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Laboratoire souterrain de Modane: les limiers de l'invisible

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  • Laboratoire souterrain de Modane: les limiers de l'invisible

    Tunnel routier du Fréjus, kilomètre 6,5, refuge anti-incendie n° 6. Les automobilistes empruntant la voie rapide entre la France et l'Italie n'imaginent pas que s'ouvre, derrière une porte coupe-feu semblable à toutes les autres, une galerie secrète, longue de 30 mètres, haute de 10 et large d'autant, emplie d'appareils de mesure et d'écrans informatiques : le Laboratoire souterrain de Modane (LSM).

    Dans cette caverne creusée dans la montagne, des physiciens du CNRS et du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et des chercheurs russes et tchèques mènent, depuis 1982, des expériences fondamentales pour mieux comprendre la formation et la composition de l'Univers. L'équipe permanente ne compte qu'une dizaine de personnes. Toutes les données sont traitées et exploitées à distance. Mais plus d'une centaine de scientifiques du monde entier participent aux programmes.

    Tranchant avec le froid qui givre la vallée, la grotte ressemble à une étuve. Sans système de refroidissement, la chaleur de la roche et celle dégagée par l'alimentation électrique des instruments porteraient la température à 45 °C. Si le site a été choisi, c'est parce que la montagne du Fréjus, dont le sommet culmine 1 700 mètres plus haut, forme un bouclier très efficace contre les rayons cosmiques qui bombardent en permanence la Terre et dont le bruit de fond brouillerait les expériences. "Sur les 10 millions de particules cosmiques par mètre carré et par jour qui atteignent le sol, 4 seulement pénètrent dans le laboratoire", indique le directeur, Fabrice Piquemal.

    Limiers de l'invisible

    De la douzaine de laboratoires souterrains existant dans le monde, celui de Modane est, après le SNOLab canadien, le plus profond. Cette protection naturelle ne suffit toutefois pas à écarter tous les rayonnements parasites. Pour réduire au maximum la radioactivité ambiante - celle de la roche comme celle du corps humain -, les chercheurs ont armé leurs bancs de mesures de plusieurs couches de blindage. En utilisant notamment 22 tonnes de plomb antique récupéré dans l'épave d'un navire romain et devenu inerte.

    Si les physiciens troglodytes s'entourent de telles précautions, c'est qu'ils traquent des particules insaisissables, voire hypothétiques. Et pourtant décisives pour reconstituer le puzzle de l'Univers. Car celui-ci est pire qu'un iceberg, dont nous ne voyons que les 10 % émergés. La matière visible - c'est-à-dire le monde que nous connaissons - ne représente que 4 % de la matière totale du cosmos. Le reste est fait pour un quart de matière noire et pour trois quarts d'énergie sombre, inconnues mais seules capables d'expliquer pourquoi les galaxies tournent plus vite autour de leur centre que ne le veut la somme des masses apparentes de leurs étoiles, et pourquoi l'expansion de l'Univers s'accélère.

    La théorie dominante est que la masse manquante pourrait se cacher dans des particules nées avec le Big Bang, voilà 13,7 milliards d'années, mais encore jamais observées : les wimps (weakly interactive massive particles). Ces "mauviettes" (sens familier de wimp en anglais), qui formeraient un halo autour des galaxies, seraient très massives tout en interagissant très peu avec leur environnement. De ce fait, leur éventuelle détection nécessite des capteurs d'une extrême sensibilité.

    C'est l'objet de l'expérience , qui fait appel à des cristaux de germanium, matériau semi-conducteur ultrapur, refroidis à - 273,13 °C, tout près du zéro absolu. "Si un wimp vient à percuter cette cible, comme une boule de billard, il fera reculer un atome de germanium, provoquant une infime élévation de température, de l'ordre du millionième de degré, ainsi qu'une libération d'électrons qui laissera un signal", décrit Gilles Gerbier, responsable du projet. Pour augmenter leurs chances, les chercheurs prévoient de multiplier par dix, d'ici deux ans, la surface de leurs détecteurs.

    Au cours des six derniers mois, ils ont déjà enregistré un signal qui pourrait être la marque de la matière noire. La découverte serait sensationnelle. Mais ils ne l'ont pas encore publiée. Car d'autres particules, comme les neutrons, peuvent laisser une trace similaire et il faut d'abord trier le bon grain de l'ivraie. D'autres équipes sont en lice : celle du Cryogenic Dark Matter Search (CDMS) américain, dont les instruments sont enterrés dans une mine du Minnesota, devrait annoncer prochainement des résultats suggérant qu'elle a, peut-être, mis la main sur des wimps.

    Dans leur abri souterrain, les limiers de l'invisible poursuivent une autre quête, non moins essentielle : celle de la nature et de la masse du neutrino, la particule élémentaire la plus abondante dans l'Univers - chaque seconde, des centaines de milliards d'entre elles, émises principalement par le Soleil, nous traversent -, mais aussi l'une des plus difficiles à repérer. Ils cherchent à valider une hypothèse formulée dans les années 1930 par un physicien italien de génie, Ettore Majorana, mais encore jamais vérifiée : le neutrino pourrait être sa propre antiparticule. Toutes les particules connues possèdent en effet un double, de charge électrique opposée, comme l'électron (négatif) et le positon (positif). Or le neutrino, de charge nulle, pourrait être son propre double : la matière sa propre antimatière. Si tel est le cas, la théorie postule que l'Univers serait passé, quelques fractions de seconde après sa création, par une phase dominée par les neutrinos qui seraient à l'origine de toute la matière actuelle.

    Pour en avoir le coeur net, les chercheurs ont conçu un énorme détecteur, Nemo, dans lequel ils espèrent enregistrer une "double désintégration bêta sans émission de neutrinos". Elle serait la preuve que neutrino et antineutrino sont identiques. Mais rien ne permet de savoir si, même avec un futur détecteur 100 fois plus sensible, SuperNemo, la capture demandera un an, un siècle ou un millénaire. Ou si elle n'aboutira jamais.

    En attendant, l'équipe du laboratoire de Modane vise un autre objectif, moins virtuel. Elle espère profiter du percement d'une galerie de sécurité dans le tunnel du Fréjus, en 2011, pour décupler la taille de ses installations, qui prendraient un statut international. Pour ce faire, il lui faut décrocher 82 millions d'euros. Le grand emprunt national pourrait être mis à contribution, pour servir une cause universelle.

    Par Le Monde
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