communautés rurales.

    Mouloud Mammeri, dans plusieurs de ses interventions en conférence, Fanny Colonna, dans les études qu’elle a consacrées au monde paysan algérien, Mostefa Lacheraf, dans ses différentes publications d’histoire et de sociologie, ont abordé avec un regard nouveau, décomplexé et critique la composante de l’espace rural algérien aussi bien en matière de culture vécue et d’attitudes “idéologiques” que du point de vue de la production du terroir, de l’artisanat et des valeurs du travail.

    Au-delà de ce genre d’approche destiné à ‘’décrypter’’ sur plusieurs facettes le monde rural algérien, une nouvelle problématique, celle de la communication en milieu rural a été abordée par plusieurs auteurs qui ont voulu faire évoluer la relation entre les intervenants institutionnels et techniques (administration, bureaux d’étude, techniciens, bailleurs de fonds) avec les paysans et les agriculteurs de façon à mieux appréhender les enjeux de ce milieu spécifique et, par conséquent, imaginer les solutions les plus appropriées aux problèmes diagnostiqués conjointement avec les concernés dans une dynamique de participation active.

    Le mode rural algérien, déstructuré par la colonisation et marginalisé par une conception du développement centré, au cours des années 1970, sur l’industrie industrialisante et la croissance des villes, a fait l’objet de plusieurs études de vocation sociologique, économique ou simplement administrative (à l’exemple des recensements de la population et de l’habitat). Pierre Bourdieu, Djilali Sari, Ahmed Henni, M’hamed Boukhobza et d’autres spécialistes ont abordé, chacun selon les règles qu’il s’est fixées, des aspects particuliers du monde rural relatifs à l’histoire, à l’économie, à la propriété foncière, à la dépossession et au milieu physique. Cependant, jusqu’à un passé récent, la vision économique a prédominé de façon hégémonique sur l’ensemble du discours produit sur un espace géographique pourtant réputé pour sa complexité. C’est un espace où viennent s’imbriquer les éléments liés à l’histoire et à la culture, au milieu physique, au mode d’appropriation de l’espace et aux représentations individuelles et collectives.

    Des préjugés et des malentendus

    "La pratique humaine est de plus en plus souvent perçue et expliquée à travers le prisme ‘’économique’’ qui ne tire cette qualification que des chiffres et tableaux qui l’accompagnent. Cette économie est plus comptabilité qu’autre chose. Elle s’auréole du cachet de la science en se dotant de formules et de nombres et se condamne à n’être qu’opérations arithmétiques", souligne Ahmed Henni dans son ouvrage “La colonisation agraire et le sous-développement en Algérie’’.

    De son côté, Mostefa Lacheraf soutient que " c’est l’état général du milieu paysan qui renseigne le plus le degré d’arriération, la nature des carences à moyen et long terme, les chances et possibilités d’un progrès concernant la société dans son ensemble (…) La réalité objective de la société algérienne s’évalue et se détermine bon gré mal gré par rapport à la condition globale du monde paysan " (in ‘’Ecrits didactiques’’- 1988).

    En outre, la complexité de la connaissance du monde paysan et rural est augmentée par un vieux préjugé identifié par des chercheurs en sciences sociales comme étant un véritable handicap. Fanny Colonna l’explique dans son livre intitulé ‘’Savants et paysans. Eléments de l’histoire sociale sur l’Algérie rurale’’, (éditions OPU-1987) : " Dans la plupart des situations historiques, comme des aires culturelles, les paysans sont définis négativement aussi bien par ceux qui ont le savoir que par ceux qui ont le pouvoir, sur le mode explicite comme sur le mode latent. Ces définitions peuvent servir de base aussi à des politiques de pillage qu’à des politiques de progrès. On pourrait sans peine multiplier les énoncés empruntés à la science sociale, au discours politique ou au sens commun qui décrivent la ‘’paysannerie’’ comme état sauvage ou, à tout le moins, état antérieur, comme lieu de l’irrationalité économique, de la rareté, de l’ignorance et conservatisme social ".

    Vers un pragmatisme décomplexée

    Pour espérer appréhender, sans doute, une partie de cet écheveau et en faire un élément de connaissance dans l’objectif d’asseoir une politique de développement rural, il y a lieu de se pencher sur les outils opératoires et la méthodologie d’approche de ce milieu.

    C’est dans cette perspective que s’inscrit l’ouvrage du professeur Omar Benbekhti intitulé ‘’La stratégie sociale du développement rural’’ (introduction aux méthodes de l’approche participative) et publié aux éditions Dar El Gharb (Oran-2004).

