La corruption devient en Algérie un des plus grands problèmes avec l’insécurité. Tout le monde le reconnaît. Tout le monde le sait. Tout le monde le dénonce. Mais tout le monde ne sait pas ou presque quoi faire pour l’éradiquer. Il y en a évidemment qui en profite. Il n’est pas facile de dénoncer un problème par ceux qui en tirent profit. Mais est ce vraiment un profit qu’en en tire. Des fois oui et des fois c’est plutôt des inconvénients. Avez-vous des idées pour le combattre ? Ou alors la critique est facile devant l’art qui est plus difficile. En guise d’introduction je vous propose un texte.
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La corruption, le mal du pays ?
Par Mohammed Guetarni : Docteur Es Lettres
La corruption est un mot d’essence terrifiante. Son usage quotidien l’a banalisée. Elle est, peut-on dire, jumelle avec notre système social.
Actuellement, la corruption s’est considérablement développée dans notre pays, au point de gangrener des pans entiers des systèmes politique, administratif, économique. Dans son livre «L’Esprit des Lois», Montesquieu estime que «l’éthique politique» est la colonne vertébrale d’un Etat aimé par le peuple pour son équité. Pour lui, l’amour de la patrie est d’abord l’amour de l’égalité, auquel nous adjoignons l’amour de la légalité. Toutefois, si cette éthique cesse de fonctionner dans les coeurs des responsables - chacun à son niveau -, s’installe alors dangereusement l’avarice, c’est-à-dire l’avidité du gain rapide et facile qui ouvre largement la voie à la licence sous toute son ignominie.
Et de là commence le monnayage de l’influence et des décisions, favorisant l’ère au désordre sociopolitique et les délits qui (dé)coulent de source car la corruption est d’essence contagieuse. C’est le sida des moeurs qui touche l’Etat dans son entité. Les lois de la République ne sont plus respectées, encore moins exécutées. La société dégénère et l’Etat, affaibli, périclite et se voit même menacé de disparition. «Il n’y a plus de vertu dans la République, plus de [bonnes] moeurs, plus d’amour de l’ordre» (1). L’identité des autorités s’efface en même temps que leur crédibilité. En percevant des pots-de-vin, le responsable-à quelque niveau que ce soit - n’est plus ce qu’il était parce qu’il ne respecte plus sa fonction. Il bafoue délibérément et en parfaite conscience (?) les lois de la République qu’il est censé défendre.
Dans corruption, il y a le préfixe «co», qui signifie deux (corrupteur et corrompu); «ruption» qui veut dire rupture. Le corrompu rompt avec ce qu’il était. Il n’est plus digne de respect pour avoir failli sciemment et sans scrupule à son devoir moral.
Lorsque la corruption s’installe dans les rouages de l’Etat, le Trésor public devient le porte-monnaie particulier de certains nababs. Les lois deviennent gênantes et les astuces, pour les contourner, deviennent la règle cardinale. A titre d’exemple, le foncier, au lieu de servir l’utilité publique, va servir des intérêts privés moyennant des «pots-de-café». Ce qui est en soi un dysfonctionnement dangereux dans l’appareil de l’Etat.
La mécanique de la corruption constitue un engrenage dans lequel l’argent facile devient progressivement un besoin, voire une nécessité. «La mécanique de la corruption réunit deux opérations apparemment contradictoires: d’une part, elle consiste en des procédures de plus en plus complexes maîtrisées par un petit nombre d’individus; d’autre part, elle consiste en une banalisation de l’échange corrupteur. Progressivement, on s’accoutume à tirer des ressources d’institutions dont l’objet social est totalement détourné» (2).
La corruption est un délit mortel. Elle tue les meilleures volontés qui oeuvrent pour le bien de ce pays comme elle engendre d’autres maux sociaux et pas des moindres: injustice sociale, refus de l’égalité des chances, valorisation de la médiocrité et mépris du mérite, la stratification, voire la hiérarchisation de la société, le trafic d’influence...
A notre avis, le danger provient moins de la corruption elle-même que de sa banalisation par les pouvoirs publics et plus particulièrement de son impunité.
Chaque agent corrompu se sent protégé par son supérieur hiérarchique. D’où l’effet de la contagion. Un délit qui se généralise devient un droit. Donc, le corrompu ne se sent plus en faute - puisque c’est partout pareil - et se voit en passe d’exiger «ses honoraires» pour le service rendu. Il feint d’ignorer qu’il a contrevenu à son devoir de probité.
Les symptômes de la corruption sont facilement décelables dans notre pays. D’abord le décalage scandaleux entre les rémunérations et le coût de la vie. Tous les partenaires sociaux sont unanimes pour dire que le pouvoir d’achat des Algériens ne cesse d’être rogné chaque jour davantage. L’élite politique est outrageusement mieux rémunérée que l’élite intellectuelle (quel est le salaire d’un wali, d’un ministre, d’un député et celui d’un professeur à l’Université, qui a pourtant la lourde responsabilité de former les élites à venir pour le pays). La politique, dans notre pays, assure deux choses chères à l’Algérien avec ou sans mérite: l’aisance matérielle et la considération sociale. Bien que la Fonction publique soit le pilier du Pouvoir, elle est le parent pauvre de l’Etat.
