Magharebia.com - 2010-01-08
samedi 9 janvier 2010
Les récentes arrestations au Mali soulèvent des inquiétudes au Maghreb sur une alliance motivée par les profits entre les terroristes et les trafiquants de drogue.
Des trafiquants de drogue présumés ayant des liens avec AQMI ont été récemment arrêtés dans le désert malien.
Trois Maliens ayant des liens présumés avec un groupe de rebelles d’Amérique latine ont été récemment arrêtés au Ghana et transférés aux Etats-Unis pour y être jugés. Mais de nombreux observateurs du Maghreb estiment que les incidences de cette affaire criminelle sont bien plus proches géographiquement.
Oumar Issa, Harouna Touré et Idriss Abelrahman ont été accusés d’avoir conspiré pour financer les opérations d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en transportant de la drogue. Selon le verdict américain prononcé le 19 décembre, ces Maliens auraient accepté d’aider les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) à transporter de la cocaïne destinée à l’Europe du Ghana vers le désert nord-africain.
Mais leurs contacts sud-américains n’étaient pas membres du groupe rebelle colombien lié à al-Qaida qui utilise l’Afrique comme une passerelle pour le trafic de drogue vers l’Europe ; ils étaient en réalité des agents des services de renseignement américains.
"L’implication d’al-Qaida dans le commerce de la drogue n’est pas une surprise", a expliqué le spécialiste des affaires du Maghreb Nasr El Din Ben Hadid à Magharebia. "Ils adoptent le principe de ’la fin justifie les moyens’."
"Le fait que des groupes terroristes aient recours au trafic de drogues est un secret de polichinelle", reconnaît Amine Kirem, chercheur algérien spécialisé sur les mouvements islamistes.
"Les enquêtes menées par les services spécialisés font état d’une relation très étroite entre les groupes terroristes et les barons de la drogue", explique-t-il, ajoutant que les terroristes utilisent ce commerce illégal pour acheter des armes et des explosifs.
"Durant les années 1990, ces groupes disposaient des moyens financiers nécessaires pour leurs activités. Ce n’est plus le cas aujourd’hui", précise-t-il.
Des circonstances désespérées exigent des mesures désespérées, selon Elias Boukeraa, un spécialiste de la sécurité en Algérie.
"Battu politiquement et militairement, le terrorisme dans la bande du Sahel tente de rebondir en multipliant les groupuscules armés dans cette vaste région. Ces groupes profitent de la situation socio-économique désastreuse de la population ainsi que des conflits armés pour tenter de se reconstituer", explique-t-il.
La région doit aujourd’hui faire face à un lien "bien établi" entre les groupes terroristes et les réseaux de trafic de drogue, a expliqué l’ancien ministre malien de la Défense Soumeylou Maiga Boubey lors d’une conférence organisée à Alger le 28 décembre.
"Activité mafieuse, trafic de drogue, d’armes, rançons sont autant de moyens utilisés par ces groupes pour financer les activités terroristes", affirme-t-il.
"Dire que le danger est loin de nos frontières et se désengager de sa responsabilité constitue une erreur monumentale. Le terrorisme menace sérieusement la stabilité et la paix dans la région", ajoute cet ancien ministre.
L’Afrique du Nord, la région du Sahel/Sahara et l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest sont particulièrement concernés par ce problème, explique Mohammed Benhemmou, spécialiste de la sécurité et du terrorisme au Maroc.
"On assiste depuis des années à un changement dans les routes d’acheminement de la drogue en provenance de l’Amérique latine via l’Afrique occidentale, profitant d’un espace désertique et de la faiblesse de certains Etats à assurer le contrôle sur leur territoire, pour atteindre le marché de destination", explique-t-il.
Selon une source du ministère de l’Intérieur, le Maroc connaît depuis longtemps les activités des organisations terroristes et leurs canaux de financement. Le gouvernement met en oeuvre des lois pour lutter contre le blanchiment d’argent et d’autres initiatives visant le crime organisé et le trafic de stupéfiants.
Mais le terrorisme ne peut être battu par un seul pays, souligne M. Benhemmou. "Même si les buts du trafic de drogue et du terrorisme ne sont pas les mêmes, le premier visant les profits financiers et le second ayant des visées politiques, ces deux activités se soutiennent mutuellement."
Même si le Maroc renforce les contrôles à ses frontières et à l’intérieur du pays, les relations de voisinage dans la région sont fragiles et un niveau élevé de coopération est nécessaire pour atteindre les objectifs, poursuit cet expert.
A cette fin, les Etats arabes coordonnent leurs efforts pour assécher les moyens de financement des opérations terroristes. En septembre dernier, le secrétariat général du Conseil des ministres de l’Intérieur a avalisé un plan triennal pour une stratégie arabe unifiée de lutte contre la drogue et sur la question connexe du blanchiment d’argent.
