Il y a un an, le président yéménite, Ali Abdallah Saleh, faisait une révélation fracassante : les forces de sécurité de son pays avaient appréhendé un groupe d’islamistes liés aux forces des services secrets israéliens. « Une cellule terroriste a été appréhendée et sera renvoyée devant les tribunaux pour ses liens avec les services de renseignements israéliens », avait-il promis.
Saleh ajouta : « Vous serez tenus au courant des poursuites judiciaires ». On n’en a jamais entendu parler et la piste s’est effacée. Bienvenue sur la terre magique du Yémen, où se jouaient les Mille et Une Nuits dans la gestation du temps.
Prenez le Yémen et ajoutez-y la mystique de l’Islam, Oussama ben Laden, al-Qaïda et les services secrets israéliens et vous obtenez une mixture qui vous monte à la tête. Le chef du Commandement Central des Etats-Unis, le Général David Petraeus, est passé samedi par la capitale yéménite, Sanaa, et a juré à Saleh une aide américaine accrue pour combattre al-Qaïda. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, a très vite repris la promesse de Petraeus, assurant que les Etats-Unis renforceraient le partage de renseignements et l’entraînement des forces yéménites et qu’il mènerait peut-être des attaques conjointes contre les militants d’al-Qaïda dans la région.
Un nouvel Afghanistan ?
Au dire de beaucoup, Obama, qui est généralement considéré comme un politicien talentueux et intelligent, commet une bourde catastrophique en démarrant une nouvelle guerre qui pourrait s’avérer aussi sanglante, désordonnée et ingagnable que celles d’Irak et d’Afghanistan. Pourtant, à première vue, Obama semble vraiment imprévisible. Les parallèles avec l’Afghanistan sont frappants. Un étudiant nigérian, qui dit avoir été entraîné au Yémen, a tenté de faire sauter un avion américain et l’Amérique veut partir en guerre.
Le Yémen, lui aussi, est un merveilleux pays avec de très belles montagnes accidentées qui pourraient être un paradis pour la guérilla. Comme les membres des tribus afghanes, les Yéménites sont des gens hospitaliers. Mais, ainsi que le journaliste irlandais, Patrick Cockburn, le rappelle, tandis qu’ils sont généreux envers les étrangers de passage, ils « considèrent que les lois de l’hospitalité prennent fin lorsque l’étranger quitte leur territoire tribal, moment où il devient ‘une bonne cible pour recevoir une balle dans le dos’. » Il y a assurément un côté romantique dans tout ça – presque comme dans l’Hindou-Kouch. Extrêmement nationalistes, pratiquement tous les Yéménites ont une arme à feu. A l’instar de l’Afghanistan, le Yémen est également un pays où les autorités sont en conflit et où une petite guerre civile n’attend qu’une intervention étrangère pour éclater.
Obama a-t-il aussi incroyablement oublié son propre discours du 1er décembre, dans lequel il exposait les contours de sa stratégie afghane, pour violer les critères qu’il avait lui-même édictés ? Certainement pas. Obama est un homme habile. On se souviendra de l’intervention au Yémen comme du coup le plus habile qu’il aura jamais fait pour perpétuer l’hégémonie mondiale des Etats-Unis. C’est la réponse de l’Amérique à la montée en puissance de la Chine.
Un coup d’œil rapide sur la carte de la région montre que le Yémen est l’un des endroits les plus stratégiques attenant aux eaux du Golfe Persique et de la Péninsule Arabique. Il borde l’Arabie Saoudite et Oman, qui sont des protectorats américains essentiels. En effet, Oncle Sam « marque son territoire » - comme un chien sur un réverbère. La Russie a caressé l’idée de réouvrir sa base de l’ère soviétique à Aden. Eh bien ! Les Etats-Unis ont soufflé la place à Moscou.
Les Etats-Unis ont fait savoir que cette odyssée ne s’arrête pas au Yémen. Elle se prolonge jusqu’en Somalie et au Kenya. De cette manière, les Etats-Unis établissent leur présence militaire sur une bande ininterrompue de terres le long de la façade occidentale de l’Océan Indien. Les officiels chinois ont parlé tout récemment de leur nécessité d’établir une base navale dans cette région. Les Etats-Unis ont désormais renvoyé dans les cordes les options chinoises. Le seul pays avec une côte maritime disponible pour la Chine, afin d’y installer une base navale dans la région, est l’Iran. Tous les autres pays ont une présence militaire occidentale.