La corruption, dans certains cas, est source d’enrichissement personnel illégal mais dans d’autres, elle est un appoint pour arrondir les fins de mois difficiles tellement les salaires sont dérisoires. Ajoutons à cela les hausses à répétition des prix et le gel des salaires depuis fort longtemps décidé par l’Etat lui-même. Si le salarié - et principalement le cadre universitaire - n’est pas rémunéré équitablement en fonction de ses capacités, de ses compétences, de son expérience, il y a fatalement un découragement pour les études et, du coup, une dévalorisation du travail.
L’Etat a une grande responsabilité en matière de paupérisation de pans entiers de la population et la déconfiture des mœurs sociales par son inertie et surtout son autisme face aux doléances populaires. La lassitude gagne dangereusement le monde du travail. Le désespoir de vivre honnêtement de son seul salaire fraie son petit bonhomme de chemin et mène droit vers la corruption. C’est le dérèglement de l’échelle des valeurs. Les frontières entre le bien et le mal, le permis et l’interdit sont brouillées, d’autant lorsqu’il n’y a pas un sérieux mécanisme de contrôle à l’instar des pays démocratiques.
La corruption, en tant que source de beaucoup de délits, favorise les détournements de deniers publics, la trahison des mandats, la perversion des autorités, parfois même morales. Quant l’élite politique «se délite», c’est toute la société qui s’avachie et tombe dans l’apathie.
La corruption n’est plus un simple fait divers. Elle a pris des proportions inquiétantes dans notre société. Elle est devenue un problème sociopolitique de fond. C’est une véritable «Qaïda» nationale. Les calculs d’intérêts particuliers l’emportent sur l’intérêt national. Quand le sens de la morale se fourvoie, le sens du devoir s’éclipse et lorsque le scrupule n’agite plus les consciences-principalement celles des autorités -, les prisons les plus redoutables, comme celle d’Alcatraz, ne font pas peur.
L’éradication de ce fléau passe moins par la promulgation des lois contre la corruption, il en existe déjà.
Il faut que le chef de l’Etat lui-même montre des signes concrets d’une réelle volonté politique ferme et courageuse pour la combattre s’il veut réellement débarrasser l’Algérie de ses (ces) requins sans scrupules qui ne reculent devant rien. Ça sera une preuve tangible d’amour et de respect que le Président de la République manifeste à l’égard de son peuple qui l’a élu pour deux mandats consécutifs. Ce dernier lui sera reconnaissant.
http://www.lequotidien-oran.com/html/home.html
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La corruption, le mal du pays ?
Par Mohammed Guetarni : Docteur Es Lettres
La corruption est un mot d’essence terrifiante. Son usage quotidien l’a banalisée. Elle est, peut-on dire, jumelle avec notre système social.
Actuellement, la corruption s’est considérablement développée dans notre pays, au point de gangrener des pans entiers des systèmes politique, administratif, économique. Dans son livre «L’Esprit des Lois», Montesquieu estime que «l’éthique politique» est la colonne vertébrale d’un Etat aimé par le peuple pour son équité. Pour lui, l’amour de la patrie est d’abord l’amour de l’égalité, auquel nous adjoignons l’amour de la légalité. Toutefois, si cette éthique cesse de fonctionner dans les coeurs des responsables - chacun à son niveau -, s’installe alors dangereusement l’avarice, c’est-à-dire l’avidité du gain rapide et facile qui ouvre largement la voie à la licence sous toute son ignominie.
Et de là commence le monnayage de l’influence et des décisions, favorisant l’ère au désordre sociopolitique et les délits qui (dé)coulent de source car la corruption est d’essence contagieuse. C’est le sida des moeurs qui touche l’Etat dans son entité. Les lois de la République ne sont plus respectées, encore moins exécutées. La société dégénère et l’Etat, affaibli, périclite et se voit même menacé de disparition. «Il n’y a plus de vertu dans la République, plus de [bonnes] moeurs, plus d’amour de l’ordre» (1). L’identité des autorités s’efface en même temps que leur crédibilité. En percevant des pots-de-vin, le responsable-à quelque niveau que ce soit - n’est plus ce qu’il était parce qu’il ne respecte plus sa fonction. Il bafoue délibérément et en parfaite conscience (?) les lois de la République qu’il est censé défendre.
Dans corruption, il y a le préfixe «co», qui signifie deux (corrupteur et corrompu); «ruption» qui veut dire rupture. Le corrompu rompt avec ce qu’il était. Il n’est plus digne de respect pour avoir failli sciemment et sans scrupule à son devoir moral.
