Annonce

Réduire
Aucune annonce.

L'inévitable décolonisation horizontale

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • L'inévitable décolonisation horizontale

    Kamel Daoud - Le quoitidien d’Oran

    Depuis le «Match» du 18 novembre dernier entre l'Algérie et Le Caire capitale de l'arabité alimentaire, et depuis la vague d'insultes des médias égyptiens, beaucoup d'Algériens (sur la voix de la guérison) se sentent singulièrement légers et presque convalescents : nous avons compris, brusquement, pour beaucoup, que nous n'étions pas «Arabes».

    Pas «Arabes» au sens généalogique du terme et encore moins au sens culturel exclusif, malgré des décennies de conditionnement, de déni et de violence. Nous ne l'étions même pas au sens panarabique, ni au sens de l'histoire de chacun depuis longtemps déjà. Nous l'étions par la langue officielle, l'école, la désignation occidentale et coloniale (les arabes sur la rime de «travail d'arabe» ou sur le mode de l'Arabe de Camus). Nous l'étions parce que nous y croyons avec violence sur soi. Puis, brusquement, nous avons compris que... nous ne l'étions pas ! Que l'arabité n'est pas une nationalité : au mieux, c'est un héritage, au pire, elle peut être une maladie nombriliste comme en Egypte ou un prétexte politique pour une colonisation par les pairs. C'est une attitude face au monde et pas une nationalité fixe. Les médias égyptiens et leurs insultes nous y ont donc obligés : nous sommes «Autre». D'abord parce qu'être Arabe à leur ressemblance nous incommode violement aujourd'hui, ensuite, parce que nous avons ressenti le besoin d'être nous-mêmes puisque nous ne pouvions pas être quelqu'un d'autre que nous-mêmes. Ensuite, parce que c'était vrai : nous n'avons pas besoins d'être Arabes pour être musulmans, ni d'être musulmans pour être Algériens.

    Mais ,bien des jours après avoir coupé cette corde de soumission, que l'on prenait affectueusement pour un cordon ombilical à cause du panarabisme et de la langue «sacrée», mais très morte, nous flottons, heureux mais désemparés. Tous autant que nous sommes. Avec, pour chacun, une forme et formule pour une unique question : si nous ne sommes pas Arabes, qui sommes-nous alors ? Pas Arabes, c'est sûr : se dire Arabe, aujourd'hui, ce n'est d'abord pas une nationalité, ensuite, ce n'est pas vrai, ensuite c'est presque mendier quelque chose à la porte de gens qui se croient plus Arabes les uns par rapport aux autres et qui ne veulent pas de nous, nous «casent» dans le «Maghreb», sorte de banlieue confessionnelle et de quartier périphérie du centre «Moyen-oriental».

    Et, c'est pourquoi, chaque fois que je rencontre, depuis des jours, un fanatique de cette arabité présumée, cela me rappelle le colonisé aliéné de Frantz Fanon, le portrait du «malade» en mal d'émancipation, l'indigène au rêve musculaire de fuite en avant. «L'indigène est un être parqué, l'apartheid n'est qu'une modalité de la compartimentation du monde colonial. La première chose que l'indigène apprend, c'est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites. C'est pourquoi les rêves de l'indigène sont des rêves musculaires, des rêves d'action, des rêves agressifs. Je rêve que je saute, que je nage, que je cours, que je grimpe. Je rêve que j'éclate de rire, que je franchis le fleuve d'une enjambée, que je suis poursuivi par des meutes de voitures qui ne me rattrapent jamais. Pendant la colonisation, le colonisé n'arrête pas de se libérer entre neuf heures du soir et six heures du matin.» a écrit ce visionnaire. Etrange portrait de notre victoire sportif sur le «centre idéologique égyptien». Etrange similitude entre le rêve «musculaire» de la nouvelle Algérie et la mollesse de ses élites rêvassant encore sur l'assimilation identitaire. A relire l'oeuvre de Fanon en remplaçant (avec abus certes) négritude par algérianitude. Sauf qu'il s'agit d'une colonisation horizontale cette fois-ci. Latérale. La verticale a été celle des Français et l'oblique celle des Ottomans. L'aliéné qui vit le drame de sa peau noire avec masque blanc. A reformuler : peaux algériennes, masques «arabes».

    Mais si je ne suis pas Arabe, qui suis-je alors ? Berbère ? Berbériste ? Autonomisme ? Culturaliste ? Non. Là aussi, je me sens comme une brebis capturée par un chant de sirène non comestible : je ne suis pas Arabe et je n'aime pas ceux qui se disent Amazighs à ma place et mieux que moi parce qu'ils parlent amazighs alors que moi, la colonisation horizontale m'a transformé en arabophone. Si je n'ai pas aimé être un Arabe de seconde classe, je n'aime pas aussi me sentir un Amazigh de seconde classe. Encore une fois, à cause de la langue, d'une langue mal partagée. La colonisation horizontale arabe a produit des colonisés de l'arabité, revendiquée par l'assimilé comme une constante nationale, mais a produit aussi un autre mal dérivé : des maquis de l'identité, poussés vers la montagne et le radicalisme, promptes à l'exclusion et fascinés par des retours impossibles vers des origines privatisées, folklorisées.

    Pourquoi est-ce toujours au passé (numide ou «arabe») de définir mon Présent ? Pourquoi je ne peux pas me dire «Algérien» alors que j'habite l'Algérie et que je parle algérien ? Pourquoi lorsqu'on parle de l'amazighité des Algériens on tourne le regard automatiquement vers la Kabylie et pas vers le sud ou l'ouest ou le reste du pays et des Algériens ? Pourquoi je devrais avoir honte de ne pas être Kabyle et me sentir mal quand je me dis ne pas être Arabe ? Parce que la réponse était sous mes yeux et je ne l'ai pas compris : je suis Algérien et ma langue officielle est l'algérien. C'est la langue de la majorité qui n'exclut personne, contrairement aux autres langues concurrentes. Et mon algériannité est comme une parcelle de terre nouvelle : dedans, il n'y a encore ni palmiers, ni oliviers, ni contes, ni traces, ni cimetières d'ancêtres, ni signes exhumés. Mais c'est à moi. Ce n'est pas encore une langue et ses mots sont rares, difformes, venus de partout et pas encore sculptés, mais c'est moi et c'est à moi et dans ma bouche et mon corps, dans la langue de ma mère et de mes enfants. Je n'en ai pas honte et j'en suis fière. Un jour, elle s'écrira. Deux histoires pour conclure : un coopérant européen me raconta sa rencontre avec le recteur d'une université de l'ouest à qui il demanda où il pouvait apprendre l'algérien «comme on le fait en Tunisie ou au Maroc» ? Le recteur lui répondit offusqué : «mais l'algérien n'est pas une langue !!!». Ne remarquant pas que c'est une nationalité dont il a honte tout en s'en revendiquant dans son hyper-nationalisme alambiqué, adepte du «Vive l'Algérie et à bas l'Algérien» !