    Le professeur Benbekhti est connu pour l’intérêt qu’il porte au thème de la sociologie du développement et des méthodes d’intervention en milieu rural. Enseignant de sociologie à l’université d’Oran, il est expert international et consultant à la Banque mondiale, la FAO et le PNUD. Il travaille à l’élaboration de la stratégie sociale de projets de développement en Afrique et en Asie, particulièrement dans la région Moyen-orient et Afrique du Nord. Ayant déjà publié “Études méthodologiques sur l’organisation et l’analyse du travail industriel” (OPU-1986) et “Les Arabes dans l’impasse” (Dar El Gharb-2004), Benbekhti a tenu à mettre à la disposition du lecteur la somme des expériences qu’il a accumulées dans l’approche des communauté rurales supposées devoir prendre leur destin en main à partir d’une participation effective au développement de leur espace et à l’amélioration de leurs conditions de vie.

    La préface écrite par Rachid Benaïssa, ministre de l’Agriculture et du Développement rural, situe l’importance du travail accompli par l’auteur dans le contexte de la politique algérienne de développement rural mise en œuvre ces dernières années à travers plusieurs programmes (PNDA, PPDR, PER…). " L’ouvrage didactique (…) que propose Benbekhti intervient fort opportunément au moment où nous nous sommes dotés d’une stratégie décennale de développement rural durable, qui a notamment pour ambition d’assurer les synergies agronomiques, sociales et environnementales en milieu rural. Cette ambition procède d’une évaluation sans complaisance des programmes et instruments de développement mis en œuvre pour améliorer les conditions de vie des populations rurales, évaluation qui a mis en relief l’absence d’implication des populations aux processus de développement qui les concernent et les rigidités des structures administratives à envisager le développement autrement qu’à travers une gestion directe de ces mêmes processus ".

    Les nouveaux modes d’intervention en milieu rural réservent une place de choix aux populations concernées par les projets de développement pour qu’elles s’impliquent dans toutes les phases de conception, de montage et d’exécution des projets. Les méthodes centralisatrices et rigides qui font fi des choix des populations ont fait leur temps.

    En Algérie et ailleurs dans le monde, elles ont ‘’réussi l’échec’’. Combien de projets agricoles, hydrauliques ou d’infrastructures se sont soldés par des pertes sèches juste après leur réalisation par les administrations maîtres de l’ouvrage ? Non impliquées, les populations ciblées se sentent non concernées. De même, la pertinence des choix en matière de projets à installer dans l’arrière-pays montagneux ou steppique peut être grandement facilitée et judicieusement orientée quand les habitants ciblés sont associés ; car, quelles que soient la fiabilité technique et l’intention économique des projets considérés, l’étude du milieu social- par le moyens des instruments du diagnostic sociologique tels que développés par le livre de Benbekhti- contribuera à mieux appréhender les enjeux, les connexions des divers éléments physiques, économiques et sociaux du milieu rural. Il s’agit réellement d’une nouvelle approche de la communication qui permet d’orienter les projets de développement de façon à ce qu’ils soient pris en charges par les bénéficiaires eux-mêmes de façon à accéder au rang de partenaires viables des pouvoirs publics. L’ouvrage est illustré d’exemples tirés de l’expérience d’un projet cofinancé par la Banque mondiale ayant touché le Tell Occidental algérien et ayant pour intitulé ‘’Projet d’Emploi Rural 1’’. Ce dernier est étendu à la région Centre et Centre-ouest de l’Algérie à partir de 2002.

    Développement concerté et participatif


    Sur le plan de l’impact de tels projets, "seule une amélioration des conditions de vie et de revenu donne un sens réel à la notion de développement durable. La mise en valeur des zones de montagne a connu, dans le passé, un impact limité qui n’a pas souvent intégré la dimension sociale, et encore moins la spécificité des pratiques et des traditions de chacun des terroirs, avec la volonté d’introduire de l’innovation", souligne l’auteur. L’introduction de la dimension sociale dans les projets de développement rural et qui suppose le recours aux méthodes participatives, antinomiques des anciens réflexes bureaucratiques et dirigistes, n’est pas totalement acquise en Algérie. Les professions de foi de certains hauts responsables de l’administration ne peuvent être prises pour argent comptant. “La dégradation croissante de l’environnement et la pauvreté grandissante des populations incitent cependant les gouvernants à reconnaître certains échecs de leurs politiques et des programmes d’ajustement structurel sur le développement rural. Toutefois, les décideurs politiques ne sont pas les seuls responsables du décalage. Car, faute de produire et d’élaborer des techniques sociales permettant d’organiser la participation, faute de savoir-faire pour la prendre en charge sur le terrain, faute de politiques de communication et de formation, la participation risque de ne rester qu’une idéologie à la mode (…) Les programmes financés doivent intégrer les variables sociales et culturelles. Les moyens financiers ne sont pas forcément la clé de tous les programmes de développement. La durabilité du développement dépend de la viabilité de l’infrastructure sociale”, conclut l’auteur.

    Par Amar Naït Messaoud, La Dépêche de Kabylie
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