Reportage
Al-Khiassa, un poste avancé des gardes-frontières, à une encablure du PC 19e GGF de Bab El-Assa, surplombe “Al-Khiana” des gardes-frontières marocains. Sur notre droite, un jeune enfant décoré aux couleurs des Verts, sur notre gauche, au douar de Chéraga, une vieille dame, une Marocaine, nous salue timidement. Au loin, des enfants jouent aux “maroquineries” sur le sol du pays voisin. Deux mètres nous séparent du Maroc, une frontière où le commun des mortels appréciera le chant du coq, de part et d’autre. “Voisins” par excellence, ces deux populations s’imposent aux devants des GGF et des gardiens du makhzen pour occuper une aire quotidiennement empoisonnée par l’odeur du carburant. Le Maroc, “bled Renault 25”, pompe tout de l’Ouest algérien. Les chemins sinueux et la lutte implacable contre la contrebande et le terrorisme ne dissuadent point les barons marocains qui cernent nos frontières où ils blanchissent l’argent, à l’image de leurs acolytes algériens qui érigent des villas et des ranchs à coups de milliards. Bienvenue dans le monde du business noir, des chemins de la mort, de la menace d’une guerre qui s’annonce rude contre le crime transfrontalier. Reportage.
Les véhicules 4X4 ne suffisent pas pour acheminer la drogue dans ces reliefs complexes et hyper-surveillés par les sentinelles de l’Ouest. Ici, le sac à dos, comme le dos d’âne, sont mis à contribution pour introduire de petites doses, parfois des quantités insignifiantes, pour alimenter Maghnia. À 15 h tapantes, on nous annonce une saisie de 13 kg de cannabis. Le narcotrafiquant fait demi-tour vers le Maroc sous le regard placide des gardiens du makhzen et des unités militaires qui circulent à bord de Toyotas Station LCD-79, une nouvelle dotation, nous dit-on.
Même la Deglet Nour, une datte made in Algeria, est soigneusement transportée depuis Biskra pour ravitailler les marchés d’Oujda. Face à Béni Ddrer, un village marocain, les GGF saisissent près de 500 bouteilles de liqueurs lourdes, toutes frelatées. La composition du produit décrite en langue ibérique, les Marocains se targuent de tromper le consommateur par le chiffre “3” du code barre car ce poison provient de l’Hexagone. Les marchandises sont souvent stockées dans des maisons illicitement construites, mais le travail opérationnel est tellement difficile pour nos GGF que les contrebandiers exploitent ces brèches pour sévir. “Nous ne pouvons pas à chaque fois perquisitionner des habitations d’Algériens si nous ne détenons pas des informations sûres. Les contrebandiers sont très organisés et, souvent, nous avons affaire à des populations qui ont des alliances avec leurs voisines marocaines”, nous explique le lieutenant-colonel Belarbi Bouziane, commandant du 19e GGF. Dans cette région peuplée d’organisations criminelles, pas moins de 300 véhicules saisis durant ces trois dernières années, ont été vendus aux enchères, mais, aussi insolite que cela puisse paraître, acquis par les… contrebandiers !
Nous avançons vers le poste de Chbikia où les narcotrafiquants tentent vainement d’organiser des offensives à partir du sol marocain. C’est ici même, plus exactement à Zriga, que 1 080 plaquettes de kif traité ont été saisies. Les trafiquants, qui agissent généralement entre 19h et 5h du matin, transgressent la frontière, envoient des jerrycans pleins de carburant et les récupèrent bourrés de drogue. Un procédé qui s’ajoute à tant d’autres et ces barons recourent même aux eaux usées des oueds pour acheminer toutes sortes de marchandises, y compris des produits agroalimentaires.
Dans ces lieudits, raconte-t-on, Qsentini, un narcotrafiquant et contrebandier notoire originaire de Constantine, a abandonné une superbe habitation en voie d’achèvement pour s’éclipser sous d’autres cieux. À peine l’oued Souani dépassé, M. Bouziane nous fera part d’une autre saisie, à savoir 321 jerrycans de gasoil en deux jours seulement, entre Oued Cheikh et Souani. “Ici, nous opérons pédestrement. Difficile de travailler dans ces reliefs. À vous d’apprécier comment les contrebandiers opèrent. Tous les moyens sont bons, mais nous sommes là, nous aussi, pour les freiner”, nous explique encore M. Bouziane.
Meditel, l’orange et les tueuses !
