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Le laser mégajoule, le laser de la dissuasion

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  • Le laser mégajoule, le laser de la dissuasion

    Quand il s'agit de garantir le fonctionnement d'engins censés anéantir, instantanément ou presque, des régions entières, les superlatifs sont de rigueur. Le laser mégajoule (LMJ), élément-clé du programme de simulation des armements nucléaires français, répond à cet impératif.

    Poussé au milieu d'une forêt de pins, à une trentaine de kilomètres au sud de Bordeaux, le bâtiment gris, long de 300 mètres sur 100 mètres de large et 50 de haut, est un concentré de génie civil de pointe et de sciences fondamentales.

    Quelques chiffres : 150 000 m3 de béton ont été coulés pour constituer une enceinte étanche à toute vibration - "l'équivalent du viaduc de Millau", indique Jean-Michel Chaput, chef du projet laser mégajoule à la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Le bâtiment, dont la construction a débuté en 2003, est maintenu en permanence à 21 °C, au tiers de degré près, pour éviter toute dilatation des matériaux. Une multitude de mires ont été disposées dans l'installation, pour permettre un assemblage au millième de millimètre des équipements qui y prennent place peu à peu. Un système de filtration brasse 5 millions de mètres cubes d'air à l'heure pour en extraire la moindre poussière.

    Pourquoi ces précautions extraordinaires ? Peut-être faut-il préciser, avant de poursuivre la visite, la mission de cette installation de presque 3 milliards d'euros, qui aurait dû entrer en service en 2010, mais qui jettera ses premiers feux en 2014, au plus tôt. Elle doit reproduire et analyser les phénomènes de fusion qui interviennent au coeur des têtes thermonucléaires, à petite échelle, en concentrant sur une minuscule capsule de tritium et de deutérium des faisceaux laser très puissants - c'est pourquoi le Commissariat à l'énergie atomique, responsable de ce programme, l'a baptisé "Mégajoule".

    Or "l'ennemi du laser, ce sont la poussière et les vibrations", résume Jean-Louis Gaussen, le responsable du site, qu'on peut comparer à un gigantesque labyrinthe ayant pour fonction d'amplifier, à chaque virage, la puissance de faisceaux à l'origine ridiculement ténus - de l'ordre du millionième de joule. Ces pinceaux de lumière, qui circulent sous vide, vont traverser toute une série de plaques de verre au néodyme. "Il a comme caractéristique, lorsqu'il est excité par des lampes flash 30 000 fois plus puissantes que celle d'un appareil photo, de produire un photon cohérent avec le photon incident", indique Jean-Michel Chaput.

    En bout de course, chaque faisceau aura atteint 15 000 joules, en infrarouge. Il faudra encore le convertir en ultraviolet. C'est la fonction remplie par des plaques tirées d'énormes cristaux de phosphate de potassium. Les 176 faisceaux parviendront alors dans le saint des saints, la chambre d'expérience, une sphère d'aluminium de 10 mètres de diamètre (photo ci-dessous), bardée de capteurs et enclose dans des murs d'enceinte de 2 mètres d'épaisseur. Leur convergence, sur une capsule de gaz de deutérium et de tritium, enrobée d'or qui confinera le laser comme dans un four, devra engendrer une réaction de fusion.

    "Nous comptons produire vingt mégajoules en énergie de fusion, l'équivalent de quelques kilogrammes d'explosif classique", indique Jean-Louis Gaussen. Ce flash sera fortement émetteur de rayons X et de neutrons, susceptibles d'activer radiologiquement les matériaux alentour. C'est pourquoi les expériences seront pilotées à distance. Pas question non plus de pénétrer dans l'enceinte pendant les jours qui suivront le flash, avant d'extraire les éventuels débris.

    En "croisière", le CEA prévoit 250 expériences par an, dont une dizaine ira jusqu'à la fusion. "Nous développerons par la suite des cibles plus complexes, nous étudierons des géométries plus complexes", explique François Geleznikoff, directeur des armes nucléaires au CEA.