L’intervention américaine au Yémen ne se fera pas sur le modèle de l’Irak et de l’Afghanistan. Obama s’assurera de ne pas récupérer les soldats américains servant au Yémen dans des housses mortuaires. C’est ce que le public américain attend de lui. Selon l’armée américaine, il n’y déploiera que des drones et des forces spéciales et « se concentrera à fournir des renseignements et de l’entraînement pour aider le Yémen à contrer les militants d’al-Qaïda ». L’objectif essentiel et principal d’Obama sera d’établir une présence militaire durable au Yémen. Cela sert plusieurs buts.
Une nouvelle grande partie débute
D’abord, la manœuvre des Etats-Unis doit être considérée comme étant exercée contre l’éveil chiite qui constitue la toile de fond dans cette région. Les Chiites (principalement le groupe Zaïdi) ont été traditionnellement réprimés au Yémen. Les soulèvements chiites ont été un thème récurrent dans l’histoire du Yémen. Il y a eu une tentative délibérée de minimiser le pourcentage de Chiites au Yémen, mais ils pourraient y représenter jusqu’à 45% de la population.
Plus important, ils constituent la majorité dans la partie septentrionale du pays. Ce qui dérange les Etats-Unis et les Etats arabes modérés – ainsi qu’Israël – est que l’Organisation des Jeunes Croyants, conduite par Hussein Badr al-Houthi, qui est retranchée au nord du Yémen, a pris modèle sur le Hezbollah au Liban, à tous égards – politiquement, économiquement, socialement et culturellement.
Les Yéménites sont un peuple intelligent et ils sont célèbres dans la Péninsule Arabique pour leur tempérament démocratique. La montée en puissance des Chiites yéménites, sur le modèle du Hezbollah, aurait des implications régionales considérables. Le plus proche voisin, Oman, qui est une base américaine clé, est essentiellement chiite. Sujet encore plus sensible : l’idée dangereuse de la probabilité de la montée au pouvoir des Chiites qui s’étendrait aux régions chiites hautement rétives d’Arabie Saoudite, attenantes au Yémen, lesquelles, qui plus est, se trouvent également être le réservoir de la fabuleuse richesse pétrolière du pays.
L’Arabie Saoudite entre dans une phase hautement sensible de transition politique, alors qu’une nouvelle génération est programmée pour prendre le pouvoir à Riyad et que les intrigues de palais et les failles au sein de la famille royale ont toutes les chances d’être exacerbées. Pour le dire avec euphémisme, étant donné la dimension institutionnalisée de la persécution des Chiites en Arabie Saoudite par l’establishment wahhabite, la montée en puissance des Chiites est un véritable champ de mines qui pétrifie littéralement Riyad en ce moment. Les limites de sa patience s’amenuisent, comme en témoigne le recours récent peu habituel à la force militaire contre les communautés chiites du nord du Yémen, à la frontière de l’Arabie Saoudite.
Les Etats-Unis sont confrontés à un dilemme classique. C’est très bien qu’Obama souligne la nécessité de réforme dans les sociétés musulmanes – comme il l’a fait avec éloquence dans son discours du Caire en juin dernier. Mais la démocratisation dans le contexte yéménite – ironiquement, dans le contexte arabe – impliquerait de donner du pouvoir aux Chiites. Après l’expérience douloureuse en Irak, Washington est littéralement perché comme un chat sur un toit brûlant. Le gouvernement américain préfèrerait de loin s’aligner sur le gouvernement répressif et autocratique de Saleh plutôt que de laisser sortir de la bouteille le génie de la réforme dans cette région riche en pétrole, où ses intérêts sont immenses.
Obama est doté d’un esprit érudit et il n’est pas sans savoir que le Yémen a désespérément besoin de réforme. Mais il ne veut tout simplement pas y penser. Le paradoxe auquel il est confronté est qu’avec toutes ses imperfections, l’Iran se trouve être le seul système « démocratique » en opération dans toute la région.
L’ombre de l’Iran qui plane sur la conscience chiite yéménite est une inquiétude sans fin pour les Etats-Unis. Pour le formuler simplement, dans la lutte idéologique en cours dans cette région, Obama se retrouve du côté des oligarchies autocratiques ultra-conservatrices et brutales qui y constituent la classe dirigeante. On peut comprendre que ce ne soit pas facile pour lui. Si l’on doit en croire ses Mémoires, il pourrait y avoir des moments où les vagues souvenirs de son enfance en Indonésie et la mémoire précieuse de sa propre mère, laquelle, au dire de tous, était une intellectuelle et une humaniste insouciante, doivent le hanter dans les couloirs de la Maison Blanche.
uzbékistan, le Koweït et la Turquie.