À 2 km du poste avancé de Souani, nous atterrissons au poste avancé d’El-Houassia. Sans numéro de châssis, sans immatriculation et complètement désossées, deux voitures de marque Renault 25 sont parquées. Bourrées de jerrycans, ces véhicules, communément appelées “tueuses”, pour leur solidité, peuvent acheminer jusqu’à 70 jerrycans de mazout. Mais aussi des jerrycans recyclés débordant de 700 kg d’oranges et de clémentine. Les bêtes de somme, au prix fort de 20 000 DA, sont également enfermées par les GGF. Surplombant les douars marocains, où règne une misère humaine à ciel ouvert, nous sommes invités par l’opérateur du makhzen à composer sa numérotation téléphonique pour communiquer. Sommes-nous déjà au Maroc ? Non. Mais à 2 mètres près, un initié des lieux pourrait fouler facilement le sol du pays voisin sans… visa. “Il y a de la complicité, il y a de la menace, il y a des dépassements et de la sensibilité. Ici, il y a des choses inimaginables. Tout peut survenir ! Nous sommes à la frontière la plus sensible. Avec 15 postes avancés et 28 tentes relevant du 19e GGF, nous estimons qu’il y a encore des insuffisances. Nous avons les moyens et nous avons aussi les résultats”, affirme M. Bouziane. Le colonel Abderrahmane Ayoub enchaînera tout de go : “Le travail des GGF, c’est un tout. Il y a d’abord les postes avancés et les postes d’observation. Ensuite, il y a un travail en profondeur qui vient en second lieu pour ceinturer la frontière, notamment les escadrons, avant que les brigades et les ESR (Escadrons de sécurité routière) n’interviennent pour intercepter le reste.”
Nous quittons le poste et nous entamons une virée en profondeur. Sur une piste parallèle, des jeunes Marocains nous scrutent des yeux.
Le convoi des GGF est, pour eux, un événement. Des bidonvilles jusqu’aux imposantes villas et autres ranchs peuplés de chevaux et de mulets, les gardiens du makhzen et les militaires suivent nos mouvements. Ils retiennent leur souffle non sans nous examiner d’un regard tantôt agressif tantôt malveillant. En face de ce “décor frontalier”, des enfants jouent au ballon. Des femmes marocaines meublent les balcons pour suivre en live notre déplacement. “Un bain de fous” suivi de l’agitation des Toyota Station LCD-79 du makhzen qui sillonnent en aller et retour les champs agricoles pour nous surveiller de loin.
(àsuivre)
Virée aux postes avancés à la frontière algéro-marocaine
Nez à nez avec les gardiens du makhzen
Par : Farid Belgacem
Nez à nez avec les gardiens du makhzen
Par : Farid Belgacem
Al-Khiassa, un poste avancé des gardes-frontières, à une encablure du PC 19e GGF de Bab El-Assa, surplombe “Al-Khiana” des gardes-frontières marocains. Sur notre droite, un jeune enfant décoré aux couleurs des Verts, sur notre gauche, au douar de Chéraga, une vieille dame, une Marocaine, nous salue timidement. Au loin, des enfants jouent aux “maroquineries” sur le sol du pays voisin. Deux mètres nous séparent du Maroc, une frontière où le commun des mortels appréciera le chant du coq, de part et d’autre. “Voisins” par excellence, ces deux populations s’imposent aux devants des GGF et des gardiens du makhzen pour occuper une aire quotidiennement empoisonnée par l’odeur du carburant. Le Maroc, “bled Renault 25”, pompe tout de l’Ouest algérien. Les chemins sinueux et la lutte implacable contre la contrebande et le terrorisme ne dissuadent point les barons marocains qui cernent nos frontières où ils blanchissent l’argent, à l’image de leurs acolytes algériens qui érigent des villas et des ranchs à coups de milliards. Bienvenue dans le monde du business noir, des chemins de la mort, de la menace d’une guerre qui s’annonce rude contre le crime transfrontalier. Reportage.
Les véhicules 4X4 ne suffisent pas pour acheminer la drogue dans ces reliefs complexes et hyper-surveillés par les sentinelles de l’Ouest. Ici, le sac à dos, comme le dos d’âne, sont mis à contribution pour introduire de petites doses, parfois des quantités insignifiantes, pour alimenter Maghnia. À 15 h tapantes, on nous annonce une saisie de 13 kg de cannabis. Le narcotrafiquant fait demi-tour vers le Maroc sous le regard placide des gardiens du makhzen et des unités militaires qui circulent à bord de Toyotas Station LCD-79, une nouvelle dotation, nous dit-on.
