«Ce jour-là, j’ai vieilli prématurément. L’adolescent que j’étais, est devenu un homme. Ce jour-là, le monde a basculé. Même les ancêtres ont bougé sous terre. Et les enfants ont compris qu’il faudrait se battre les armes à la main pour devenir des hommes libres. Personne ne peut oublier ce jour-là.»
Houari Boumediene (à propos du 8 Mai 1945)
Cette phrase résume le combat de Boumediene, son attachement aux ancêtres et dans le même temps, la conviction de l’inanité de la voie politique utilisée par Messali Hadj et Ferhat Abbas. On a tout dit de Boumediene et on doit tout redire tant il nous parait important de témoigner du sacerdoce d’un Algérien qui donna sa vie à son pays.
Petit retour en arrière, nous laissons Paul Balta tracer à grands traits le portrait du président Boumediene : «(...) Contrairement à certains chefs d´État d´autres pays arabes, il ne s´était pas fait construire ni un ni plusieurs palais luxueux, ni en Algérie ni à l´étranger. (...) il m´avait raconté qu´un des émirs lui avait offert une de ces voitures rutilantes et luxueuses qu´il avait aussitôt fait parquer dans un garage...(...) Il était très réticent à évoquer sa vie privée. Je sais toutefois qu´il était très attaché à sa mère et lui donnait pour vivre une partie de son salaire. Des témoins m´ont néanmoins raconté qu´il s´était disputé avec elle, alors qu´elle était en vacances à Chréa, une station d´hiver proche d´Alger. Sa mère lui avait demandé, en effet, de faire exempter son frère cadet Saïd des obligations du Service national. Houari Boumediene opposa un refus catégorique. Quelque temps plus tard, en effet, Saïd qui fit ses études à l´Ecole nationale polytechnique, le frère cadet accomplissait, dans des conditions très ordinaires, son Service national...»(1)
On a dit de Boumediene que c’était un populiste. Est-ce être populiste que de prononcer la fameuse phrase «Kararna ta´emime el mahroukate» (Nous avons décidé la nationalisation des hydrocarbures)? Par cette phrase, Boumediene annonçait à la face du monde que l´Algérie tenait en main son destin énergétique. Dans le contexte de l’époque, il fut avec le regretté roi Fayçal - qui avait pour Boumediene une réelle considération - et avec le shah, les artisans d’une vision de développement des pays de l’Opep. En fait, écrit Luiz Martinez, ces critiques avaient peu de poids au regard de la dynamique du régime de Boumediene. Le succès de la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1970-1971 octroyait au régime les moyens financiers d’asseoir sa politique de développement. Ainsi, tout au long de la décennie 1970, le taux de croissance avoisinait les 7% et le taux d’investissement brut dépassait les 35% ! C’est pourquoi le PIB (en millions de dinars courants) atteignait les 80 573 DA en 1977, alors qu’il était de 13 130 DA en 1963. Cette croissance exceptionnelle faisait apparaître l’Algérie comme un «dragon» en Méditerranée...Dans la mémoire collective, cette décennie fait figure d’un âge d’or, d’une période où le devenir de l’Algérie était celui de l’émergence d’une puissance régionale, fondée sur un État fort et respecté, et d’une économie prospère tirée par le succès des «industries industrialisantes».(...) » (1)
Le visionnaire et les mutations du monde Dans une contribution fin décembre 2008, nous avions imaginé un dialogue imaginaire dont nous reproduisons quelques extraits de son plaidoyer post-mortem : «(...) Après l’indépendance, pour faire court, j’avais le choix entre continuer à être "une colonie à distance de la France" sous une autre forme et être inféodée à l’Egypte, soit repartir à zéro et reconstruire les relations d’abord en mettant de l’ordre à l’intérieur, j’avais pour cela une équipe qui y croyait autant que moi. Après la période euphorique de l’Indépendance, où le pouvoir se croyait tout permis en usant et en abusant de la démagogie pour asseoir un pouvoir personnel au besoin en se satellisant à l’Egypte, le pays était plus exsangue que jamais. Que faire? Pas d’argent ! Pas de cadres ! Pas de système éducatif ! Un pays profondément meurtri et déstructuré ! Un environnement international sans pitié ».