Lorsque la corruption s’installe dans les rouages de l’Etat, le Trésor public devient le porte-monnaie particulier de certains nababs. Les lois deviennent gênantes et les astuces, pour les contourner, deviennent la règle cardinale. A titre d’exemple, le foncier, au lieu de servir l’utilité publique, va servir des intérêts privés moyennant des «pots-de-café». Ce qui est en soi un dysfonctionnement dangereux dans l’appareil de l’Etat.
La mécanique de la corruption constitue un engrenage dans lequel l’argent facile devient progressivement un besoin, voire une nécessité. «La mécanique de la corruption réunit deux opérations apparemment contradictoires: d’une part, elle consiste en des procédures de plus en plus complexes maîtrisées par un petit nombre d’individus; d’autre part, elle consiste en une banalisation de l’échange corrupteur. Progressivement, on s’accoutume à tirer des ressources d’institutions dont l’objet social est totalement détourné» (2).
La corruption est un délit mortel. Elle tue les meilleures volontés qui oeuvrent pour le bien de ce pays comme elle engendre d’autres maux sociaux et pas des moindres: injustice sociale, refus de l’égalité des chances, valorisation de la médiocrité et mépris du mérite, la stratification, voire la hiérarchisation de la société, le trafic d’influence...
A notre avis, le danger provient moins de la corruption elle-même que de sa banalisation par les pouvoirs publics et plus particulièrement de son impunité.
Chaque agent corrompu se sent protégé par son supérieur hiérarchique. D’où l’effet de la contagion. Un délit qui se généralise devient un droit. Donc, le corrompu ne se sent plus en faute - puisque c’est partout pareil - et se voit en passe d’exiger «ses honoraires» pour le service rendu. Il feint d’ignorer qu’il a contrevenu à son devoir de probité.
Les symptômes de la corruption sont facilement décelables dans notre pays. D’abord le décalage scandaleux entre les rémunérations et le coût de la vie. Tous les partenaires sociaux sont unanimes pour dire que le pouvoir d’achat des Algériens ne cesse d’être rogné chaque jour davantage. L’élite politique est outrageusement mieux rémunérée que l’élite intellectuelle (quel est le salaire d’un wali, d’un ministre, d’un député et celui d’un professeur à l’Université, qui a pourtant la lourde responsabilité de former les élites à venir pour le pays). La politique, dans notre pays, assure deux choses chères à l’Algérien avec ou sans mérite: l’aisance matérielle et la considération sociale. Bien que la Fonction publique soit le pilier du Pouvoir, elle est le parent pauvre de l’Etat.
La corruption, dans certains cas, est source d’enrichissement personnel illégal mais dans d’autres, elle est un appoint pour arrondir les fins de mois difficiles tellement les salaires sont dérisoires. Ajoutons à cela les hausses à répétition des prix et le gel des salaires depuis fort longtemps décidé par l’Etat lui-même. Si le salarié - et principalement le cadre universitaire - n’est pas rémunéré équitablement en fonction de ses capacités, de ses compétences, de son expérience, il y a fatalement un découragement pour les études et, du coup, une dévalorisation du travail.
L’Etat a une grande responsabilité en matière de paupérisation de pans entiers de la population et la déconfiture des mœurs sociales par son inertie et surtout son autisme face aux doléances populaires. La lassitude gagne dangereusement le monde du travail. Le désespoir de vivre honnêtement de son seul salaire fraie son petit bonhomme de chemin et mène droit vers la corruption. C’est le dérèglement de l’échelle des valeurs. Les frontières entre le bien et le mal, le permis et l’interdit sont brouillées, d’autant lorsqu’il n’y a pas un sérieux mécanisme de contrôle à l’instar des pays démocratiques.
La corruption, en tant que source de beaucoup de délits, favorise les détournements de deniers publics, la trahison des mandats, la perversion des autorités, parfois même morales. Quant l’élite politique «se délite», c’est toute la société qui s’avachie et tombe dans l’apathie.
La corruption n’est plus un simple fait divers. Elle a pris des proportions inquiétantes dans notre société. Elle est devenue un problème sociopolitique de fond. C’est une véritable «Qaïda» nationale. Les calculs d’intérêts particuliers l’emportent sur l’intérêt national. Quand le sens de la morale se fourvoie, le sens du devoir s’éclipse et lorsque le scrupule n’agite plus les consciences-principalement celles des autorités -, les prisons les plus redoutables, comme celle d’Alcatraz, ne font pas peur.
L’éradication de ce fléau passe moins par la promulgation des lois contre la corruption, il en existe déjà.
Il faut que le chef de l’Etat lui-même montre des signes concrets d’une réelle volonté politique ferme et courageuse pour la combattre s’il veut réellement débarrasser l’Algérie de ses (ces) requins sans scrupules qui ne reculent devant rien. Ça sera une preuve tangible d’amour et de respect que le Président de la République manifeste à l’égard de son peuple qui l’a élu pour deux mandats consécutifs. Ce dernier lui sera reconnaissant.
http://www.lequotidien-oran.com/html/home.html
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