Même la Deglet Nour, une datte made in Algeria, est soigneusement transportée depuis Biskra pour ravitailler les marchés d’Oujda. Face à Béni Ddrer, un village marocain, les GGF saisissent près de 500 bouteilles de liqueurs lourdes, toutes frelatées. La composition du produit décrite en langue ibérique, les Marocains se targuent de tromper le consommateur par le chiffre “3” du code barre car ce poison provient de l’Hexagone. Les marchandises sont souvent stockées dans des maisons illicitement construites, mais le travail opérationnel est tellement difficile pour nos GGF que les contrebandiers exploitent ces brèches pour sévir. “Nous ne pouvons pas à chaque fois perquisitionner des habitations d’Algériens si nous ne détenons pas des informations sûres. Les contrebandiers sont très organisés et, souvent, nous avons affaire à des populations qui ont des alliances avec leurs voisines marocaines”, nous explique le lieutenant-colonel Belarbi Bouziane, commandant du 19e GGF. Dans cette région peuplée d’organisations criminelles, pas moins de 300 véhicules saisis durant ces trois dernières années, ont été vendus aux enchères, mais, aussi insolite que cela puisse paraître, acquis par les… contrebandiers !
Nous avançons vers le poste de Chbikia où les narcotrafiquants tentent vainement d’organiser des offensives à partir du sol marocain. C’est ici même, plus exactement à Zriga, que 1 080 plaquettes de kif traité ont été saisies. Les trafiquants, qui agissent généralement entre 19h et 5h du matin, transgressent la frontière, envoient des jerrycans pleins de carburant et les récupèrent bourrés de drogue. Un procédé qui s’ajoute à tant d’autres et ces barons recourent même aux eaux usées des oueds pour acheminer toutes sortes de marchandises, y compris des produits agroalimentaires.
Dans ces lieudits, raconte-t-on, Qsentini, un narcotrafiquant et contrebandier notoire originaire de Constantine, a abandonné une superbe habitation en voie d’achèvement pour s’éclipser sous d’autres cieux. À peine l’oued Souani dépassé, M. Bouziane nous fera part d’une autre saisie, à savoir 321 jerrycans de gasoil en deux jours seulement, entre Oued Cheikh et Souani. “Ici, nous opérons pédestrement. Difficile de travailler dans ces reliefs. À vous d’apprécier comment les contrebandiers opèrent. Tous les moyens sont bons, mais nous sommes là, nous aussi, pour les freiner”, nous explique encore M. Bouziane.
Meditel, l’orange et les tueuses !
À 2 km du poste avancé de Souani, nous atterrissons au poste avancé d’El-Houassia. Sans numéro de châssis, sans immatriculation et complètement désossées, deux voitures de marque Renault 25 sont parquées. Bourrées de jerrycans, ces véhicules, communément appelées “tueuses”, pour leur solidité, peuvent acheminer jusqu’à 70 jerrycans de mazout. Mais aussi des jerrycans recyclés débordant de 700 kg d’oranges et de clémentine. Les bêtes de somme, au prix fort de 20 000 DA, sont également enfermées par les GGF. Surplombant les douars marocains, où règne une misère humaine à ciel ouvert, nous sommes invités par l’opérateur du makhzen à composer sa numérotation téléphonique pour communiquer. Sommes-nous déjà au Maroc ? Non. Mais à 2 mètres près, un initié des lieux pourrait fouler facilement le sol du pays voisin sans… visa. “Il y a de la complicité, il y a de la menace, il y a des dépassements et de la sensibilité. Ici, il y a des choses inimaginables. Tout peut survenir ! Nous sommes à la frontière la plus sensible. Avec 15 postes avancés et 28 tentes relevant du 19e GGF, nous estimons qu’il y a encore des insuffisances. Nous avons les moyens et nous avons aussi les résultats”, affirme M. Bouziane. Le colonel Abderrahmane Ayoub enchaînera tout de go : “Le travail des GGF, c’est un tout. Il y a d’abord les postes avancés et les postes d’observation. Ensuite, il y a un travail en profondeur qui vient en second lieu pour ceinturer la frontière, notamment les escadrons, avant que les brigades et les ESR (Escadrons de sécurité routière) n’interviennent pour intercepter le reste.”
Nous quittons le poste et nous entamons une virée en profondeur. Sur une piste parallèle, des jeunes Marocains nous scrutent des yeux.
Le convoi des GGF est, pour eux, un événement. Des bidonvilles jusqu’aux imposantes villas et autres ranchs peuplés de chevaux et de mulets, les gardiens du makhzen et les militaires suivent nos mouvements. Ils retiennent leur souffle non sans nous examiner d’un regard tantôt agressif tantôt malveillant. En face de ce “décor frontalier”, des enfants jouent au ballon. Des femmes marocaines meublent les balcons pour suivre en live notre déplacement. “Un bain de fous” suivi de l’agitation des Toyota Station LCD-79 du makhzen qui sillonnent en aller et retour les champs agricoles pour nous surveiller de loin.
(àsuivre)
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