    La seconde histoire ? Elle est heureusement plus belle et plus triste. C'est le fils de l'auteur de ces lignes qui posa la question à son père il y a deux semaines : «comment s'appelle la langue que nous parlons ?» «Quelle langue ?» j'ai intérrogé curieux. «Celle de l'école ?». «Non, m'expliqua l'enfant, notre langue de tout les jours, toi et moi, pas celle des livres et de l'école. La langue qu'on parle ?». C'est l'algérien, ta langue, j'ai répondu. Etrange crime contre soi : on désigne comme langue officielle une langue morte que nous parlons avec effort, et nous appelons une langue vulgaire, la langue de nos mères et de nos femmes, celle qu'elles utilisent pour nous consoler et que nous utilisons pour aimer, haïr, raconter, se rencontrer et qui nous rappelle nos racines et pas les turbans des autres. La décolonisation horizontale ? Elle est en marche. Elle se fera dans la douleur et la violence. Ceux qui se croient «Arabes» là où les autres pays arabes parlent leur langue, traduisent les livres dans leurs vulgates, «doublent» les dessins animés de leurs enfants dans la langue de leur pays, ces «Arabes» assimilés finiront par se réveiller : l'arabe n'est ni la nationalité de l'Islam ni une nationalité. C'est ce qu'on nous a mis dans la bouche après l'Indépendance, après des siècles de colonisation qui nous ont presque tout volé, tout détruit et qui nous ont laissés désemparés, cherchant qui mimer. Etrange trébuchement de l'identité : en voulant savoir qui nous sommes, nous sommes remontés à plus loin que la colonisation française pour retomber dans les travers d'une colonisation plus ancienne et que nous avons confondu avec notre portrait que nous renvoie notre terre.
    Dernière modification par oldstoneage, 09 janvier 2010, 22h07.
    Enwi l-xhir, tŝib el-xhir ...

  • #2
    Réponse de DJAMEL LABIDI - quotidien Echourouk: Débat de fond sur les histoires du présent:la troisieme mi-temps

