Le 6e Colloque international sur le soufisme qui se tenait à Djanet jusqu’à hier sur le thème des « Voies (toroq) africaines » a soulevé de nombreuses questions quant aux nouveaux défis des confréries, comme l’a illustré le chercheur, également président du Conseil scientifique de la rencontre.
L’impérative nécessité de garder leur nature transnationale malgré les obstacles imposés par les hommes en est une.
En Afrique, on circule difficilement d’un pays à l’autre, surtout entre le nord et le sud du continent. « Il y a pourtant eu entre le nord et le sud des relations très denses, durant un millénaire et demi !
Le Sahara était l’espace d’échanges culturels, d’échanges de manuscrits et de marchandises », indique Ahmed Ben Naoum, « mais le colonialisme a transformé le Sahara en ‘‘désert’’. »
L’homme blanc a rompu les lignes verticales Nord-Sud, la route des caravanes et des connaissances au profit des lignes de transport des matières premières du ventre de l’Afrique vers ses ports de l’Atlantique et de l’océan Indien. Ainsi, pour reprendre le texte de présentation de Ben Naoum, les « voies de communications transafricaines, voies des solidarités et des fraternités soufies à l’intérieur des voies religieuses et entre elles, sont coupées.
Le nord du continent est isolé de ses racines et de la circulation des biens et des cultures ». « Venir ici dans le sud algérien pour participer à un colloque sur le soufisme africain est pour moi un acte symbolique fort. Nous devons multiplier les symboles et les rencontres et se voir plus souvent », s’enthousiasme El Hadj Semdé Moussa, secrétaire général de la communauté spirituelle musulmane des soufis du Burkina Faso.
Recréer l’espace d’échanges à partir des expériences passées, conforter des liens qui ont pourtant discrètement résisté à l’évanescence des cultures imposées par le colonialisme d’hier et la mondialisation des dominants aujourd’hui : tels seraient donc des défis à relever. Les maîtres soufis du passé naissaient à Fès (Ahmed Ben Driss), à Bakou en Azerbaïdjan (Sayed Yahyâ Bâkuvî), ou en Iran (Abdelkader El Djilani), enseignaient au Maghreb ou à La Mecque et leurs enseignements sont suivis aujourd’hui de l’Inde jusqu’en Amérique Latine. « J’imagine bien que ce genre de colloque puisse servir à créer une sorte de réseau des confréries soufies africaines pour venir en aide aux confréries en difficulté dans des pays en crise comme en Somalie », souhaite le chercheur djiboutien Mohamed Ali Doubed qui travaille sur le soufisme dans la Corne de l’Afrique. « Il faudrait activer la solidarité envers les confréries qui peuvent jouer le rôle d’arbitre, alors qu’aujourd’hui en Somalie - et depuis le début des années 1990 – ce sont les seigneurs de la guerre qui décident du sort du pays. »
« Les confréries en Somalie, qui avaient un rôle à jouer, sont tombées dans le jeu du tribalisme, ce qui les divise au profit d’une situation générale catastrophique », appuie-t-il.
Echapper à la pression des Etats, qui cherchent à les récupérer, constitue un autre enjeu pour les Voies, parfois otages de la tribu, et parfois otages d’un certain nationalisme aussi : « Des Etats, des gouvernements, surtout, se disputent la paternité des Voies religieuses en oubliant que celles-ci ne peuvent exister que si elles restent enracinées dans leur vocation première : transterritoriales, translinguistiques et transcommunautaires », avertit Ahmed Ben Naoum dans sa présentation du colloque.