Saleh ajouta : « Vous serez tenus au courant des poursuites judiciaires ». On n’en a jamais entendu parler et la piste s’est effacée. Bienvenue sur la terre magique du Yémen, où se jouaient les Mille et Une Nuits dans la gestation du temps.
Prenez le Yémen et ajoutez-y la mystique de l’Islam, Oussama ben Laden, al-Qaïda et les services secrets israéliens et vous obtenez une mixture qui vous monte à la tête. Le chef du Commandement Central des Etats-Unis, le Général David Petraeus, est passé samedi par la capitale yéménite, Sanaa, et a juré à Saleh une aide américaine accrue pour combattre al-Qaïda. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, a très vite repris la promesse de Petraeus, assurant que les Etats-Unis renforceraient le partage de renseignements et l’entraînement des forces yéménites et qu’il mènerait peut-être des attaques conjointes contre les militants d’al-Qaïda dans la région.
Un nouvel Afghanistan ?
Au dire de beaucoup, Obama, qui est généralement considéré comme un politicien talentueux et intelligent, commet une bourde catastrophique en démarrant une nouvelle guerre qui pourrait s’avérer aussi sanglante, désordonnée et ingagnable que celles d’Irak et d’Afghanistan. Pourtant, à première vue, Obama semble vraiment imprévisible. Les parallèles avec l’Afghanistan sont frappants. Un étudiant nigérian, qui dit avoir été entraîné au Yémen, a tenté de faire sauter un avion américain et l’Amérique veut partir en guerre.
Le Yémen, lui aussi, est un merveilleux pays avec de très belles montagnes accidentées qui pourraient être un paradis pour la guérilla. Comme les membres des tribus afghanes, les Yéménites sont des gens hospitaliers. Mais, ainsi que le journaliste irlandais, Patrick Cockburn, le rappelle, tandis qu’ils sont généreux envers les étrangers de passage, ils « considèrent que les lois de l’hospitalité prennent fin lorsque l’étranger quitte leur territoire tribal, moment où il devient ‘une bonne cible pour recevoir une balle dans le dos’. » Il y a assurément un côté romantique dans tout ça – presque comme dans l’Hindou-Kouch. Extrêmement nationalistes, pratiquement tous les Yéménites ont une arme à feu. A l’instar de l’Afghanistan, le Yémen est également un pays où les autorités sont en conflit et où une petite guerre civile n’attend qu’une intervention étrangère pour éclater.
Obama a-t-il aussi incroyablement oublié son propre discours du 1er décembre, dans lequel il exposait les contours de sa stratégie afghane, pour violer les critères qu’il avait lui-même édictés ? Certainement pas. Obama est un homme habile. On se souviendra de l’intervention au Yémen comme du coup le plus habile qu’il aura jamais fait pour perpétuer l’hégémonie mondiale des Etats-Unis. C’est la réponse de l’Amérique à la montée en puissance de la Chine.
Un coup d’œil rapide sur la carte de la région montre que le Yémen est l’un des endroits les plus stratégiques attenant aux eaux du Golfe Persique et de la Péninsule Arabique. Il borde l’Arabie Saoudite et Oman, qui sont des protectorats américains essentiels. En effet, Oncle Sam « marque son territoire » - comme un chien sur un réverbère. La Russie a caressé l’idée de réouvrir sa base de l’ère soviétique à Aden. Eh bien ! Les Etats-Unis ont soufflé la place à Moscou.
Les Etats-Unis ont fait savoir que cette odyssée ne s’arrête pas au Yémen. Elle se prolonge jusqu’en Somalie et au Kenya. De cette manière, les Etats-Unis établissent leur présence militaire sur une bande ininterrompue de terres le long de la façade occidentale de l’Océan Indien. Les officiels chinois ont parlé tout récemment de leur nécessité d’établir une base navale dans cette région. Les Etats-Unis ont désormais renvoyé dans les cordes les options chinoises. Le seul pays avec une côte maritime disponible pour la Chine, afin d’y installer une base navale dans la région, est l’Iran. Tous les autres pays ont une présence militaire occidentale.