    Ironie de l'Histoire, au même moment se déroule en France un débat sur l'identité française, lequel s'est transformé en une campagne anti- Islam et anti-arabe. Chez nous, c'est le match Egypte –Algérie qui est le prétexte à imposer un débat sur l'identité algérienne Et de la même façon, le débat débouche, sous la plume de quelques journalistes algériens d'expression française, sur des attaques centrées sur la dimension arabo-islamique de l'identité algérienne et sur la langue arabe, voire sur des formulations qui frisent le racisme, ou plus exactement l'auto-racisme.
    Coïncidence ? Je ne crois pas. L'aliénation coloniale a la vie dure. Le simple rapprochement entre ces deux faits, la simultanéité et le contenu de ces deux débats , devraient donner à réfléchir sur la persistance de ce phénomène d'aliénation, et son résultat: l'auto- mépris.
    Il faut reconnaître qu'en France ce dévoiement du débat vers l'Araphobie et l'Islamophobie a tout de suite trouvé des forces généreuses et puissantes, notamment intellectuelles, pour le dénoncer et le contrer.
    Mais chez nous, tout se passe comme si s'agissant de tout ce qui est Arabe, certains s'autorisaient, à dire n'importe quoi, à pratiquer le dénigrement systématique, et à ne même pas éprouver le besoin de soumettre ce qu'ils disent au contrôle des faits ou de la simple logique.
    DE LA PATHOLOGIE LINGUISTIQUE
    Il y a des choses qu'on ne peut laisser passer.
    Ainsi, par exemple, de cet article paru dans le quotidien d'Oran sous le titre "l'inévitable décolonisation horizontale"(*). Je vous parlais plus haut de racisme. On peut penser que j'exagère. Pas du tout. Dans cet article, le mot Arabe est mis à dessein entre guillemets. Ainsi que le mot Maghreb. On doute, on se dit qu'on a mal vu, qu'on a mal lu, que c'est trop gros, qu'un Algérien ne peut faire ça, que les guillemets ont du être utilisés dans une autre signification. Mais non, c'est bien du mépris. L'auteur confirme lui même le sens qu'il donne à ce mot car il dit qu'il faut le comprendre comme, je le cite," la désignation coloniale et occidentale ( les Arabes sur la rime de "travail arabe" ou sur le mode de l'Arabe de
    Camus )". A Paris, un jour, une dame française m'avait indiqué la Librairie Avicenne que je cherchais en disant c'est "une librairie arabe" pour rapidement s'excuser d'avoir employé ce qualificatif. Je lui avais dit doucement:"je suis fier d'être Arabe". Il y a un proverbe chez nous qui dit qu' "il n'y a que l'âne qui renie ses origines". J'ai toujours trouvé ce proverbe bien dur avec l'âne.
    Mais continuons: l'auteur de l'article répugne même à utiliser le mot arabe pour parler de la langue parlée en Algérie. Il préférera la nommer "l'Algérien" plutôt que de dire Arabe parlé. Evidemment,il ne pouvait pas car il aurait été alors en contradiction avec lui même puisque si l'Algérie parle Arabe, c'est qu'elle est quelque part Arabe. C'est comme si certains perdaient toute cohérence dés qu'ils traitent de la question de l'Arabe.
    Nous découvrons, le monde découvre ainsi, qu'il y a une langue qui s'appelle "l'Algérien". Il doit y avoir aussi probablement le Suisse, pour les Suisses francophones, le Belge, le Brésilien comme langue du Brésil et non le Portugais, l'Américain au lien de l'Anglais etc.…
    De cette langue, "l'Algérien", il dira encore sans se soucier de la contradiction "que ce n'est pas encore une langue et ses mots sont rares, difformes" .Ceci, déjà, n'est pas vrai car l'Arabe parlée est authentiquement de l'Arabe,à condition de le parler réellement et non ce sabir infâme fait d'un mélange réduit de mots français et arabes à quoi certains voudraient réduire le peuple algérien pour l'enfermer dans un bégaiement permanent et l'empêcher de s'exprimer, mais nous y reviendrons.
    Mais en attendant, si "ce n'est pas encore une langue", comme le dit l'auteur de l'article, dans quelle langue s'exprime-t-il donc ? Evidemment en Français. Nous y voilà donc. Que de contorsions pour cacher ce problème qui apparaît d'autant plus qu'il le cache et qu' il n'en dit pas un mot dans tout l'article. Ce problème qui fait que tout ce qu'il dit, que tout ce qu'il écrit sur l'Arabe, il le fait en Français et que ceci peut expliquer cela. Je ne dis pas qu'il ne faut pas écrire en français. La preuve je le fais. Il est même très possible de défendre la langue Arabe en Français. Mais c'est tout autre chose que de se servir du Français pour théoriser une aliénation, pour s'évertuer à cacher ce problème fondamental pour tout intellectuel, celui de son rapport avec sa langue, et donc avec sa société, et donc avec son peuple.
    Là est la source du malaise permanent, des incohérences, dont je viens de signaler quelques unes, des contradictions, de la véritable pathologie entourant, dans certains milieux, la question du rapport avec la langue. Et puisque nous y sommes, disons nous nos quatre vérités en tant qu'Algériens. Il y a chez nous des milieux socioculturels, et je parle en connaissance de cause puisque j'en viens, qui vivent dans un inconfort, un malaise permanent concernant la question de la langue. L'Algérien francophone a développé une véritable névrose concernant la langue arabe. Il est supposé par définition la connaître puisqu'ils est par définition Arabe, comme on le lui rappelle, aussi bien ici qu'à l'étranger, or il ne la connaît pas. Il est supposé être bilingue, mais il est en réalité monolingue, ne pouvant écrire, penser, réfléchir qu'en Français. Il parle chez lui et dans son milieu en Français, il travaille en Français, il pense en Français, il aime même en Français. Cependant il doit aussi parfois descendre, dans la rue, côtoyer le peuple, l'Algérie profonde. Or parler en français, dans une Algérie qui hait le colonialisme, c'est se mettre au dessus du peuple, c'est réveiller des hostilités, c'est risquer des tensions dans les relations sociales. L'Algérien francophone va alors faire semblant de la baragouiner l'Arabe, introduisant ici et là des mots arabes dans son Français ou arabisant des mots français, d'où ce sabir, ce bégaiement continuel . Il vit, en Algérie comme à l'étranger, dans un mensonge permanent sur son identité culturelle, non pas celle du peuple algérien, mais la sienne. La solution serait simple: se libérer, se réapproprier sa langue. C'est c elle choisie par les meilleurs des Algériens francophones, notamment pendant la Révolution nationale au moment où l'enthousiasme national était très fort. Techniquement, apprendre une langue, ne pose aucun problème. Le même Algérien francophone, qui pendant 10 ans, 30 ans, n'a pas appris l'Arabe, notamment littéraire, peut apprendre en quelques mois l'Anglais ou le Russe quand il a vécu dans ces pays. Pourquoi ? Il y a probablement une raison psychologique: il n'apprend pas l'Arabe, car il est supposé le connaître. Mais surtout, il y a des raisons sociales : la langue, c'est aussi le pouvoir et la langue française continue à donner bien des privilèges et influencer la hiérarchie sociale. La tentation est alors grande de défendre le statu quo, de combattre et même de haïr ceux qui veulent le remettre en question.. La schizophrénie n'est alors pas loin, mais une schizophrénie sociale, à laquelle on apporte les ressources de l'idéologie: il déclarera alors qu'il n'est pas Arabe pour ne plus avoir à le prouver. Il érigera son sabir, ou le sabir à l'emploi duquel il encourage le peuple , en langue nationale, comme la véritable langue vivante, puisqu'elle est celle de la rue, de la "vie réelle": "One, two, three, viva l'Algérie (prononcer "l'Algérrrréé")", voilà la langue étrange,"incroyable" pour laquelle il versera une larme de tendresse et tout le programme culturel qu'il proposera au peuple. Tant pis, si la jeunesse ne pourra pas s'exprimer, il lui suffira que lui puisse le faire, et exprimer des idées complexes et abstraites en… Français. Et qu'importe là que son Français si châtié, si littéraire, ne soit pas la langue de la vie réelle en Algérie. Il théorisera alors, proclamant que le Français est "un élément de notre identité culturelle, que" l'Algérie est pluriculturelle, plurilinguistique", bref une idéologie sur mesure pour lui.
    DE L'ALIENATION
    Il érigera son aliénation culturelle en acte libérateur. C'est ce que fait d'ailleurs l'auteur de l'article dont nous parlons lorsqu'il décrète que le rejet de l'Arabe est "un acte de décolonisation horizontale". Pourquoi horizontale? Mais passons. L'anachronisme de l'affirmation est évident: c'est employer une catégorie relative à un phénomène de l'Histoire contemporaine, le colonialisme, à un processus vieux de 14 siècles, celui de l'enracinement de la dimension arabo-islamique de notre identité. C'est comme si quelqu'un niait que la France soit latine parce que les Gaulois ne l'étaient pas ou que les Francs étaient une tribu germanique. Ou que l'Angleterre est bretonne puisque les Anglo-Saxons ( dont une tribu germanique les Angles a donné son nom à l'Angleterre) y sont arrivés après les bretons entre les 5eme et 7eme siècle. Y a t-il eu durant quatorze siècles une guerre de libération anticoloniale contre "le colonialisme arabe".
    Tout cela est évidemment absurde. Et pourtant, on est obligé de le relever car certains n'hésitent pas à répéter cette affirmation ridicule historiquement, comme cela a été le cas ces dernières semaines dans quelques journaux d'expression française.
    Enwi l-xhir, tŝib el-xhir ...

