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    36 millions d'entraîneurs

    par Kamel Daoud

    Tout le monde s'y est mis : se mettre à la place de Saâdane pour savoir pourquoi Saâdane n'était pas à sa place. Même seul, devant le destin, devant une dune ou devant un mur ou le dos de son prochain, suivant ou précédant, un Algérien ne peut plus s'arrêter d'analyser le match Algérie/Malawi depuis des jours. En large, en fond, en longueur. Et dans un pays où chacun du peuple se prend aléatoirement pour le président (avec un président qui se prend pour le peuple, justement), chacun estime savoir ce qu'il fallait faire, comment déplacer les joueurs, qui il fallait introduire et qui il fallait garder sur le banc.

    D'ailleurs, depuis que n'importe quoi est n'importe qui, à la place exacte de l'homme qu'il faut à la place qu'il faut que voulait Boumedienne, chaque Algérien se sent en droit et en compétence capable de refaire le pays et de le diriger mieux que les autres. Une sorte de populisme antécédent au socialisme, intercalé entre l'indépendance et le départ de Benbella, a fait de nous, comme c'est connu, des gens égaux. Tout les Algériens sont égaux, par le bas. Et s'estiment donc capables de gouverner, critiquer, analyser, ou refaire ce pays à droits égaux et avec les mêmes compétences orales.

    En Algérie d'ailleurs, il n'y a pas de hiérarchie naturelle mais seulement des rapports de force. On y est dans la jungle, pas dans le zoo. Et paradoxalement, ce rapport de force met en échec tout autre rapport humain : puisqu'on est tous montés au maquis, et qu'on a tous vaincu la France, qu'on est tous morts en martyrs et que nous sommes tous anciens moudjahids, cela veut dire que nous avons tous droit à la totalité du pays chacun pour soi, qu'on est tous enfants de la révolution de novembre et tous ses pères, ses voisins, ses architectes et ses fils et que nous avons été tous colonel dans une armée qui n'avait pas besoin de soldats. Partant de ce principe, tout le monde a droit d'être Président chez nous, de remplacer Saâdane, d'avoir une cave ou une licence d'importation de voitures ou de papiers-mouchoirs et tout le monde en Algérie peut vous faire l'analyse de la crise de l'Algérie selon votre capacité d'écoute et votre besoin de résumé ou de détails. A partir d'un trottoir ou de la diplomatie ou d'une administration.

    En Algérie, nous sommes tous des Obama, mais assis. Du point de vue philosophique le plus fin, il y a peu de pays qui, comme l'Algérie, ont réalisé in vivo la fin de l'Histoire. La réalisation de l'utopie algérienne s'est traduite par une sorte de rêvasserie égalitariste non comestible et contre nature mais qui dure encore : on s'ennuie ferme comme des décédés. Le phénomène Obama, nous le connaissons depuis longtemps, mais au singulier. Ce n'est pas le «Yes we can» révolutionnaire, mais le «Yes, I can» prétentieux et individuel. Dites à un Algérien s'il pense mieux gouverner l'Algérie et il vous dira oui, sans hésiter. Donnez-lui un char et deux étoiles et il fera un coup d'Etat. Interrogez-le sur ses capacités, et il soulèvera la montagne avec le bout de sa langue.

    Non pas que nous sommes tous prétentieux, mais à un tel moment il y a eu une telle confusion des règnes et des espèces, des classes et des galons, qu'on peut retrouver wali un ancien planton des années 70 et sénateur un berger bien connu de sa terre et de ses chèvres à qui il ne répond plus au téléphone. Du coup, pourquoi s'empêcher d'être Saâdane dans son quartier ? D'ailleurs, nous sommes déjà 36 millions de Saâdane depuis trois jours. Tous entraîneurs et pas un seul qui soit joueur ou bon joueur.

    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

  • #2
    excellent !!!!!!!

    a méditer
    « Great minds discuss ideas; average minds, events; small minds, people. » Eleanor ROOSEVELT

    Commentaire

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