Carton rouge
On continue de causer foot pendant que la grève des travailleurs de la zone industrielle de Rouiba bat son plein en Algérie? On fait comme Néron chantant au milieu de l’incendie qui détruisit Rome ? Y en a que pour le ballon rond. La colère de 50 000 travailleurs algériens dont le ras-le-bol est, si l’on en juge par le fameux précédent de 1988, annonciateur d’une grogne générale, c’est hors jeu. C’est un sujet qui attire dare-dare un carton rouge.
Y en a que pour l’ballon, ma foi ! Tu allumes la télé, c’est comme si tu allumais le flambeau de la relève patriotique. Tu entendras à longueur de temps des cantates autosatisfaites à la gloire de la grandeur de l’Algérie combattante !
En nous qualifiant pour la Coupe du monde, nous avons décroché la lune. Mieux encore, nous l’avons foulée. Apollo, c’est nous. Amstrong, c’est un type de Oued Ouchayah. Il a fait l’école primaire avec moi.
Je me souviens de lui au cours d’éducation religieuse, chez Cheikh El Badari. Ce dernier s’était mis bille en tête de faire de nous les spécialistes mondiaux dans cette haute technologie qui consiste à repérer à l’œil nu le croissant de lune, présage du Ramadan. Notre vieux maître, patriote comme pas un, assortissait ses cours de dégottage de la lune dans le ciel d’une prévention stratégique.
Des fois que le bon Dieu nous enlèverait le pétrole, il nous restera toujours cette science à exporter. Mais Armstrong, tassé dans son pupitre face à la fenêtre qui donne sur le ravin, rêvait déjà non pas de voir la lune, mais de marcher dessus. Tu ouvres la radio, c’est le même son. Tu entends l’arbitre sifflant la fin du match suivi aussitôt des lazzis des jeunes choristes entonnant en boucle un chant en tamazight : «One, two, three, viva l’Algérie !»
Après quoi, on te loge dans les oreilles les chants révolutionnaires, de lutte et d’espoir, parlant de sacrifice suprême pour le drapeau, à condition que celui-ci flotte en haut d’une tribune.
Tu entres dans un café, tu plonges dans un océan de stratèges. Une multitude d’entraîneurs de l’équipe nationale te décrivent par anticipation la façon dont Antar Yahia devrait s’y prendre pour terrasser d’un coup de pied nos adversaires et, ce faisant, pousser à la verticale vers le haut le curseur de l’estime de soi. Tu détestes en tant que nation quand tu perds un match.
Et quand tu gagnes, content de toi, tu te regardes dans le miroir en fredonnant le tube de Reda Sika proposant aux Egyptiens le troc pétrole contre Leïla Aloui.
Tu prends un bus ou un taxi collectif, tu vogues dans la même rengaine. Tu entends les mêmes refrains. Le monde bute sur les confins ronds de la balle. Avant un match, après un match, pendant le match, il n’y a rien d’autre que cette illusion de se voir en grand parce que les pieds en or pesant leur poids d’euros d’un joueur habile a trouvé à loger un ballon dans les filets adverses. Filet ?
Personne ne se pose de question sur les états d’âme de celui de la ménagère. Nul ne se soucie de ce qu’il est advenu du social. Du filet social.
Bravo, les gars ! Pourvu qu’on leur en remontre à tous ceux qui nous croyaient anéantis, aspirés par le vide, au fond du trou en train de creuser encore plus bas ! Pourvu que «les Verts débarquent en conquérants à Luanda», comme l’écrivent les journaux. Fais attention à la marche ! Faut pas que les Fennecs jouent les coqs. Ça attire le mauvais œil ! Tant qu’à placer la dignité nationale, la grandeur et tutti quanti au centre du jeu, faisons-le à la totale.
Qu’on réalise le vœu régalien d’Abdelaziz Bouteflika de dépasser cette victoire contre l’Égypte. Qu’on donne au président, comme il le demande, un championnat national de niveau.
Au lieu de ne gagner qu’une bataille, gagnons plutôt la guerre ! Cependant, j’ajouterais humblement au programme footballistique du président de la République l’objectif d’élever le niveau du championnat national, mais dans tous les domaines. Championnat national de l’économe. Championnat national social. Et même championnat national moral ! Y a du boulot !
Malgré la débauche d’écume de patriotisme cristallisée dans les crampons de joueurs de foot, il n’y a aucun doute qu’il vaut mieux les cocoricos à l’autophobie, la détestation de soi, la haine que l’on se voue à soi-même, devenus le sentiment que l’Algérien éprouve pour lui-même. Tous ces drapeaux qui flottent sur toutes sortes de mats augurent-ils d’une réappropriation des Algériens de l’idée de la nation et de l’idéal de l’appartenance commune à la même terre ? Pas sûr, pas sûr !
Quitte à endosser le maillot de Cassandre, gageons que ce phénomène de regain patriotique déclenché par la victoire de Khartoum ne survivra pas à une défaite de l’équipe nationale.
Je vous rassure illico : j’aimerais que l’Algérie gagne, ça flatte mon ego collectif. Mais il faut être réaliste. Comme disait mon grand-père instituteur, un but n’est pas forcément un objectif.