    Commentaire


    • #3
      Suite de la réponse Djamel Labidi

      Le ridicule devient dangereux lorsque l'appartenance identitaire est réduite à une appartenance ethnique, voire raciale :" les Arabes, c'est l'Arabie saoudite, c'est la péninsule arabique et pas nous" , avec l'opposition comme on a pu le lire dans certains journaux entre Arabité et Amazighité. On sait à quelles dérives racistes a pu conduire, là où elle a été encouragée, cette vision ethnique. Or on sait que les Arabes s'identifient par des liens linguistiques, culturels et historiques. Il ne reste plus alors qu'à identifier les Egyptiens aux conquérants arabes, et la boucle de la haine est bouclée.
      C'est ainsi que les clichés sur les Egyptiens " qui nous auraient imposé l'arabisation dans les années 60" et même" exporté l'Islamisme" sont réapparus et ont été martelés dans divers écrits dans des journaux, sur des forums algériens d'expression française. Ce serait donc une énorme coïncidence que la langue Arabe soit la langue nationale et officielle du Maroc, de la Tunisie, de la Libye, de la Mauritanie, des Sahraouis ? Ce seraient donc les Egyptiens qui leur auraient imposé, à eux aussi, "l'arabisation"?
      Quant à l'Islamisme, c'est un phénomène mondial, qui ne concerne pas que l'Algérie, et dont l' analyse est donc bien plus complexe. Il reste qu'il est inquiétant que de telles incohérences puissent trouver un écho et arriver à dresser les uns contre les autres des Algériens.
      L'aliénation est productrice de haine. Comme son nom l'indique, elle consiste à se regarder avec les yeux de l'autre, à lui être subordonné. La France voulait naturellement justifier le colonialisme et légitimer sa présence en disant qu'elle n'était arrivée en Algérie qu'après d'autres occupants ( les Romains, les Byzantins, les Turcs etc.. )dont les Arabes. Le colonisé aliéné va reprendre la même affirmation sans remarquer qu'elle est suspecte du fait même qu'elle vient du colonisateur. Fanon, dans "Peaux noirs et masques blancs" a bien décrit ce processus de l'auto racisme, de l'auto mépris, où le colonisé intègre les valeurs et la culture du colonisateur, où il se déteste lui même, et où il déteste dans l'autre colonisé l'image qu'il lui retourne, et comment alors les colonisés se déchirent entre eux, comme nous l'avons fait pour le match Egypte- Algérie à la grande satisfaction de ceux qui nous dominent. Ainsi, chez nous, " l'arabisant" et le "francisant" (appellations bizarres et affreuses qui nous ont été transmises par le colonialisme) sont un couple infernal, produit par le colonialisme, où l'un ne peut pas exister sans l'autre, et où chacun déteste le reflet que lui renvoie l'autre.
      Le comble, c'est lorsque notre partisan de "la décolonisation horizontale", après avoir mis des guillemets au nom "Arabe", et prouvé ainsi sur lui même la pertinence de l'analyse de Fanon sur l'aliénation, tente de détourner cette analyse en appelant à la libération de l'aliénation" à la colonisation arabe". Il va même jusqu'à pasticher le titre du livre de Fanon en le transformant en "peaux algériennes, masques "arabes"( les guillemets sont encore de lui ) .Ainsi donc, après la langue qui s'appelle "l'Algérien", on découvre qu'il y a aussi une "peau algérienne".
      Et puis il y a l' affirmation que la langue arabe classique, littéraire, "la langue de l'école" est une "langue morte", discours combien de fois entendu. Morte, par rapport à quoi? Par rapport à cette langue, l' "Algérien" dont il parle. Je demande à chaque lecteur d'essayer de dire en "Algérien" ( au sens de sabir) ou même en Arabe parlé tout ce qui vient d'être écrit ici, ou, dans n'importe quel article en langue française. C'est évidemment impossible. Le résultat est clair, et le but avec: nous contraindre au silence, à ne pas pouvoir écrire, penser dans notre langue, raisonner scientifiquement,exprimer une pensée fine, nuancée, abstraite, élégante, courtoise,civilisée. Il n'y a pas de civilisation sans langue littéraire.
      Et qui a dit qu'il fallait enseigner à l'école la "langue de la maison", la "langue maternelle" ou la langue de la rue. Cela n'a existé dans aucun pays. De telles affirmations n'ont de succès que parce qu'elles sont basées sur l'ignorance de beaucoup de gens sur le processus de développement linguistique. C'est au contraire la langue de l'Ecole, la langue littéraire qui est devenue partout la" langue de la maison", la langue maternelle grâce au développement de l'enseignement et sa généralisation. En France, ce n'est qu'au 19 ème siècle et au début du 20eme que ce processus s'est opéré: des Ecoles normales ont été créées alors, précisément, comme leur nom l'indique, pour "normaliser" le Français, pour enseigner le même Français, le Français littéraire partout. Et le corps des instituteurs a été parallèlement créé dans le même but, comme référence de la langue, comme institution ( d'où son nom) pour diffuser la langue littéraire et unifier la langue de la nation. En Italie, c'est la langue littéraire de Rome qui est celle de l'Ecole et le processus n'est pas achevé, avec une diglossie qui subsiste notamment avec l'Italien du Sud etc..
      Et comment peut- on qualifier la langue arabe littéraire de "langue morte", alors qu'elle est celle de milliers de journaux, de centaines de radio, de dizaines voir de centaines de chaînes de télé, de dizaines de milliers de sites Internet, que des chaînes étrangères comme France 24 et d'autres savent l'importance d'avoir une chaîne de télé en Arabe, que la langue arabe est l'une des langues principales de l'ONU, que Microsoft pour des raisons commerciales
      ( 350 millions de consommateurs arabes) sort son Windows en Arabe avant le Français, que Google donne la plus haute importance à son moteur de recherche en Arabe et a racheté dans ce sens, Maktoob, le grand moteur de recherche arabe .
      L'Algérie serait elle le seul pays où l'on puisse dire et écrire des énormités sur la langue
      arabe ?