« J’assume poursuit-il, avoir adopté le triptyque des trois révolutions. La révolution industrielle, ce que l’on appelait les "industries industrialisantes", a permis la création de dizaines d’entreprises nationales, de dizaines de milliers d’emplois. On me dit qu’elles ont disparu ! Disparue la Sonitex avec le plus grand complexe d’Afrique qu’était Draâ Ben Khedda, disparue la Sonacome ! Vendu El Hadjar ! Moribonde la Snvi qui fabriquait les cars-camions, Dans quel monde vivons-nous où nous sacrifions nos défenses immunitaires pour l’inconnu et le bazar où l’affairisme le dispute au népotisme? Nous ne savons plus rien faire par nous-mêmes. (...) Où en est actuellement l’Algérie? Plus que jamais notre pays dépend de la rente et on donne encore une fois l’illusion que nous sommes "arrivés". Nous avons eu près de 400 milliards de dollars. Qu’avons-nous fait de pérenne à part, là encore, donner l’illusion à l’Algérien qu’il était "arrivé" en lui permettant de convertir des barils de pétrole en 4x4, en appareils portables, et en permettant à ces entreprises qui "viennent nous dépouiller" de transférer des milliards de dollars de bavardage inutile. L’Algérien ne sait pas que pour chaque carte à 500DA c’est 5 dollars de transférés et c’est 5 dollars de moins pour les générations futures.(....) J’ai l’amour de l’Algérie chevillé au corps, j’aime mon peuple, je suis du peuple. C’est vrai aussi que l’argent ne m’intéresse pas, ma famille a hérité de moi 6000 DA. Nous avons un proverbe du terroir qui dit "‘Ach ma kssab, mat ma khala". (...)»(2)
Souvenons-nous ! : Boumediene avait institué le Service national, creuset du brassage de l’identité unique en son genre et qui permettait d’atténuer ce déséquilibre régional dont il tenait tant à atténuer les disparités criardes. On raconte qu’il fut sur le point de pleurer tant il était ému qu’un enfant de l’Algérie profonde - que sa condition sociale prédestinait sûrement à être berger - venait de décrocher son Bac ! Il avait lancé «le Barrage Vert» que nous peinons à remettre en place ; changements climatiques obligent !!!!
Il est incontestable que vers la fin de son règne, Boumediene avait été gagné au goût de l´action diplomatique. Il voulait donner à l´Algérie une place qu´elle n´avait jamais occupée auparavant sur la scène internationale. Le Sommet des Non-Alignés de 1973 a constitué une étape fondamentale qui a servi de tremplin. L´apothéose de ce redéploiement diplomatique fut, incontestablement, la participation de Boumediene, en avril 1974, à la session spéciale de l’Assemblée générale de l´ONU où il a prononcé un discours mémorable sur le Nouvel ordre économique international. Il mit en garde, en vain, le «Nord» contre ce déséquilibre qui, s’il n’était pas résorbé, devait amener des cohortes de gens du Sud vers le Nord. Dans son fameux discours, il avertissait «Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère Sud pour aller dans l’hémisphère Nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire.»
Houari Boumediene (à propos du 8 Mai 1945)
Cette phrase résume le combat de Boumediene, son attachement aux ancêtres et dans le même temps, la conviction de l’inanité de la voie politique utilisée par Messali Hadj et Ferhat Abbas. On a tout dit de Boumediene et on doit tout redire tant il nous parait important de témoigner du sacerdoce d’un Algérien qui donna sa vie à son pays.
Petit retour en arrière, nous laissons Paul Balta tracer à grands traits le portrait du président Boumediene : «(...) Contrairement à certains chefs d´État d´autres pays arabes, il ne s´était pas fait construire ni un ni plusieurs palais luxueux, ni en Algérie ni à l´étranger. (...) il m´avait raconté qu´un des émirs lui avait offert une de ces voitures rutilantes et luxueuses qu´il avait aussitôt fait parquer dans un garage...(...) Il était très réticent à évoquer sa vie privée. Je sais toutefois qu´il était très attaché à sa mère et lui donnait pour vivre une partie de son salaire. Des témoins m´ont néanmoins raconté qu´il s´était disputé avec elle, alors qu´elle était en vacances à Chréa, une station d´hiver proche d´Alger. Sa mère lui avait demandé, en effet, de faire exempter son frère cadet Saïd des obligations du Service national. Houari Boumediene opposa un refus catégorique. Quelque temps plus tard, en effet, Saïd qui fit ses études à l´Ecole nationale polytechnique, le frère cadet accomplissait, dans des conditions très ordinaires, son Service national...»(1)
