L’université chinoise s’est beaucoup développée quantitativement et qualitativement. Sa place dans le monde commence à s’affirmer. Pourtant, elle a encore du mal à répondre à sa mission : former des élites à la hauteur des défis que doit relever le pays. Alessia Lefébure, directrice du Centre Asie-Europe de l'Institut de Sciences Politiques de Paris explique pour Connexions, les challenges des universités chinoises.
Un regard sur le système éducatif chinois - et sur l’université tout particulièrement - provoque un sentiment mélangé d’admiration et d’inquiétude. Les réformes amorcées en 1986 et poursuivies tout au long des années 90 semblent avoir porté leurs fruits. Les trois meilleures universités du pays, l’Université de Pékin, l’Université Qinghua à Pékin et l’Université Fudan à Shanghai (1) sont presque mûres pour être admises à jouer dans la cour des grandes universités américaines et européennes.
Pour ceux qui ont connu la Chine dans les années 1970 et 1980, la visite d’un campus universitaire, la simple revue d’un site Web, le nombre de partenaires étrangers figurant sur les brochures institutionnelles, apparaissent comme autant de signes de bouleversements majeurs. Les grandes réformes commencent à voir le jour dans la deuxième moitié des années 90 (2), parallèlement à l’apparition d’un véritable marché du travail.
Elles se sont attachées à plusieurs objectifs : augmenter la capacité d’accueil des universités; créer des pôles et des disciplines d’excellence ; internationaliser les formations; former les ressources humaines nécessaires au développement du pays.
20 % des étudiants de la planète
L’université chinoise compte aujourd’hui 23 millions d’inscrits (14 millions dans les établissements d’enseignement supérieur généraux), ce qui constitue le plus grand réservoir d’étudiants du monde, supérieur à celui des Etats-Unis. L’accès à l’université reste cependant très sélectif puisque la Chine compte à elle seule 20% des habitants de la planète en âge d’étudier. En 2005, le nombre d’élèves inscrits aux examens d’entrée universitaire (gaokao) a été de 8,67 millions. Seulement 4,75 millions d’entre eux ont été admis (3).
Grâce à une politique d’incitation à la création de places supplémentaires et de concentration des plus petites universités (4) à partir de 1999, la capacité d’accueil a été considérablement augmentée. Alors qu’en 1994, seulement 7% d’une classe d’âge pouvait s’inscrire à l’université, ce taux est passé à 17% en à peine 12 ans. Les objectifs fixés par le gouvernement pour 2020 visent la moyenne actuelle des pays de la zone OCDE, soit 45% à 50 % d’une classe d’âge.
Au sein de l’université, les étudiants admis en licence (benkesheng) se concentrent, depuis le milieu des années 1990, dans certaines disciplines, privilégiant les domaines en lien direct avec le monde du travail. Ainsi, 38,8% des étudiants chinois sont inscrits dans un cursus d’ingénieur (5), les autres se répartissant entre sciences (12,5%), langues et littérature étrangères, management.
Le plus faible nombre d’inscrits se retrouve dans les filières de science de l’agriculture, philosophie et histoire. L’impression générale est celle d’une université qui essaye de s’adapter aux contraintes extérieures de l’ouverture internationale et de l’adhésion à l’OMC et à la contrainte intérieure de formation d’une nouvelle génération de cadres du public et du privé capables de gérer les transformations économiques, politiques et sociales en cours.
Vers l’internationalisation
L’extraordinaire effort réalisé par les universités en matière de coopérations internationales est également un signal positif. Cette « internationalisation » prend la forme d’échanges d’étudiants, de signatures d’accords avec des universités étrangères, d’ouverture de Masters spécialisés avec l’apport pédagogique de partenaires étrangers, de recrutement d’enseignants chinois diplômés à l’étranger(6), d’ouverture de cours en anglais, d’une augmentation massive du nombre d’heures consacrées à l’enseignement de l’anglais.