Récupération politicienne ? Exemple. Un chercheur nous explique le cas au Maroc : « Pour compenser son absence de l’Union africiane (UA), Rabat mobilise pour sa diplomatie parallèle envers l’Afrique sa prétendue paternité de certaines puissantes confréries. » Le Maroc, selon ce chercheur, a lancé depuis plusieurs années une offensive diplomatique tous azimuts ciblant les pays subsahariens en proclamant cette « prétendue paternité » des confréries soufies influentes, par exemple au Sénégal ou dans la région. Objectif : rallier ces pays à la thèse marocaine concernant le Sahara occidental en dehors de la sphère institutionnelle de l’UA. « Pour les officiels marocains, la confrérie Tidjaniya est stratégique, parce que très influente dans plusieurs pays africains. On sait que le fondateur de cette confrérie est mort à Fès en 1815 et que les Sénégalais visitent son tombeau en pèlerinage, mais ça ne suffit pas aux Marocains : ils prétendent qu’il est né à Laghouat – or, il est né non loin de là, à Aïn Madhi – pour oser dire ensuite que Laghouat au XVIIIe siècle était marocaine, ce qui est historiquement faux. Tout cela légitimerait la ‘‘marocanité’’ de la Tidjaniya. Les Marocains chargent plusieurs experts ou leaders d’opinion de véhiculer ces idées, en les payant généreusement… », explique ce chercheur.
Or, soutient-il, on peut avancer, même face à des idées aussi fausses, l’argument que Ahmed Ben Driss, né en 1799 à Fès et qui a fondé sa tariqa à La Mecque, reste presque inconnu au Royaume chérifien !
« Pour les Sénégalais, appuie Moustapha Tamba de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Maroc est la base et la source de la Tidjaniya et Fès son véritable centre. Encore une fois, on voit bien comment la religion est instrumentalisée, c’est l’Islam privatisé ! » « Ce n’est pas parce que Si Ahmed Tidjani est né en Algérie et qu’il a fondé sa confrérie au ksar de Boussemgnoun que la Tidjaniya est une propriété algérienne ! Il y a des fidèles de cette tariqa dans le monde entier !
A Jenine, en Palestine, et à Damas, la Rahmaniya est très présente, ce n’est pas pour autant que les habitants de ces deux villes sont ‘‘pro-algériens’’ », renchérit notre chercheur. L’Algérie devrait-elle investir dans ce genre de diplomatie parallèle ?
« Surtout pas ! Il faut dénationaliser les toroq. Et en tout cas, on ne peut, comme le fait le Maroc, continuer à berner certaines parties. Les dates, les lieux, l’histoire des confréries sont connus », atteste notre expert. Bien qu’il regrette que, dans les années 1980, des pèlerins du Sénégal visitant la zaouiya de Aïn Madhi avaient proposé aux autorités algériennes de créer une mosquée pour la Tidjaniya à Alger… En vain.
L’impérative nécessité de garder leur nature transnationale malgré les obstacles imposés par les hommes en est une.
En Afrique, on circule difficilement d’un pays à l’autre, surtout entre le nord et le sud du continent. « Il y a pourtant eu entre le nord et le sud des relations très denses, durant un millénaire et demi !
Le Sahara était l’espace d’échanges culturels, d’échanges de manuscrits et de marchandises », indique Ahmed Ben Naoum, « mais le colonialisme a transformé le Sahara en ‘‘désert’’. »
L’homme blanc a rompu les lignes verticales Nord-Sud, la route des caravanes et des connaissances au profit des lignes de transport des matières premières du ventre de l’Afrique vers ses ports de l’Atlantique et de l’océan Indien. Ainsi, pour reprendre le texte de présentation de Ben Naoum, les « voies de communications transafricaines, voies des solidarités et des fraternités soufies à l’intérieur des voies religieuses et entre elles, sont coupées.
Le nord du continent est isolé de ses racines et de la circulation des biens et des cultures ». « Venir ici dans le sud algérien pour participer à un colloque sur le soufisme africain est pour moi un acte symbolique fort. Nous devons multiplier les symboles et les rencontres et se voir plus souvent », s’enthousiasme El Hadj Semdé Moussa, secrétaire général de la communauté spirituelle musulmane des soufis du Burkina Faso.