On a dit de Boumediene que c’était un populiste. Est-ce être populiste que de prononcer la fameuse phrase «Kararna ta´emime el mahroukate» (Nous avons décidé la nationalisation des hydrocarbures)? Par cette phrase, Boumediene annonçait à la face du monde que l´Algérie tenait en main son destin énergétique. Dans le contexte de l’époque, il fut avec le regretté roi Fayçal - qui avait pour Boumediene une réelle considération - et avec le shah, les artisans d’une vision de développement des pays de l’Opep. En fait, écrit Luiz Martinez, ces critiques avaient peu de poids au regard de la dynamique du régime de Boumediene. Le succès de la nationalisation du secteur des hydrocarbures en 1970-1971 octroyait au régime les moyens financiers d’asseoir sa politique de développement. Ainsi, tout au long de la décennie 1970, le taux de croissance avoisinait les 7% et le taux d’investissement brut dépassait les 35% ! C’est pourquoi le PIB (en millions de dinars courants) atteignait les 80 573 DA en 1977, alors qu’il était de 13 130 DA en 1963. Cette croissance exceptionnelle faisait apparaître l’Algérie comme un «dragon» en Méditerranée...Dans la mémoire collective, cette décennie fait figure d’un âge d’or, d’une période où le devenir de l’Algérie était celui de l’émergence d’une puissance régionale, fondée sur un État fort et respecté, et d’une économie prospère tirée par le succès des «industries industrialisantes».(...) » (1)
Le visionnaire et les mutations du monde Dans une contribution fin décembre 2008, nous avions imaginé un dialogue imaginaire dont nous reproduisons quelques extraits de son plaidoyer post-mortem : «(...) Après l’indépendance, pour faire court, j’avais le choix entre continuer à être "une colonie à distance de la France" sous une autre forme et être inféodée à l’Egypte, soit repartir à zéro et reconstruire les relations d’abord en mettant de l’ordre à l’intérieur, j’avais pour cela une équipe qui y croyait autant que moi. Après la période euphorique de l’Indépendance, où le pouvoir se croyait tout permis en usant et en abusant de la démagogie pour asseoir un pouvoir personnel au besoin en se satellisant à l’Egypte, le pays était plus exsangue que jamais. Que faire? Pas d’argent ! Pas de cadres ! Pas de système éducatif ! Un pays profondément meurtri et déstructuré ! Un environnement international sans pitié ».
« J’assume poursuit-il, avoir adopté le triptyque des trois révolutions. La révolution industrielle, ce que l’on appelait les "industries industrialisantes", a permis la création de dizaines d’entreprises nationales, de dizaines de milliers d’emplois. On me dit qu’elles ont disparu ! Disparue la Sonitex avec le plus grand complexe d’Afrique qu’était Draâ Ben Khedda, disparue la Sonacome ! Vendu El Hadjar ! Moribonde la Snvi qui fabriquait les cars-camions, Dans quel monde vivons-nous où nous sacrifions nos défenses immunitaires pour l’inconnu et le bazar où l’affairisme le dispute au népotisme? Nous ne savons plus rien faire par nous-mêmes. (...) Où en est actuellement l’Algérie? Plus que jamais notre pays dépend de la rente et on donne encore une fois l’illusion que nous sommes "arrivés". Nous avons eu près de 400 milliards de dollars. Qu’avons-nous fait de pérenne à part, là encore, donner l’illusion à l’Algérien qu’il était "arrivé" en lui permettant de convertir des barils de pétrole en 4x4, en appareils portables, et en permettant à ces entreprises qui "viennent nous dépouiller" de transférer des milliards de dollars de bavardage inutile. L’Algérien ne sait pas que pour chaque carte à 500DA c’est 5 dollars de transférés et c’est 5 dollars de moins pour les générations futures.(....) J’ai l’amour de l’Algérie chevillé au corps, j’aime mon peuple, je suis du peuple. C’est vrai aussi que l’argent ne m’intéresse pas, ma famille a hérité de moi 6000 DA. Nous avons un proverbe du terroir qui dit "‘Ach ma kssab, mat ma khala". (...)»(2)
Souvenons-nous ! : Boumediene avait institué le Service national, creuset du brassage de l’identité unique en son genre et qui permettait d’atténuer ce déséquilibre régional dont il tenait tant à atténuer les disparités criardes. On raconte qu’il fut sur le point de pleurer tant il était ému qu’un enfant de l’Algérie profonde - que sa condition sociale prédestinait sûrement à être berger - venait de décrocher son Bac ! Il avait lancé «le Barrage Vert» que nous peinons à remettre en place ; changements climatiques obligent !!!!
Il est incontestable que vers la fin de son règne, Boumediene avait été gagné au goût de l´action diplomatique. Il voulait donner à l´Algérie une place qu´elle n´avait jamais occupée auparavant sur la scène internationale. Le Sommet des Non-Alignés de 1973 a constitué une étape fondamentale qui a servi de tremplin. L´apothéose de ce redéploiement diplomatique fut, incontestablement, la participation de Boumediene, en avril 1974, à la session spéciale de l’Assemblée générale de l´ONU où il a prononcé un discours mémorable sur le Nouvel ordre économique international. Il mit en garde, en vain, le «Nord» contre ce déséquilibre qui, s’il n’était pas résorbé, devait amener des cohortes de gens du Sud vers le Nord. Dans son fameux discours, il avertissait «Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère Sud pour aller dans l’hémisphère Nord. Et ils n’iront pas là-bas en tant qu’amis. Parce qu’ils iront là-bas pour le conquérir. Et ils le conquerront avec leurs fils. Le ventre de nos femmes nous donnera la victoire.»
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