    Le laser mégajoule, qui a été précédé d'un prototype, la ligne d'intégration laser (LIL) aujourd'hui ouverte à la recherche civile, est en fait conçu pour une trentaine d'années d'exploitation. Certes, "pour des raisons de lissage budgétaire", il entrera en service avec cinq ans de retard par rapport au National Ignition Facility (NIF) américain, qui a réalisé ses premiers flashes en 2009. Mais, fait valoir le CEA, cela n'a pas eu de conséquences sur la validation des dernières têtes nucléaires embarquées dans les missiles aéroportés (TNA) entrés en service en octobre 2009 ou dans les futurs missiles océaniques (TNO), déployés en 2015. Ces TNA et TNO ont été concues à partir des ultimes tirs sous-terrains conduits par la France dans le Pacifique, en 1996, avant la signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE).

    Cette décision a conduit au développement d'un vaste programme de simulation, qui doit se substituer aux tirs réels, et dont le CEA a la responsabilité. La France a aussi décidé de stopper la production de matière fissile, du plutonium et de l'uranium de qualité militaire. "Depuis lors, nous vivons sur notre stock", d'environ 300 ogives, rappelle M. Geleznikoff. Or le plutonium présent dans les bombes a tendance à s'auto-empoisonner en se transmutant en américium - il faut donc régulièrement "désamériciumiser" l'arsenal. Cette caractéristique, mais aussi le vieillissement des divers autres matériaux, limite la durée de vie des ogives.

    L'objectif du programme de simulation est de garantir, en l'absence de tirs, que les générations qui viendront les remplacer seront aussi "sûres et fiables" que les précédentes. Il s'appuie sur plusieurs outils : Airix, sur le site de Moronvilliers (Marne), permet de radiographier le comportement des matériaux pendant la période qui précède la partie nucléaire de l'explosion. Avec le LMJ, Airix sert à valider expérimentalement les simulations numériques produites grâce aux supercalculateurs du centre de Bruyères-le-Châtel (Essonne).

    Au CEA, on se dit confiant dans l'accomplissement de cette "mission". Jean-Marie Collin, un expert des questions de défense proche des ONG favorables au désarmement, souligne cependant que "de nombreuses incertitudes subsistent". Il note que le programme a connu un dérapage financier "énorme" depuis son lancement. Un rapport du Sénat évoquait un montant de 5,5 milliards d'euros en 2005. En 2008, le CEA parlait de 6,6 milliards d'euros.

    Le NIF américain a connu le même phénomène. Un rapport interne vient en outre de montrer que ses responsables avaient fait peser sur d'autres programmes de défense une partie de leurs frais, ce qui masquerait un surcoût de 2 milliards de dollars. Les promoteurs du NIF insistent désormais auprès des médias sur une autre mission : utiliser la fusion laser pour produire de l'électricité - sans réellement convaincre leurs confrères du CEA.

    Surtout, Jean-Marie Collin s'interroge sur l'adéquation du LMJ avec des changements éventuels de doctrine d'emploi des armes nucléaires. "Aujourd'hui, la tendance est à s'orienter vers des ogives de moindre puissance, utilisées comme des armes d'ultime avertissement, à mi-chemin entre les bombes nucléaires surpuissantes et les armes conventionnelles, qui ne le sont pas suffisamment", analyse-t-il.

    Est-il raisonnable de déployer de tels efforts pour valider des armements dont la doctrine de la dissuasion prévoit précisément qu'ils ne seront pas utilisés ?

    "Nous devons avoir l'intime conviction que les formules auxquelles nous aboutirons rendront le service voulu, répond M. Geleznikoff. Sinon, la dissuasion n'est plus crédible."

    Par Hervé Morin, Le Monde

  • #2
    A la place de l'image promise dans l'article...

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    • #3
      Impressionnant

      Si seulement toute cette technologie de pointe et tout ce savoir-faire s'orientent uniquement vers l'intérêt de l'humanité!

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      • #4
        C'est vrai que les buts premiers sont d'ordre militaire pour ce projet. Souvent les politiques sont plus prompts à débloquer de l'argent pour des motifs de "défense" que de science pure. Mais les retombées scientifiques profiteront sans aucun doute à la physique civile.

        Un projet civil de même genre est en prévision (HIPER). Il réunira plusieurs pays dans le but tenter de maîtriser la fusion en tant que source d'énergie future (c'est en quelque sorte un projet concurrent d'ITER)
        http://www.hiper-laser.org/index.asp

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