Par Arezki Metref, Le Soir
On continue de causer foot pendant que la grève des travailleurs de la zone industrielle de Rouiba bat son plein en Algérie? On fait comme Néron chantant au milieu de l’incendie qui détruisit Rome ? Y en a que pour le ballon rond. La colère de 50 000 travailleurs algériens dont le ras-le-bol est, si l’on en juge par le fameux précédent de 1988, annonciateur d’une grogne générale, c’est hors jeu. C’est un sujet qui attire dare-dare un carton rouge.
Y en a que pour l’ballon, ma foi ! Tu allumes la télé, c’est comme si tu allumais le flambeau de la relève patriotique. Tu entendras à longueur de temps des cantates autosatisfaites à la gloire de la grandeur de l’Algérie combattante !
En nous qualifiant pour la Coupe du monde, nous avons décroché la lune. Mieux encore, nous l’avons foulée. Apollo, c’est nous. Amstrong, c’est un type de Oued Ouchayah. Il a fait l’école primaire avec moi.
Je me souviens de lui au cours d’éducation religieuse, chez Cheikh El Badari. Ce dernier s’était mis bille en tête de faire de nous les spécialistes mondiaux dans cette haute technologie qui consiste à repérer à l’œil nu le croissant de lune, présage du Ramadan. Notre vieux maître, patriote comme pas un, assortissait ses cours de dégottage de la lune dans le ciel d’une prévention stratégique.
Des fois que le bon Dieu nous enlèverait le pétrole, il nous restera toujours cette science à exporter. Mais Armstrong, tassé dans son pupitre face à la fenêtre qui donne sur le ravin, rêvait déjà non pas de voir la lune, mais de marcher dessus. Tu ouvres la radio, c’est le même son. Tu entends l’arbitre sifflant la fin du match suivi aussitôt des lazzis des jeunes choristes entonnant en boucle un chant en tamazight : «One, two, three, viva l’Algérie !»
Après quoi, on te loge dans les oreilles les chants révolutionnaires, de lutte et d’espoir, parlant de sacrifice suprême pour le drapeau, à condition que celui-ci flotte en haut d’une tribune.
Tu entres dans un café, tu plonges dans un océan de stratèges. Une multitude d’entraîneurs de l’équipe nationale te décrivent par anticipation la façon dont Antar Yahia devrait s’y prendre pour terrasser d’un coup de pied nos adversaires et, ce faisant, pousser à la verticale vers le haut le curseur de l’estime de soi. Tu détestes en tant que nation quand tu perds un match.
Et quand tu gagnes, content de toi, tu te regardes dans le miroir en fredonnant le tube de Reda Sika proposant aux Egyptiens le troc pétrole contre Leïla Aloui.
Tu prends un bus ou un taxi collectif, tu vogues dans la même rengaine. Tu entends les mêmes refrains. Le monde bute sur les confins ronds de la balle. Avant un match, après un match, pendant le match, il n’y a rien d’autre que cette illusion de se voir en grand parce que les pieds en or pesant leur poids d’euros d’un joueur habile a trouvé à loger un ballon dans les filets adverses. Filet ?
Personne ne se pose de question sur les états d’âme de celui de la ménagère. Nul ne se soucie de ce qu’il est advenu du social. Du filet social.
Bravo, les gars ! Pourvu qu’on leur en remontre à tous ceux qui nous croyaient anéantis, aspirés par le vide, au fond du trou en train de creuser encore plus bas ! Pourvu que «les Verts débarquent en conquérants à Luanda», comme l’écrivent les journaux. Fais attention à la marche ! Faut pas que les Fennecs jouent les coqs. Ça attire le mauvais œil ! Tant qu’à placer la dignité nationale, la grandeur et tutti quanti au centre du jeu, faisons-le à la totale.
Qu’on réalise le vœu régalien d’Abdelaziz Bouteflika de dépasser cette victoire contre l’Égypte. Qu’on donne au président, comme il le demande, un championnat national de niveau.
Au lieu de ne gagner qu’une bataille, gagnons plutôt la guerre ! Cependant, j’ajouterais humblement au programme footballistique du président de la République l’objectif d’élever le niveau du championnat national, mais dans tous les domaines. Championnat national de l’économe. Championnat national social. Et même championnat national moral ! Y a du boulot !
Malgré la débauche d’écume de patriotisme cristallisée dans les crampons de joueurs de foot, il n’y a aucun doute qu’il vaut mieux les cocoricos à l’autophobie, la détestation de soi, la haine que l’on se voue à soi-même, devenus le sentiment que l’Algérien éprouve pour lui-même. Tous ces drapeaux qui flottent sur toutes sortes de mats augurent-ils d’une réappropriation des Algériens de l’idée de la nation et de l’idéal de l’appartenance commune à la même terre ? Pas sûr, pas sûr !
Quitte à endosser le maillot de Cassandre, gageons que ce phénomène de regain patriotique déclenché par la victoire de Khartoum ne survivra pas à une défaite de l’équipe nationale.
Je vous rassure illico : j’aimerais que l’Algérie gagne, ça flatte mon ego collectif. Mais il faut être réaliste. Comme disait mon grand-père instituteur, un but n’est pas forcément un objectif.
Par Arezki Metref, Le Soir
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