L’intervention américaine au Yémen ne se fera pas sur le modèle de l’Irak et de l’Afghanistan. Obama s’assurera de ne pas récupérer les soldats américains servant au Yémen dans des housses mortuaires. C’est ce que le public américain attend de lui. Selon l’armée américaine, il n’y déploiera que des drones et des forces spéciales et « se concentrera à fournir des renseignements et de l’entraînement pour aider le Yémen à contrer les militants d’al-Qaïda ». L’objectif essentiel et principal d’Obama sera d’établir une présence militaire durable au Yémen. Cela sert plusieurs buts.
Une nouvelle grande partie débute
D’abord, la manœuvre des Etats-Unis doit être considérée comme étant exercée contre l’éveil chiite qui constitue la toile de fond dans cette région. Les Chiites (principalement le groupe Zaïdi) ont été traditionnellement réprimés au Yémen. Les soulèvements chiites ont été un thème récurrent dans l’histoire du Yémen. Il y a eu une tentative délibérée de minimiser le pourcentage de Chiites au Yémen, mais ils pourraient y représenter jusqu’à 45% de la population.
Plus important, ils constituent la majorité dans la partie septentrionale du pays. Ce qui dérange les Etats-Unis et les Etats arabes modérés – ainsi qu’Israël – est que l’Organisation des Jeunes Croyants, conduite par Hussein Badr al-Houthi, qui est retranchée au nord du Yémen, a pris modèle sur le Hezbollah au Liban, à tous égards – politiquement, économiquement, socialement et culturellement.
Les Yéménites sont un peuple intelligent et ils sont célèbres dans la Péninsule Arabique pour leur tempérament démocratique. La montée en puissance des Chiites yéménites, sur le modèle du Hezbollah, aurait des implications régionales considérables. Le plus proche voisin, Oman, qui est une base américaine clé, est essentiellement chiite. Sujet encore plus sensible : l’idée dangereuse de la probabilité de la montée au pouvoir des Chiites qui s’étendrait aux régions chiites hautement rétives d’Arabie Saoudite, attenantes au Yémen, lesquelles, qui plus est, se trouvent également être le réservoir de la fabuleuse richesse pétrolière du pays.
L’Arabie Saoudite entre dans une phase hautement sensible de transition politique, alors qu’une nouvelle génération est programmée pour prendre le pouvoir à Riyad et que les intrigues de palais et les failles au sein de la famille royale ont toutes les chances d’être exacerbées. Pour le dire avec euphémisme, étant donné la dimension institutionnalisée de la persécution des Chiites en Arabie Saoudite par l’establishment wahhabite, la montée en puissance des Chiites est un véritable champ de mines qui pétrifie littéralement Riyad en ce moment. Les limites de sa patience s’amenuisent, comme en témoigne le recours récent peu habituel à la force militaire contre les communautés chiites du nord du Yémen, à la frontière de l’Arabie Saoudite.
Les Etats-Unis sont confrontés à un dilemme classique. C’est très bien qu’Obama souligne la nécessité de réforme dans les sociétés musulmanes – comme il l’a fait avec éloquence dans son discours du Caire en juin dernier. Mais la démocratisation dans le contexte yéménite – ironiquement, dans le contexte arabe – impliquerait de donner du pouvoir aux Chiites. Après l’expérience douloureuse en Irak, Washington est littéralement perché comme un chat sur un toit brûlant. Le gouvernement américain préfèrerait de loin s’aligner sur le gouvernement répressif et autocratique de Saleh plutôt que de laisser sortir de la bouteille le génie de la réforme dans cette région riche en pétrole, où ses intérêts sont immenses.
Obama est doté d’un esprit érudit et il n’est pas sans savoir que le Yémen a désespérément besoin de réforme. Mais il ne veut tout simplement pas y penser. Le paradoxe auquel il est confronté est qu’avec toutes ses imperfections, l’Iran se trouve être le seul système « démocratique » en opération dans toute la région.
L’ombre de l’Iran qui plane sur la conscience chiite yéménite est une inquiétude sans fin pour les Etats-Unis. Pour le formuler simplement, dans la lutte idéologique en cours dans cette région, Obama se retrouve du côté des oligarchies autocratiques ultra-conservatrices et brutales qui y constituent la classe dirigeante. On peut comprendre que ce ne soit pas facile pour lui. Si l’on doit en croire ses Mémoires, il pourrait y avoir des moments où les vagues souvenirs de son enfance en Indonésie et la mémoire précieuse de sa propre mère, laquelle, au dire de tous, était une intellectuelle et une humaniste insouciante, doivent le hanter dans les couloirs de la Maison Blanche.
uzbékistan, le Koweït et la Turquie.
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