Le spécialiste algérien Boukeraa a même proposé d’aller plus loin, en suggérant à Magharebia que tous les pays de la région envisagent de mettre en place une force armée commune pour mettre un terme à cette menace. Mais les initiatives panarabes contre les crimes liés à la drogue et l’attention portée par les Etats à la sécurité intérieure ne sont pas tout, explique Lahcen Daoudi, député marocain du Parti pour la justice et le développement.
"Que ce soit le fléau du terrorisme ou le trafic de drogue, il faut chercher les causes au niveau interne", explique-t-il. "Pourquoi fait-on des terroristes ou des trafiquants de drogue ? Il ne faut pas légitimer la question, mais on doit connaître les raisons pour les traiter. Cela passe entre autres par l’école."
Au-delà des discussions sur les questions de sécurité régionale, des stratégies maghrébines de lutte antiterroristes et des projets sociaux visant à éradiquer le problème à la source, certains s’interrogent sur la pure incongruité de terroristes qui affirment leur foi mais utilisent le trafic de drogue comme une source de revenu.
"C’est un crime contre l’éthique, les droits de l’Homme et la religion, un crime contre l’Islam, parce que la fatwa qu’ils utilisent pour justifier de tels crimes est brandie au nom de l’Islam", explique Sami Burham, un spécialiste tunisien des groupes islamistes.
"Je pense qu’ils justifient leurs ventes de drogue sur la base d’une fatwa qui autorise aux Musulmans de vendre de l’alcool à des non-Musulmans", ajoute-t-il. "Les terroristes utilisent la même logique pour voler de l’argent aux non-Musulmans pour financer le djihad, parce que selon cette fatwa, les non-Musulmans n’ont aucun caractère sacré."
La drogue est également utilisée pour attirer la prochaine génération de terroristes.
Selon Salim Ahmed, un journaliste algérien spécialisé dans les questions de sécurité, l’échec des arguments "extrémistes religieux" a poussé ces groupes à chercher de nouveaux moyens de fonctionner et de recruter de nouveaux membres.
"Les jeunes ne croient plus aux promesses de paradis. Il était nécessaire de trouver d’autres moyens de les recruter pour commettre des actes de violence", explique-t-il. "La drogue est l’une de ces méthodes."
Et d’ajouter : "Plusieurs kamikazes ont agi sous l’influence de la drogue".
"Ces gens qui ont tranché la gorge à des enfants, violé des femmes, se sont tués ou se sont faits exploser ne peuvent avoir agi en pleine possession de leurs moyens", conclut-il.
samedi 9 janvier 2010
Les récentes arrestations au Mali soulèvent des inquiétudes au Maghreb sur une alliance motivée par les profits entre les terroristes et les trafiquants de drogue.
Des trafiquants de drogue présumés ayant des liens avec AQMI ont été récemment arrêtés dans le désert malien.
Trois Maliens ayant des liens présumés avec un groupe de rebelles d’Amérique latine ont été récemment arrêtés au Ghana et transférés aux Etats-Unis pour y être jugés. Mais de nombreux observateurs du Maghreb estiment que les incidences de cette affaire criminelle sont bien plus proches géographiquement.
Oumar Issa, Harouna Touré et Idriss Abelrahman ont été accusés d’avoir conspiré pour financer les opérations d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en transportant de la drogue. Selon le verdict américain prononcé le 19 décembre, ces Maliens auraient accepté d’aider les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) à transporter de la cocaïne destinée à l’Europe du Ghana vers le désert nord-africain.
Mais leurs contacts sud-américains n’étaient pas membres du groupe rebelle colombien lié à al-Qaida qui utilise l’Afrique comme une passerelle pour le trafic de drogue vers l’Europe ; ils étaient en réalité des agents des services de renseignement américains.
"L’implication d’al-Qaida dans le commerce de la drogue n’est pas une surprise", a expliqué le spécialiste des affaires du Maghreb Nasr El Din Ben Hadid à Magharebia. "Ils adoptent le principe de ’la fin justifie les moyens’."
"Le fait que des groupes terroristes aient recours au trafic de drogues est un secret de polichinelle", reconnaît Amine Kirem, chercheur algérien spécialisé sur les mouvements islamistes.
"Les enquêtes menées par les services spécialisés font état d’une relation très étroite entre les groupes terroristes et les barons de la drogue", explique-t-il, ajoutant que les terroristes utilisent ce commerce illégal pour acheter des armes et des explosifs.
"Durant les années 1990, ces groupes disposaient des moyens financiers nécessaires pour leurs activités. Ce n’est plus le cas aujourd’hui", précise-t-il.
Des circonstances désespérées exigent des mesures désespérées, selon Elias Boukeraa, un spécialiste de la sécurité en Algérie.
"Battu politiquement et militairement, le terrorisme dans la bande du Sahel tente de rebondir en multipliant les groupuscules armés dans cette vaste région. Ces groupes profitent de la situation socio-économique désastreuse de la population ainsi que des conflits armés pour tenter de se reconstituer", explique-t-il.