      RETOUR A LA COLONISATION ?
      En réalité, cette affirmation que la langue arabe classique est une langue morte comme toutes les autres affirmations remettant en cause notre identité, n'ont rien de nouveau.
      Il est faux de dire, comme on a pu le lire dans plusieurs journaux algériens francophones que le match Algérie – Egypte a été "l'étincelle", le déclencheur de la "prise de conscience de notre véritable identité et que nous ne sommes pas arabes". Les arguments présentés dans ce sens sont répétés, rabâchés, ressassés depuis longtemps. Le match n'a été que l'occasion de les ressortir dans une campagne médiatique et de leur chercher une justification émotionnelle.
      Ils n'ont rien de nouveau aussi au sens où ces arguments font partie de la panoplie de l'idéologie coloniale sur la langue Arabe et la question de l'Arabité de l'Algérie. La France coloniale avait décrété l'Arabe littéraire langue morte pour la raison que c'était la langue qui pouvait concurrencer le Français. L'Arabe parlé ainsi que l'Amazigh ne lui faisaient pas peur car ils ne pouvaient évidemment remplacer le Français dans la vie administrative, économique etc.. C'est la raison aussi qui explique qu'aujourd'hui c'est l'Arabe littéraire qui est régulièrement attaqué. Une méthode diabolique avait été utilisée par le colonialisme français pour suggérer que l'Arabe classique était une langue morte: celle de permettre le concernant l'usage du dictionnaire dans les lycées en Algérie, de la même façon que pour le Latin. Ainsi s'est établi un élément de l'argumentaire linguistique colonial, à savoir que l'Arabe parlé est la langue nationale de l'Algérie et qu'il est issu de l'Arabe classique comme le Français du Latin.
      Après l'indépendance, la politique "d'arabisation" ( encore un mot perfide puisqu'ils sous entend que nous sommes à arabiser et donc pas arabes) , cette politique n'a eu d'autre but que de rechercher un équilibre entre l'Arabe et le Français, une coexistence entre ces deux langues, si on s'en tient aux faits, et si donc on analyse cette politique à travers ces résultats et non les intentions proclamées. Le résultat a été que tout est en double chez nous, avec la dichotomie, et les conflits qui en découlent: 2 élites, l'une en Arabe, l'autre en Français qui ne communiquent pas entre elles, 2 universités l'une en Arabe, l'autre en Français, 2 administrations, 2 presses etc… Comment la Nation peut elle garder ainsi son équilibre mental.
      Là est l'explication de cette pathologie dont nous souffrons dans la communication entre Algériens. La situation atteint parfois des sommets dans l'incohérence: le 9 Novembre, je l'avais noté, le Ministre de l'intérieur s'est exprimé en Français à la télévision à la chaîne arabe, nationale, mais, comme d'habitude, pas de traduction de son propos. De même le Ministre des affaires étrangères devant le corps des ambassadeurs algériens va parler en français, le 8 Novembre, et même au Caire le 13 Novembre. Toujours pas de traduction à la chaîne nationale, comme chaque fois qu'un Algérien parle Français. Mais il suffit que ce soit un étranger qui parle en Français à la télé et aussitôt la traduction en Arabe se déclenche. C'est pourtant dans les deux cas du Français. On nage dans l'absurde. Par contre, à Canal Algérie, tout propos en Arabe est traduit en Français.
      Nos deux langues nationales sont brimées dans leur propre pays:l'Arabe et l'Amazigh. C'est plus facilement perçu pour l'Amazigh que pour l'Arabe. Et pourtant, le statut de Langue officielle et nationale de l'Arabe n'est souvent que théorique. Beaucoup de hauts responsables n'en tiennent pas compte même dans leurs interventions en public. Elle aussi est victime. Dans la haute administration et la plupart des ministères, la langue de travail est le Français. De même, dans la plupart des secteurs d'activité économique, notamment modernes (Télécommunications, informatique, énergie etc..). La publicité est presque toujours en Français etc.. Le parcours de la jeunesse instruite en Arabe, et c'est la grande majorité des jeunes, s'apparente à un parcours du combattant: dans les réunions administratives et même officielles , le Français sera utilisé et le jeune se taira. Il ne pourra pas remplir la plupart des formulaires. Dans les restaurants de qualité, on lui tendra un menu en Français et on lui parlera en Français, et il préférera ne pas y aller etc.. On imagine les complexes, les frustrations et donc la révolte qui peuvent en découler. Exclu, marginalisé car instruit, cultivé mais … dans la langue de son pays. Ce n'est pas ce que voulait notre Révolution nationale. Qu'on examine bien et on verra que bien des tensions, bien des non dits, bien des conflits ouverts ou masqués, bien des particularités de la vie sociale de notre pays, s'expliquent par ces tensions culturelles.
      D.L
      Enwi l-xhir, tŝib el-xhir ...

      Commentaire


      • #4
        Intervention de Lahouari Addi - Le quotidien d'oran - 7 janvier 2010

        Dans son édition du 2 janvier 2010, Le Quotidien d'Oran a publié une opinion virulente de Djamel Labidi suite à une chronique de Kamel Daoud où ce dernier remettait en cause l'arabité de l'Algérien.

        Dans ce qui a été appelé la troisième mi-temps du match Algérie-Egypte, il y a eu, il est vrai, des dérives verbales de beaucoup de journalistes, mais il ne faut pas les prendre au premier degré.

