Coup sur coup, par le tour de passe de passe du cinquantième anniversaire de sa mort, un titre de la presse nationale se fait de nouveau le vecteur de la question de savoir si Albert Camus est un Algérien et un repère de notre littérature d’expression française.
Une intense campagne - financée par qui ?- accompagnée de visites sur les sites de Tipaza et de rencontres académiques avait déjà essayé de nous imposer cette interrogation entre 2005 et 2007. Le même titre avait porté cette campagne avec beaucoup d’articles dont on peut retenir qu’ils voulaient nous laisser l’image d’un homme déchiré entre «sa mère et la justice», un homme marqué par le tragique mais surtout un homme de cette terre d’Algérie comme si le tragique de ses interrogations reflétait le tragique de cette terre.
Pouvait-il ne pas être algérien si son œuvre, ses articles, ses prises de position, ses tourments réels ou supposés constituaient une image des douleurs et des souffrances de ce pays ? La réponse est déjà dans la question et il ne nous restait plus qu’à nous lamenter sur la conscience
malheureuse de cet homme en entretenant la confusion entre l’écrivain et le journaliste ; l’auteur n’étant pas tout à fait le journaliste et, même s’il a choisi sa mère en politique, il n’empêcherait que, par son œuvre, il exprimerait les déchirements de tous les hommes. Donc, nous aussi, même si, dans ses textes,il n’arrive même pas à nous nommer, à nous trouver un nom.
Vous pouvez répondre qu’il n’est pas algérien et ne peut être considéré ainsi à partir de ses textes et de ses positions politiques. Peine perdue, le fait même de répondre revient à valider la question et votre réponse devient «une opinion» comme les autres réponses. Elle se relativise et entretient le débat. Pis, votre réponse justifie ce débat.
C’est la question elle-même qui est vicieuse, orientée et peut importe à ceux qui la portent à bout de bras qu’elle soit une injure aux Français qui ont choisi de soutenir le combat de la libération et une injure aux Algériens d’origine pied-noire qui l’ont carrément rejoint, partageant avec nous notre humanité et nos souffrances.
Injure, car Camus les a combattus et bien avant qu’il ne sorte son dilemme entre la justice et sa mère. Il a combattu les Français qui nous ont aidés en tant que français et dont les figures les plus emblématique restent Francis Jeanson et André Mandouze.
Pour Claudine et Pierre Chaulet, Maillot, Yveton, Annie Steiner, les frères Timsit ou Raymonde Peshar, outre qu’il ne les connaissait certainement pas au moment où il écrit sa fameuse chronique du 28 octobre 1955 dans laquelle il s’adresse aux «combattants», ils appartenaient déjà à cette «révolte» algérienne absurde à ses yeux car porteuse d’injustice, Ahmed Halfaoui a publié un superbe article sur cet appel dans les Débats et que le lecteur peut consulter.
«Avant d’en venir, sinon aux solutions du problème algérien, du moins à la méthode qui les rendait possibles, il me reste à m’adresser aux militants arabes. A eux aussi, je demanderai de ne rien simplifier et de ne pas rendre impossible l’avenir algérien. Je sais que, du bord où je suis, ces militants ont l’habitude d’entendre des discours plus encourageants.». Quel est à cette époque le discours encourageant que les militants en armes du FLN ont pu entendre ? Il n’y en a qu’un seul : celui de Francis Jeanson qui vient de publier, avec sa femme Colette, l’Algérie hors la loi. Les cercles parisiens en général lui reprocheront de prendre parti dans ce livre pour le FLN sans souci de la neutralité et sans examiner la position du MNA. Camus ne cite pas Jeanson mais c’est dans les normes de la controverse. Leur opposition n’est pas née cette année 1955. En 1952 déjà, Jeanson critique Camus pour sa thèse selon laquelle les révoltes contre l’oppression portent une part d’injustice qui les disqualifie d’emblée et les met sur un pied d’égalité avec l’oppresseur. Cette absurdité de la libération qui débouche sur la négation des libertés, Jeanson avait immédiatement vu qu’elle récusait les luttes de libération nationale (nous sommes en pleine guerre d’Indochine) au vu de leurs résultats supposés. La controverse a été violente et ceux qui s’amusent à trouver des tourments à Camus sur la question algérienne feraient mieux de se souvenir de son hostilité de base à ces luttes d’indépendance en cours ou en gestation. Le choix entre la justice et sa mère apparaît bien au vu de cette chronique, comme de ses positions passées, qu’il est le dernier recours de la mauvaise foi.