Dans ce contexte, le rôle des enseignants et des chercheurs chinois de retour de l’étranger est souvent crucial dans le rapprochement avec les universités étrangères. Ces derniers sont des intermédiaires, mais aussi des passeurs de cultures, de know-how et de méthodes de travail qui rendent possibles les liens entre des réalités très différentes (7).
Une concurrence effrénée entre universités
Les liaisons internationales sont utilisées par les universités chinoises comme des avantages compétitifs. La concurrence entre établissements devient rude, la médiatisation des classements nationaux est croissante et les différents organismes qui les réalisent sont devenus des arbitres puissants (8). Dans cette course à l’internationalisation, l’intérêt des responsables des universités chinoises rencontre celui des établissements étrangers qui souhaitent s’implanter en Chine pour répondre à la fois à une partie de la demande interne insatisfaite et aux rêves d’un nombre croissant d’étudiants du monde entier.
Nombreux sont en effet les MBA ouverts en Chine par les universités du monde anglophone qui compensent ainsi en partie la baisse des candidatures issues du monde asiatique constatée en occident depuis 2002 (9). Enfin, autre signe du changement des temps, depuis 2003 l’université chinoise note et classe ses concurrents étrangers. L’Université Jiaotong de Shanghai réalise en effet depuis cette date, à travers son Institut pour l’enseignement supérieur, un classement académique et scientifique des 500 meilleures universités du monde.
Les critères utilisés se fondent sur la notoriété des anciens élèves et des enseignants, la fréquence des citations dans les index des grandes revues scientifiques mondiales, les prix obtenus et la notoriété des chercheurs. Alors que les universités chinoises étaient jusqu’à présent ignorées dans la plupart des pays et rarement associées aux réflexions sur les réformes éducatives et de la recherche, l’écho du classement de Jiaotong a été considérable.
Arrivé bientôt à sa 4e édition, il a été largement commenté, critiqué, contesté, notamment dans les pays qui, comme la France, ne figurent pas dans le top 30 (10). Ne pouvant pas encore prétendre à des positions élevées pour ses universités, la Chine se fraye une place dans le marché international de l’enseignement et de la recherche en essayant de dicter les normes...
Une adaptation lente au marché du travail
En dépit d’un tel dynamisme et d’une telle quantité de changements, l’université chinoise ne semble pas répondre de façon satisfaisante à l’une de ses fonctions premières : la formation des ressources humaines de demain. Deux indices sont particulièrement éloquents : le taux de chômage des jeunes diplômés et le taux de satisfaction des besoins des recruteurs internationaux sur le marché local. L’augmentation du taux d’admission des bacheliers chinois dans les universités a eu un impact significatif sur le taux de chômage parmi les jeunes diplômés. Ce taux serait aujourd’hui compris entre 30% et 40% (11) pour les jeunes diplômés (niveau Licence), contre 6% en 2003 (12).
De même, les salaires réels à l’embauche ont chuté ou stagnent. La situation de détresse dans laquelle se trouvent les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur est dénoncée régulièrement par la presse et a été reconnue par les pouvoirs publics. Contrairement à la tendance des dernières années, le gouvernement chinois semble vouloir remettre en cause le principe de l’augmentation des places dans les universités« afin de réduire la pression sur l’emploi des jeunes diplômés »(13).
Paradoxalement, face à ces diplômés qui ne trouvent pas de travail, les entreprises ne trouvent pas assez de jeunes à employer. Un rapport réalisé par le McKinsey Global Institute (MGI) en 2005 (14) a alerté, il y a quelques mois, la presse et les entreprises sur le thème du manque de « talents » en Chine. Dans les quinze prochaines années, le marché aura besoin de 75 000 cadres capables de travailler dans un environnement globalisé. Or, il n’y en aurait aujourd’hui que 5 000. L’écart est considérable et le constat alarmant.
Basée sur une enquête réalisée auprès de 83 professionnels des ressources humaines, l’étude pointe du doigt quelques-unes des défaillances du système éducatif chinois par rapport aux attentes du marché du travail : une insuffisante maîtrise de l’anglais (même parmi les diplômés des meilleures universités), des difficultés de communication et de travail en équipe (15), une faible mobilité géographique, des compétences managériales limitées, une certaine incapacité à appliquer et à développer les connaissances techniques. Seulement 10% des candidats formés en Chine auraient aujourd’hui les compétences requises pour travailler dans une entreprise étrangère.