        Ce qui a déchaîné la passion de ces derniers, francophones et arabophones, ce sont les insultes des TV égyptiennes à l'endroit des martyrs de la guerre de libération. Exprimant une conviction partagée par toute la jeunesse, les journalistes considèrent le respect pour les martyrs comme la valeur suprême, comme la norme fondatrice de l'Algérie nouvelle qui donne sens au destin commun des Algériens. D.Labidi n'a pas vu cet aspect dans la colère de Kamel Daoud qui, après tout, a écrit une chronique, un « billet » d'humeur et non une réflexion sociologique sur l'arabité. K. Daoud est apprécié par les lecteurs du Quotidien d'Oran pour ses propos iconoclastes qui tournent en dérision l'Algérien, la société et le régime dans un souffle d'autocritique rafraîchissante et salvatrice. « Quand j'achète Le Quotidien d'Oran, m'avait dit un ami récemment, c'est cinq dinars pour le journal et cinq dinars pour Kamel Daoud ». La société a besoin de la critique et de l'autocritique, sinon elle se sclérose. Si l'on venait à multiplier les tabous, aucune discussion et aucun journalisme ne seraient possibles. Ce qui a fait effondrer l'Union Soviétique, ce sont les commissaires politiques du Politbureau qui, en gardiens du temple, n'admettaient aucune critique. L'Union Soviétique était le type même de société construite sur les tabous. Le seul tabou que nous devrions avoir est le respect de la vie humaine : Dieu seul donne la vie et Lui seul la reprend. Le reste, ce sont des constructions historico-culturelles sujettes à des transformations et des évolutions. Et, précisément, sous la plume de D. Labidi, l'arabité et la langue arabe apparaissent comme des tabous au-dessus de l'histoire des Algériens. Ce n'est pas mon avis.

        L'arabité des Algériens est une construction algérienne

        En 2010, il ne suffit pas d'affirmer que l'Algérie est arabe ; il faut montrer que ce sont les Algériens qui ont construit leur arabité avec le fond berbère, la langue arabe et l'islam. Que ce processus se soit déroulé dans la fausse conscience n'est pas important parce que le destin des hommes est de faire l'histoire avec des idéologies et la fausse conscience. L'essentiel est de montrer que l'Algérien a été acteur de son histoire, c'est lui qui la produit tout en créant une culture qui donne sens à son existence. Dans cette perspective, l'arabité de l'Algérie n'est pas un produit importé ni une culture imposée par une domination politique. Les Maghrébins ont participé de manière active à la civilisation arabo-islamique en fournissant des penseurs, des théologiens, des mystiques, des hommes de lettres et des guerriers. L'arabité des Algériens n'est pas subie ; elle est construite par eux avec leurs pratiques sociales, leur éthos et leur psychologie collective. Ce fondement historique de l'arabité autorise que nous la discutions, la questionnons pour l'enrichir et la dépasser. Il s'agit surtout de prendre conscience que l'identité collective est souvent le résultat d'un accident historique. J'évoquerais deux anecdotes à portée anthropologique pour éclairer le caractère historique de l'identité. Un jour, un collègue à moi, professeur de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon, m'a posé la question suivante :

        -Lahouari, pourquoi vous avez accepté les Arabes et vous avez refusé les Français ?

        -Parce que les Arabes, j'ai répondu, en venant en Afrique du Nord, ne se sont pas appropriés les terres des autochtones ; ils ne les ont pas exclus de l'exercice du pouvoir politique ; ils n'ont pas établi une inégalité de race et surtout ils ont accepté de se fondre dans la population locale. Ce qui n'était pas le cas des Français qui avaient créé une société inégalitaire qui n'avait aucun avenir dans le long terme.

        -Ce sont donc les colons, me dit-il, qui ont empêché que l'Algérie devienne en partie française ?

        -Je te laisse la responsabilité de la conclusion, j'ai répondu.

        Il faut ajouter que la revendication de l'arabité par les Algériens sous la colonisation est un effet dialectique de la domination coloniale. A force d'écrire et de répéter que les Algériens sont des primitifs et que leur société est archaïque, ces derniers ont mis en avant leur arabité pour dire qu'ils appartiennent à une riche civilisation.

        L'autre anecdote, je l'ai vécue en été 1974, dans la wilaya de Mascara, où j'étais parti comme étudiant volontaire pour expliquer les textes de la Révolution agraire aux paysans. Lors d'une assemblée avec ces derniers, l'un d'eux posa la question suivante :

        -Loukane el ‘akria [les paysans de l'Oranie appelaient la France el ‘akria en référence à la couleur kaki de l'armée française] avait marié ses filles à vos parents, est-ce que vous auriez pris les armes pour chasser vos oncles maternels ?

        J'étais resté perplexe en entendant la question qui expliquait le caractère éphémère de la colonisation française en Algérie. Ce paysan de la région de Mascara, tout analphabète qu'il était, avait montré plus d'intelligence en matière de contact d'un peuple avec un autre que Robert Montagne, professeur au Collège de France, anthropologue de la conquête française au Maroc. Ces deux anecdotes sont instructives au sujet des processus identitaires et montrent que l'identité n'est pas une essence ou une substance anhistorique ; c'est une construction des acteurs eux-mêmes. Tout comme il y a un islam berbère caractérisé par les confréries et le soufisme, il y a une arabité maghrébine différente de celle du Machrek. C'est ce qui fait que le Maghrébin est différent de l'Egyptien ou de l'Irakien, et que la langue parlée aussi y est différente.
        Enwi l-xhir, tŝib el-xhir ...