Recréer l’espace d’échanges à partir des expériences passées, conforter des liens qui ont pourtant discrètement résisté à l’évanescence des cultures imposées par le colonialisme d’hier et la mondialisation des dominants aujourd’hui : tels seraient donc des défis à relever. Les maîtres soufis du passé naissaient à Fès (Ahmed Ben Driss), à Bakou en Azerbaïdjan (Sayed Yahyâ Bâkuvî), ou en Iran (Abdelkader El Djilani), enseignaient au Maghreb ou à La Mecque et leurs enseignements sont suivis aujourd’hui de l’Inde jusqu’en Amérique Latine. « J’imagine bien que ce genre de colloque puisse servir à créer une sorte de réseau des confréries soufies africaines pour venir en aide aux confréries en difficulté dans des pays en crise comme en Somalie », souhaite le chercheur djiboutien Mohamed Ali Doubed qui travaille sur le soufisme dans la Corne de l’Afrique. « Il faudrait activer la solidarité envers les confréries qui peuvent jouer le rôle d’arbitre, alors qu’aujourd’hui en Somalie - et depuis le début des années 1990 – ce sont les seigneurs de la guerre qui décident du sort du pays. »
« Les confréries en Somalie, qui avaient un rôle à jouer, sont tombées dans le jeu du tribalisme, ce qui les divise au profit d’une situation générale catastrophique », appuie-t-il.
Echapper à la pression des Etats, qui cherchent à les récupérer, constitue un autre enjeu pour les Voies, parfois otages de la tribu, et parfois otages d’un certain nationalisme aussi : « Des Etats, des gouvernements, surtout, se disputent la paternité des Voies religieuses en oubliant que celles-ci ne peuvent exister que si elles restent enracinées dans leur vocation première : transterritoriales, translinguistiques et transcommunautaires », avertit Ahmed Ben Naoum dans sa présentation du colloque.
Récupération politicienne ? Exemple. Un chercheur nous explique le cas au Maroc : « Pour compenser son absence de l’Union africiane (UA), Rabat mobilise pour sa diplomatie parallèle envers l’Afrique sa prétendue paternité de certaines puissantes confréries. » Le Maroc, selon ce chercheur, a lancé depuis plusieurs années une offensive diplomatique tous azimuts ciblant les pays subsahariens en proclamant cette « prétendue paternité » des confréries soufies influentes, par exemple au Sénégal ou dans la région. Objectif : rallier ces pays à la thèse marocaine concernant le Sahara occidental en dehors de la sphère institutionnelle de l’UA. « Pour les officiels marocains, la confrérie Tidjaniya est stratégique, parce que très influente dans plusieurs pays africains. On sait que le fondateur de cette confrérie est mort à Fès en 1815 et que les Sénégalais visitent son tombeau en pèlerinage, mais ça ne suffit pas aux Marocains : ils prétendent qu’il est né à Laghouat – or, il est né non loin de là, à Aïn Madhi – pour oser dire ensuite que Laghouat au XVIIIe siècle était marocaine, ce qui est historiquement faux. Tout cela légitimerait la ‘‘marocanité’’ de la Tidjaniya. Les Marocains chargent plusieurs experts ou leaders d’opinion de véhiculer ces idées, en les payant généreusement… », explique ce chercheur.
Or, soutient-il, on peut avancer, même face à des idées aussi fausses, l’argument que Ahmed Ben Driss, né en 1799 à Fès et qui a fondé sa tariqa à La Mecque, reste presque inconnu au Royaume chérifien !
« Pour les Sénégalais, appuie Moustapha Tamba de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le Maroc est la base et la source de la Tidjaniya et Fès son véritable centre. Encore une fois, on voit bien comment la religion est instrumentalisée, c’est l’Islam privatisé ! » « Ce n’est pas parce que Si Ahmed Tidjani est né en Algérie et qu’il a fondé sa confrérie au ksar de Boussemgnoun que la Tidjaniya est une propriété algérienne ! Il y a des fidèles de cette tariqa dans le monde entier !
A Jenine, en Palestine, et à Damas, la Rahmaniya est très présente, ce n’est pas pour autant que les habitants de ces deux villes sont ‘‘pro-algériens’’ », renchérit notre chercheur. L’Algérie devrait-elle investir dans ce genre de diplomatie parallèle ?
« Surtout pas ! Il faut dénationaliser les toroq. Et en tout cas, on ne peut, comme le fait le Maroc, continuer à berner certaines parties. Les dates, les lieux, l’histoire des confréries sont connus », atteste notre expert. Bien qu’il regrette que, dans les années 1980, des pèlerins du Sénégal visitant la zaouiya de Aïn Madhi avaient proposé aux autorités algériennes de créer une mosquée pour la Tidjaniya à Alger… En vain.
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