La suite...
Un regard sur le système éducatif chinois - et sur l’université tout particulièrement - provoque un sentiment mélangé d’admiration et d’inquiétude. Les réformes amorcées en 1986 et poursuivies tout au long des années 90 semblent avoir porté leurs fruits. Les trois meilleures universités du pays, l’Université de Pékin, l’Université Qinghua à Pékin et l’Université Fudan à Shanghai (1) sont presque mûres pour être admises à jouer dans la cour des grandes universités américaines et européennes.
Pour ceux qui ont connu la Chine dans les années 1970 et 1980, la visite d’un campus universitaire, la simple revue d’un site Web, le nombre de partenaires étrangers figurant sur les brochures institutionnelles, apparaissent comme autant de signes de bouleversements majeurs. Les grandes réformes commencent à voir le jour dans la deuxième moitié des années 90 (2), parallèlement à l’apparition d’un véritable marché du travail.
Elles se sont attachées à plusieurs objectifs : augmenter la capacité d’accueil des universités; créer des pôles et des disciplines d’excellence ; internationaliser les formations; former les ressources humaines nécessaires au développement du pays.
20 % des étudiants de la planète
L’université chinoise compte aujourd’hui 23 millions d’inscrits (14 millions dans les établissements d’enseignement supérieur généraux), ce qui constitue le plus grand réservoir d’étudiants du monde, supérieur à celui des Etats-Unis. L’accès à l’université reste cependant très sélectif puisque la Chine compte à elle seule 20% des habitants de la planète en âge d’étudier. En 2005, le nombre d’élèves inscrits aux examens d’entrée universitaire (gaokao) a été de 8,67 millions. Seulement 4,75 millions d’entre eux ont été admis (3).
Grâce à une politique d’incitation à la création de places supplémentaires et de concentration des plus petites universités (4) à partir de 1999, la capacité d’accueil a été considérablement augmentée. Alors qu’en 1994, seulement 7% d’une classe d’âge pouvait s’inscrire à l’université, ce taux est passé à 17% en à peine 12 ans. Les objectifs fixés par le gouvernement pour 2020 visent la moyenne actuelle des pays de la zone OCDE, soit 45% à 50 % d’une classe d’âge.
Au sein de l’université, les étudiants admis en licence (benkesheng) se concentrent, depuis le milieu des années 1990, dans certaines disciplines, privilégiant les domaines en lien direct avec le monde du travail. Ainsi, 38,8% des étudiants chinois sont inscrits dans un cursus d’ingénieur (5), les autres se répartissant entre sciences (12,5%), langues et littérature étrangères, management.
Le plus faible nombre d’inscrits se retrouve dans les filières de science de l’agriculture, philosophie et histoire. L’impression générale est celle d’une université qui essaye de s’adapter aux contraintes extérieures de l’ouverture internationale et de l’adhésion à l’OMC et à la contrainte intérieure de formation d’une nouvelle génération de cadres du public et du privé capables de gérer les transformations économiques, politiques et sociales en cours.
Vers l’internationalisation
L’extraordinaire effort réalisé par les universités en matière de coopérations internationales est également un signal positif. Cette « internationalisation » prend la forme d’échanges d’étudiants, de signatures d’accords avec des universités étrangères, d’ouverture de Masters spécialisés avec l’apport pédagogique de partenaires étrangers, de recrutement d’enseignants chinois diplômés à l’étranger(6), d’ouverture de cours en anglais, d’une augmentation massive du nombre d’heures consacrées à l’enseignement de l’anglais.
Dans ce contexte, le rôle des enseignants et des chercheurs chinois de retour de l’étranger est souvent crucial dans le rapprochement avec les universités étrangères. Ces derniers sont des intermédiaires, mais aussi des passeurs de cultures, de know-how et de méthodes de travail qui rendent possibles les liens entre des réalités très différentes (7).