        Commentaire


        • #5
          Suite de la réponse de Lahouari addi

          La question de la langue

          D. Labidi soulève le problème de la langue classique avec la même démarche qui réifie la catégorie d'arabité vidée de son contenu historique. C'est ainsi qu'il vénère l'arabe classique - parlée nulle part dans le monde arabe qu'il le veuille ou non - tout en méprisant l'arabe parlé sur lequel il a des préjugés inacceptables de la part d'un sociologue, surtout de sensibilité de gauche. La langue parlée est celle du peuple, celle de la vie quotidienne de Mdine Jdida et Bab el Oued, celle avec laquelle il exprime ses joies et ses souffrances. Le mépris élitiste (el khassa) pour cette langue du peuple (el ‘amma) ne sied pas D. Labidi, ancien dirigeant de l'UNEA pour qui, comme étudiants, nous faisions grève pour le faire libérer des prisons de Boumediene. Avec d'autres, il fait croire que le dialectal est apparu à la suite de la domination européenne qui aurait appauvri culturellement la société. Pourtant le chi'r el melhoune (poésie orale) au Maghreb, qui s'exprime en darija, date au moins du 16èm siècle comme l'attestent les poèmes de Sidi Lakhdar Bekhlouf en Algérie et Sidi Abderahmane el Majdoub au Maroc. (Je renvoie aux travaux sur le turath de l'équipe de recherche du CRASC, Université d'Oran, menés par Ahmed Amine Dellai, Rahmouna Mehadji et Hadj Méliani, publiés dans Les Cahiers du CRASC n° 2 et 4, 2002, n° 10, 2005 et n° 15, 2006, consacrés à des auteurs du melhoun comme Sidi Lakhdar Benkhlouf, Abdelkader Khaldi, Mestfa Ben Brahim et d'autres encore. Outre les qualités littéraires des documents exploités (poèmes, contes, récits…), ce travail montre que l'arabe dialectal est antérieur à la colonisation, remettant en cause le mythe selon lequel il est une forme dégradée de l'arabe classique apparue au XIXème siècle). Le mépris pour cette langue permet à D. Labidi d'éviter le problème de la profonde diglossie dans les pays arabes : la langue écrite n'est pas parlée et la langue parlée n'est pas écrite. Tout le monde reconnaît que cette diglossie est le principal problème culturel des pays arabes. Et ce n'est pas en encensant la langue écrite et en méprisant la langue parlée que la question sera réglée. Cette question a été débattue dès la fin du XIXe siècle en Egypte et jusqu'aux années 1930, à une époque où ce pays avait des intellectuels dignes de ce nom. Lotfi Sayyid avait préconisé la voie nationale, c'est-à-dire la promotion de l'arabe égyptien en créant des mots nouveaux et en faisant des emprunts aux langues étrangères, après avoir formalisé la grammaire. Taha Hussein s'était opposé à cette perspective, craignant que l'Egypte ne se coupe du riche patrimoine de la civilisation arabo-islamique véhiculée par la langue classique. Il a alors proposé de rénover celle-ci, de la simplifier pour en faire un outil de la modernité et de la vie quotidienne. S'appuyant sur le travail qu'avaient déjà fourni les journalistes Syro-libanais qui avaient créé Al Ahram, il a appelé à la généralisation d'un enseignement moderne qui, à terme, aurait fait disparaître la diglossie.

          C'est cette solution de Taha Hussein qui a été retenue par les mouvements nationalistes au Machrek et au Maghreb, rejetant la proposition de Lotfi Sayyid qui compromettait, pensait-on, l'unité future du monde arabe.

          La langue arabe utilisée dans l'enseignement et par la presse est une langue moderne, capable de véhiculer les sciences les plus abstraites, mais elle a été desservie par les politiques culturelles des régimes arabes qui ne lui ont pas permis de véhiculer un savoir moderne, faute de traduction des grands penseurs de la modernité. Comptant 12 millions d'habitants, la Grèce traduit plus que le monde arabe qui en compte trois cents millions ! Kamel Daoud, que D. Labidi traite d'aliéné et d'auto-raciste, est né après l'indépendance et est le produit de l'école algérienne. Il faut s'en prendre à l'école et au bilan du régime du parti unique pour avoir dévalorisé la langue arabe auprès des jeunes. Déjà en 1970, Jacques Berque constatait que la manière avec laquelle l'Algérie menait l'arabisation survalorise la francité. La question de la langue arabe est celle du contenu qu'elle véhicule et qu'elle exprime. Djamel Labidi cite la France qui avait créé les Ecoles Normales pour former des instituteurs dont la mission était de « normaliser » la pratique linguistique des jeunes écoliers Français élevés dans différentes langues régionales. C'est juste, mais il oublie l'essentiel : dans les Ecoles Normales françaises, ce n'était pas Saint Augustin et Saint Thomas d'Aquin qui étaient enseignés, mais plutôt Descartes, Montesquieu, Rousseau… Ce qui a porté atteinte à la langue arabe, c'est le contenu qu'elle véhicule. La langue arabe, par sa beauté, est un patrimoine de l'humanité et les Algériens y sont attachés. Ils seront encore plus attachés à elle lorsqu'elle offrira à la jeunesse étudiante la pensée de Hobbes, Kant, Foucault, Geert… Les Algériens font partie de l'Humanité et leur élite a besoin de débattre des idées des plus grands penseurs de la modernité. Avec la langue arabe seule, ce n'est pas possible de mener une telle réflexion. A qui la faute ? A Kamel Daoud ? Non, la faute incombe au système du parti unique dont les effets néfastes se feront encore sentir pendant plusieurs années. La conclusion qui s'impose est que Kamel Daoud est attaché à son peuple et Djamel Labidi est encore sous le charme de catégories réifiées du discours nationaliste de la période coloniale.
          Dernière modification par oldstoneage, 09 janvier 2010, 22h10.
          Enwi l-xhir, tŝib el-xhir ...

          Commentaire


          • #6
            Ibn Badis a manqué une occasion d'écrire un de ses verts correctement:

            "echaabou eldjaza-iri mouslimoun, wa ila l'ouroubati la yentassib"

            dommage.
            le DRS contrôle toute la Galaxie

            Commentaire


            • #7
              Pourquoi est-ce toujours au passé (numide ou «arabe») de définir mon Présent ? Pourquoi je ne peux pas me dire «Algérien» alors que j'habite l'Algérie et que je parle algérien ? Pourquoi lorsqu'on parle de l'amazighité des Algériens on tourne le regard automatiquement vers la Kabylie et pas vers le sud ou l'ouest ou le reste du pays et des Algériens ?
              Quand on ne sait pas d'où l'on vient, on ne sait pas où l'on va!
              Les Kabyles refusent l'aliénation égyptienne, ils ont eu la "chance géographique" d'avoir gardé leur socle culturel et identitaire à peu près intact.

              Ils ne sont pas atteint du syndrome du produit d'importation qui fait que certains Algériens, pour lutter contre leurs complexes, deviennent plus arabes que les arabes et plus musulmans que les musulmans! Et plus les moyen-orientaux leur dénieront ces qualités plus ils sombreront dans l'extrémisme et l'exclusivisme identitaire!

              Sois ce que tu veux, mais ne viens pas me dire qui je suis!
              "La chose la plus importante qu'on doit emporter au combat, c'est la raison d'y aller."