Camus était contre l’émancipation des peuples colonisés et sa mère lui a servi pour éluder la vraie question qui se posait en 1957 quand il l’a servi aux journalistes. Les personnes bien intentionnées arguant de l’humanisme de Camus pour en tirer des enseignements, une parenté et une proximité, ou tout simplement une voie philosophique, devraient méditer sur cette opposition Jeanson-Camus pour mesurer où se trouve le véritable humanisme.
C’est quoi l’humanisme ? Une abstraction qui viserait à penser un homme en général hors de ses conditions historiques ? Le choix aujourd’hui est entre Jeanson qui affirme -et passe à l’action– que les Algériens ne sont pas moins hommes que les Français en général et les colons en particulier et Camus qui s’est bien accommodé du code de l’indigénat qu’il n’a par ailleurs jamais dénoncé, nous proposant juste la reconnaissance d’une personnalité arabe. Pourquoi une personnalité arabe ?
Serions-nous du point de vue humain incapables d’accéder à la catégorie juridique de citoyens français, catégorie qui, dans la définition de cette catégorie juridique, n’a pas à distinguer les citoyens par la race, la religion, les croyances ou les convictions. Une personnalité arabe, c’est forcément un problème pour le droit français : la personnalité arabe, c’est la solution pour ceux qui ne peuvent devenir tout à fait pleinement français.
Pourquoi, sinon pour des signes ou des marques ou des caractères, soit raciaux, soit religieux. Mais qui ne peuvent tout à fait s’assumer sans la présence d’une France appelée à corriger quelques injustices comme si la violence et l’injustice étaient une erreur de quelques-uns dans le colonat et non l’essence même du colonialisme. Fanon a répondu à cette thèse dès 1952 car c’est la thèse de Mannoni à peine remaniée. Jeanson est anti-français, voilà le caractère principal de ceux qui ont soutenu les Algériens.
Une intense campagne - financée par qui ?- accompagnée de visites sur les sites de Tipaza et de rencontres académiques avait déjà essayé de nous imposer cette interrogation entre 2005 et 2007. Le même titre avait porté cette campagne avec beaucoup d’articles dont on peut retenir qu’ils voulaient nous laisser l’image d’un homme déchiré entre «sa mère et la justice», un homme marqué par le tragique mais surtout un homme de cette terre d’Algérie comme si le tragique de ses interrogations reflétait le tragique de cette terre.
Pouvait-il ne pas être algérien si son œuvre, ses articles, ses prises de position, ses tourments réels ou supposés constituaient une image des douleurs et des souffrances de ce pays ? La réponse est déjà dans la question et il ne nous restait plus qu’à nous lamenter sur la conscience
malheureuse de cet homme en entretenant la confusion entre l’écrivain et le journaliste ; l’auteur n’étant pas tout à fait le journaliste et, même s’il a choisi sa mère en politique, il n’empêcherait que, par son œuvre, il exprimerait les déchirements de tous les hommes. Donc, nous aussi, même si, dans ses textes,il n’arrive même pas à nous nommer, à nous trouver un nom.
Vous pouvez répondre qu’il n’est pas algérien et ne peut être considéré ainsi à partir de ses textes et de ses positions politiques. Peine perdue, le fait même de répondre revient à valider la question et votre réponse devient «une opinion» comme les autres réponses. Elle se relativise et entretient le débat. Pis, votre réponse justifie ce débat.
C’est la question elle-même qui est vicieuse, orientée et peut importe à ceux qui la portent à bout de bras qu’elle soit une injure aux Français qui ont choisi de soutenir le combat de la libération et une injure aux Algériens d’origine pied-noire qui l’ont carrément rejoint, partageant avec nous notre humanité et nos souffrances.
Injure, car Camus les a combattus et bien avant qu’il ne sorte son dilemme entre la justice et sa mère. Il a combattu les Français qui nous ont aidés en tant que français et dont les figures les plus emblématique restent Francis Jeanson et André Mandouze.