Une concurrence effrénée entre universités
Les liaisons internationales sont utilisées par les universités chinoises comme des avantages compétitifs. La concurrence entre établissements devient rude, la médiatisation des classements nationaux est croissante et les différents organismes qui les réalisent sont devenus des arbitres puissants (8). Dans cette course à l’internationalisation, l’intérêt des responsables des universités chinoises rencontre celui des établissements étrangers qui souhaitent s’implanter en Chine pour répondre à la fois à une partie de la demande interne insatisfaite et aux rêves d’un nombre croissant d’étudiants du monde entier.
Nombreux sont en effet les MBA ouverts en Chine par les universités du monde anglophone qui compensent ainsi en partie la baisse des candidatures issues du monde asiatique constatée en occident depuis 2002 (9). Enfin, autre signe du changement des temps, depuis 2003 l’université chinoise note et classe ses concurrents étrangers. L’Université Jiaotong de Shanghai réalise en effet depuis cette date, à travers son Institut pour l’enseignement supérieur, un classement académique et scientifique des 500 meilleures universités du monde.
Les critères utilisés se fondent sur la notoriété des anciens élèves et des enseignants, la fréquence des citations dans les index des grandes revues scientifiques mondiales, les prix obtenus et la notoriété des chercheurs. Alors que les universités chinoises étaient jusqu’à présent ignorées dans la plupart des pays et rarement associées aux réflexions sur les réformes éducatives et de la recherche, l’écho du classement de Jiaotong a été considérable.
Arrivé bientôt à sa 4e édition, il a été largement commenté, critiqué, contesté, notamment dans les pays qui, comme la France, ne figurent pas dans le top 30 (10). Ne pouvant pas encore prétendre à des positions élevées pour ses universités, la Chine se fraye une place dans le marché international de l’enseignement et de la recherche en essayant de dicter les normes...
Une adaptation lente au marché du travail
En dépit d’un tel dynamisme et d’une telle quantité de changements, l’université chinoise ne semble pas répondre de façon satisfaisante à l’une de ses fonctions premières : la formation des ressources humaines de demain. Deux indices sont particulièrement éloquents : le taux de chômage des jeunes diplômés et le taux de satisfaction des besoins des recruteurs internationaux sur le marché local. L’augmentation du taux d’admission des bacheliers chinois dans les universités a eu un impact significatif sur le taux de chômage parmi les jeunes diplômés. Ce taux serait aujourd’hui compris entre 30% et 40% (11) pour les jeunes diplômés (niveau Licence), contre 6% en 2003 (12).
De même, les salaires réels à l’embauche ont chuté ou stagnent. La situation de détresse dans laquelle se trouvent les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur est dénoncée régulièrement par la presse et a été reconnue par les pouvoirs publics. Contrairement à la tendance des dernières années, le gouvernement chinois semble vouloir remettre en cause le principe de l’augmentation des places dans les universités« afin de réduire la pression sur l’emploi des jeunes diplômés »(13).
Paradoxalement, face à ces diplômés qui ne trouvent pas de travail, les entreprises ne trouvent pas assez de jeunes à employer. Un rapport réalisé par le McKinsey Global Institute (MGI) en 2005 (14) a alerté, il y a quelques mois, la presse et les entreprises sur le thème du manque de « talents » en Chine. Dans les quinze prochaines années, le marché aura besoin de 75 000 cadres capables de travailler dans un environnement globalisé. Or, il n’y en aurait aujourd’hui que 5 000. L’écart est considérable et le constat alarmant.
Basée sur une enquête réalisée auprès de 83 professionnels des ressources humaines, l’étude pointe du doigt quelques-unes des défaillances du système éducatif chinois par rapport aux attentes du marché du travail : une insuffisante maîtrise de l’anglais (même parmi les diplômés des meilleures universités), des difficultés de communication et de travail en équipe (15), une faible mobilité géographique, des compétences managériales limitées, une certaine incapacité à appliquer et à développer les connaissances techniques. Seulement 10% des candidats formés en Chine auraient aujourd’hui les compétences requises pour travailler dans une entreprise étrangère.
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