              Commentaire


              • #8
                Je suis d'accord avec Lahouari addi dans le fait que Djamel Labidi dans les raisonnements réifie beaucoup (alors qu'il y a processus).

                D'autre part je lui reproche de pratiquer le diagnostic ethno-psychiatrique avec beaucoup légèreté à l'endroit de Doud, il est évident que "aliénation et l'autoracisme" sont des qualificatifs destinés à déligitimer la lucidité de quelqu'un. C'est cousu de fil blanc, on n'est plus en 1960.

                Addi rappelle le problème clairement, connu de longue date :

                [...] permet à D. Labidi d'éviter le problème de la profonde diglossie dans les pays arabes : la langue écrite n'est pas parlée et la langue parlée n'est pas écrite. Tout le monde reconnaît que cette diglossie est le principal problème culturel des pays arabes.
                Le choix d'une langue arabe commune, la proposition de Taha Hussein, aurait pu fonctionner, si poussée à terme avec une vraie volonté de résultat (à la manière chinoise, coréenne, japonaise), mais comme il le rappelle :

                La langue arabe utilisée dans l'enseignement et par la presse est une langue moderne, capable de véhiculer les sciences les plus abstraites, mais elle a été desservie par les politiques culturelles des régimes arabes qui ne lui ont pas permis de véhiculer un savoir moderne, faute de traduction des grands penseurs de la modernité.

                Comptant 12 millions d'habitants, la Grèce traduit plus que le monde arabe qui en compte trois cents millions !
                Déjà en 1970, Jacques Berque constatait que la manière avec laquelle l'Algérie menait l'arabisation survalorise la francité.
                On pourrait ajouter "anglosité" côté égyptien qui a le même symptôme avec la langue arabe. Or la colonisation (plutot anglaise) en Egypte n'a strictement rien à voir avec la française en Algérie. Et pourtant le résultat est le même. Donc exit la colonisation, "l'aliénation et l'auto-racisme", ce n'est en rien le problème central, mais des arguments faciles qui parasitent la question.

                A props de l'Egypte :

                La question de la détérioration de la langue suscite discussions et débats enflammés et met souvent en jeu diglossie et problème d’alphabétisation.

                Dans un rapport de 1997, l’Unesco observait:

                «De nombreux linguistes et spécialistes des sciences de l’éducation affirment que la diglossie dans la région arabe est responsable de la persistance du faible niveau d’alphabétisation et d’instruction dont témoignent les fréquents redoublements et abandons en cours d’études.»

                Et de conclure: «Les questions linguistiques semblent jouer un rôle considérable dans la baisse apparente de la qualité de l’éducation au Moyen-Orient.»

                Ce problème revêt en tout cas une importance toute particulière à l’heure où l’on parle de «démocratisation accélérée» au Moyen-Orient et plus que jamais de droits de l’homme, car une question cruciale se pose: comment permettre l’apprentissage de la liberté d’expression sans la capacité de lire et d’écrire facilement, qui est l’un des vecteurs principaux de la communication?


                Chérif El-Choubachi (le vice-ministre de la Culture) part du principe qu’il faut impérativement réformer l’arabe si l’on veut éviter sa détérioration.

                D’après lui, «l’arabe littéraire ne convient plus au monde d’aujourd’hui, il faut que les règles qui le gouvernent évoluent. En 1500 ans, la langue arabe est la seule à ne pas avoir changé. Toutes les autres langues (chinois, hébreu, grec...) ont subi des modifications et des changements dans leur grammaire notamment. Les Grecs d’aujourd’hui par exemple ne peuvent plus lire Platon et Aristote, le grec ancien n’étant plus en usage. Il s’est progressivement effacé au profit d’une version plus adaptée de la langue.»

                La crainte de certains opposants à une réforme est que l’arabe puisse subir le même sort que le latin, et disparaître progressivement pour faire place à une nuée de langues régionales.

                Un argument que réfute Soliman El-Attar, professeur de littérature à la Faculté de lettres de l’Université du Caire: «S’il s’adapte à son temps, l’arabe ne disparaîtra pas. Au contraire, cela lui permettra de se maintenir.» Pour ce faire, Soliman El-Attar n’exclut pas des changements d’ordre grammatical.

                El-Taher Ahmed Mekki, linguiste, professeur à la faculté de Dar El-Ouloum et chroniqueur pour la revue El Hilal, lui, est opposé à toute réforme de la grammaire. Pour lui, le problème crucial réside ailleurs:

                «La crise ne se situe pas dans la langue arabe, ni dans sa grammaire ni dans son vocabulaire, mais dans la manière même de l’enseigner. Les professeurs sont aujourd’hui plus des amateurs que de véritables spécialistes de la langue et ne transmettent pas à l’élève un savoir, ils lui apprennent uniquement à passer les examens. »

                D’après lui, les seules modifications acceptables se situent au niveau du vocabulaire avec l’adjonction de certains termes qui reflètent les transformations de la société et permettent à la langue d’avancer avec son temps.

                La diglossie est aussi la source d’une controverse sociale en raison des statuts respectifs de l’arabe littéraire et l’arabe dialectal.

                En effet, écrire un livre ou un article «sérieux» en utilisant le dialecte égyptien est assez mal accepté notamment par les linguistes, ce qui, en plus du fossé qui sépare les deux formes de langage, représente un autre obstacle pour toute personne désirant s’exprimer à l’écrit.

                El-Taher Ahmed Mekki rétorque qu’aucune loi n’interdit d’écrire en arabe dialectal et que ceux qui veulent s’exprimer ainsi peuvent le faire librement. Une décision pourtant difficile à prendre et qui peut s’avérer lourde de conséquences quand on sait le genre de critiques auxquelles on peut s’exposer dans pareil cas.

                Commentaire


                • #9
                  Je vous mettrez d'autres réponses si jamais j'en trouve, je suis ce débat avec beaucoup d'interet!
                  Dernière modification par oldstoneage, 10 janvier 2010, 23h39.
                  Enwi l-xhir, tŝib el-xhir ...

                  Commentaire

                  Chargement...
                  X