La région doit aujourd’hui faire face à un lien "bien établi" entre les groupes terroristes et les réseaux de trafic de drogue, a expliqué l’ancien ministre malien de la Défense Soumeylou Maiga Boubey lors d’une conférence organisée à Alger le 28 décembre.
"Activité mafieuse, trafic de drogue, d’armes, rançons sont autant de moyens utilisés par ces groupes pour financer les activités terroristes", affirme-t-il.
"Dire que le danger est loin de nos frontières et se désengager de sa responsabilité constitue une erreur monumentale. Le terrorisme menace sérieusement la stabilité et la paix dans la région", ajoute cet ancien ministre.
L’Afrique du Nord, la région du Sahel/Sahara et l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest sont particulièrement concernés par ce problème, explique Mohammed Benhemmou, spécialiste de la sécurité et du terrorisme au Maroc.
"On assiste depuis des années à un changement dans les routes d’acheminement de la drogue en provenance de l’Amérique latine via l’Afrique occidentale, profitant d’un espace désertique et de la faiblesse de certains Etats à assurer le contrôle sur leur territoire, pour atteindre le marché de destination", explique-t-il.
Selon une source du ministère de l’Intérieur, le Maroc connaît depuis longtemps les activités des organisations terroristes et leurs canaux de financement. Le gouvernement met en oeuvre des lois pour lutter contre le blanchiment d’argent et d’autres initiatives visant le crime organisé et le trafic de stupéfiants.
Mais le terrorisme ne peut être battu par un seul pays, souligne M. Benhemmou. "Même si les buts du trafic de drogue et du terrorisme ne sont pas les mêmes, le premier visant les profits financiers et le second ayant des visées politiques, ces deux activités se soutiennent mutuellement."
Même si le Maroc renforce les contrôles à ses frontières et à l’intérieur du pays, les relations de voisinage dans la région sont fragiles et un niveau élevé de coopération est nécessaire pour atteindre les objectifs, poursuit cet expert.
A cette fin, les Etats arabes coordonnent leurs efforts pour assécher les moyens de financement des opérations terroristes. En septembre dernier, le secrétariat général du Conseil des ministres de l’Intérieur a avalisé un plan triennal pour une stratégie arabe unifiée de lutte contre la drogue et sur la question connexe du blanchiment d’argent.
Le spécialiste algérien Boukeraa a même proposé d’aller plus loin, en suggérant à Magharebia que tous les pays de la région envisagent de mettre en place une force armée commune pour mettre un terme à cette menace. Mais les initiatives panarabes contre les crimes liés à la drogue et l’attention portée par les Etats à la sécurité intérieure ne sont pas tout, explique Lahcen Daoudi, député marocain du Parti pour la justice et le développement.
"Que ce soit le fléau du terrorisme ou le trafic de drogue, il faut chercher les causes au niveau interne", explique-t-il. "Pourquoi fait-on des terroristes ou des trafiquants de drogue ? Il ne faut pas légitimer la question, mais on doit connaître les raisons pour les traiter. Cela passe entre autres par l’école."
Au-delà des discussions sur les questions de sécurité régionale, des stratégies maghrébines de lutte antiterroristes et des projets sociaux visant à éradiquer le problème à la source, certains s’interrogent sur la pure incongruité de terroristes qui affirment leur foi mais utilisent le trafic de drogue comme une source de revenu.
"C’est un crime contre l’éthique, les droits de l’Homme et la religion, un crime contre l’Islam, parce que la fatwa qu’ils utilisent pour justifier de tels crimes est brandie au nom de l’Islam", explique Sami Burham, un spécialiste tunisien des groupes islamistes.
"Je pense qu’ils justifient leurs ventes de drogue sur la base d’une fatwa qui autorise aux Musulmans de vendre de l’alcool à des non-Musulmans", ajoute-t-il. "Les terroristes utilisent la même logique pour voler de l’argent aux non-Musulmans pour financer le djihad, parce que selon cette fatwa, les non-Musulmans n’ont aucun caractère sacré."
La drogue est également utilisée pour attirer la prochaine génération de terroristes.
Selon Salim Ahmed, un journaliste algérien spécialisé dans les questions de sécurité, l’échec des arguments "extrémistes religieux" a poussé ces groupes à chercher de nouveaux moyens de fonctionner et de recruter de nouveaux membres.
"Les jeunes ne croient plus aux promesses de paradis. Il était nécessaire de trouver d’autres moyens de les recruter pour commettre des actes de violence", explique-t-il. "La drogue est l’une de ces méthodes."
Et d’ajouter : "Plusieurs kamikazes ont agi sous l’influence de la drogue".
"Ces gens qui ont tranché la gorge à des enfants, violé des femmes, se sont tués ou se sont faits exploser ne peuvent avoir agi en pleine possession de leurs moyens", conclut-il.
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