Pour Claudine et Pierre Chaulet, Maillot, Yveton, Annie Steiner, les frères Timsit ou Raymonde Peshar, outre qu’il ne les connaissait certainement pas au moment où il écrit sa fameuse chronique du 28 octobre 1955 dans laquelle il s’adresse aux «combattants», ils appartenaient déjà à cette «révolte» algérienne absurde à ses yeux car porteuse d’injustice, Ahmed Halfaoui a publié un superbe article sur cet appel dans les Débats et que le lecteur peut consulter.
«Avant d’en venir, sinon aux solutions du problème algérien, du moins à la méthode qui les rendait possibles, il me reste à m’adresser aux militants arabes. A eux aussi, je demanderai de ne rien simplifier et de ne pas rendre impossible l’avenir algérien. Je sais que, du bord où je suis, ces militants ont l’habitude d’entendre des discours plus encourageants.». Quel est à cette époque le discours encourageant que les militants en armes du FLN ont pu entendre ? Il n’y en a qu’un seul : celui de Francis Jeanson qui vient de publier, avec sa femme Colette, l’Algérie hors la loi. Les cercles parisiens en général lui reprocheront de prendre parti dans ce livre pour le FLN sans souci de la neutralité et sans examiner la position du MNA. Camus ne cite pas Jeanson mais c’est dans les normes de la controverse. Leur opposition n’est pas née cette année 1955. En 1952 déjà, Jeanson critique Camus pour sa thèse selon laquelle les révoltes contre l’oppression portent une part d’injustice qui les disqualifie d’emblée et les met sur un pied d’égalité avec l’oppresseur. Cette absurdité de la libération qui débouche sur la négation des libertés, Jeanson avait immédiatement vu qu’elle récusait les luttes de libération nationale (nous sommes en pleine guerre d’Indochine) au vu de leurs résultats supposés. La controverse a été violente et ceux qui s’amusent à trouver des tourments à Camus sur la question algérienne feraient mieux de se souvenir de son hostilité de base à ces luttes d’indépendance en cours ou en gestation. Le choix entre la justice et sa mère apparaît bien au vu de cette chronique, comme de ses positions passées, qu’il est le dernier recours de la mauvaise foi.
Camus était contre l’émancipation des peuples colonisés et sa mère lui a servi pour éluder la vraie question qui se posait en 1957 quand il l’a servi aux journalistes. Les personnes bien intentionnées arguant de l’humanisme de Camus pour en tirer des enseignements, une parenté et une proximité, ou tout simplement une voie philosophique, devraient méditer sur cette opposition Jeanson-Camus pour mesurer où se trouve le véritable humanisme.
C’est quoi l’humanisme ? Une abstraction qui viserait à penser un homme en général hors de ses conditions historiques ? Le choix aujourd’hui est entre Jeanson qui affirme -et passe à l’action– que les Algériens ne sont pas moins hommes que les Français en général et les colons en particulier et Camus qui s’est bien accommodé du code de l’indigénat qu’il n’a par ailleurs jamais dénoncé, nous proposant juste la reconnaissance d’une personnalité arabe. Pourquoi une personnalité arabe ?
Serions-nous du point de vue humain incapables d’accéder à la catégorie juridique de citoyens français, catégorie qui, dans la définition de cette catégorie juridique, n’a pas à distinguer les citoyens par la race, la religion, les croyances ou les convictions. Une personnalité arabe, c’est forcément un problème pour le droit français : la personnalité arabe, c’est la solution pour ceux qui ne peuvent devenir tout à fait pleinement français.
Pourquoi, sinon pour des signes ou des marques ou des caractères, soit raciaux, soit religieux. Mais qui ne peuvent tout à fait s’assumer sans la présence d’une France appelée à corriger quelques injustices comme si la violence et l’injustice étaient une erreur de quelques-uns dans le colonat et non l’essence même du colonialisme. Fanon a répondu à cette thèse dès 1952 car c’est la thèse de Mannoni à peine remaniée. Jeanson est anti-français, voilà le caractère principal de ceux qui ont soutenu les Algériens.
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