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CNRS: Approche des tribus sahariennes

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  • CNRS: Approche des tribus sahariennes

    APPROCHE HISTORIQUE DES TRIBUS SAHARIENNES

    Pierre Bonte
    Directeur de recherche au CNRS


    Le terme Sahara occidental désigne couramment de nos jours la région saharienne qui
    a été colonisée près d’un siècle par l’Espagne. Mais il est aussi utilisé de longue date pour
    désigner la partie occidentale de l’ensemble saharien qui présente des traits identitaires
    l’opposant au Sahara central principalement occupé par des populations berbérophones
    (Touaregs). Ce vaste ensemble géographique qui comprend, outre le Sahara occidental tel que
    nous l’avons entendu auparavant, la Mauritanie contemporaine et une partie du Mali, présente
    une unité linguistique. Les populations qui l’occupent parlent un dialecte arabe, le hassaniya,
    distinct des parlers maghrébins. Elles partagent aussi des traits culturels tels que l’usage de la
    tente (khayma, tissée en poils d’animaux) qui correspond à leur mode de vie généralement
    pastoral et nomade, ou encore le port d’un vêtement drapé féminin particulier, la malhafa,
    L’organisation sociale est caractérisée par une certaine autonomie des statuts féminins, qu’ont
    noté de longue date les observateurs extérieurs, musulmans ou européens, et surtout la
    répartition en tribus qui a toujours une certaine pertinence dans les représentations locales.
    L’histoire de cette région, riche et complexe, partagée par les Sahariens, est dominée par les
    conflits et les alliances tribales, alliances susceptibles de les réunir parfois sous la bannière de
    l’islam en particulier.
    Les sociétés tribales ont été longtemps considérées dans les travaux scientifiques,
    comme présentant un certain archaïsme « égalitaire » et comme n’étant pas susceptible de
    s’inscrire dans les Etats modernes ou encore comme pervertissant le fonctionnement de ceuxci
    (tribalisme). On observait en fait au Sahara occidental des formes de stratification sociale et
    politique dans le cadre par exemple des émirats dont les lignées dominantes remontent à la fin
    du XVIIe siècle. De manière plus générale le fait tribal intervient dans la vie politique locale
    et dans les conflits majeurs de notre époque (Irak, Afghanistan) suscitant un nouvel intérêt des
    chercheurs. C’est dans cette perspective qu’il nous semble utile de réexaminer l’histoire
    tribale du Sahara occidental.
    L’usage de ce terme est cependant porteur d’une certaine ambiguïté de même que celui
    du terme sahrawi pour désigner les seules populations relevant de la décolonisation du Sahara
    espagnol. L’esquisse que nous présentons de leur histoire tribale amène immanquablement à
    les réinscrire dans des ensembles géographiques et humains plus larges. Ces nouveaux usages
    témoignent aussi cependant d’un particularisme dont nous allons tenter d’identifier les causes
    dans ce cadre plus large.
    Certaines de ces causes sont d’ordre géographique. La zone septentrionale du Sahara
    occidental est caractérisée par une aridité croissant rapidement à partir des contreforts
    méridionaux des massifs de l’Atlas mais ces zones désertiques portent aussi certains des
    meilleurs pâturages chameliers sahariens, le Zemmour et surtout le Tiris. Simultanément les
    influences méditerranéennes et atlantiques créent dans les régions côtières et les vallées qui se
    succèdent de l’oued Noun à la Sagiya el Hamra, des conditions plus favorables au
    développement de la production agricole, sur des terrains de décrue (grayr) ou grâce à
    l’irrigation. Dans ces régions prédomine un mode de vie agro-pastoral, observable chez les
    Tekna par exemple. Les ressources agricoles limitées incitent cependant à des mouvements de
    population vers les pâturages désertiques où elles se spécialisent dans l’élevage chamelier :
    c’est le cas d’une partie des Tekna et des Rgaybat. La constitution de cette grande
    confédération tribale qui se spécialise de plus en plus depuis le XVIIIe siècle dans l’élevage
    camelin, atteste d’un autre axe des mouvements de population, pastoraux en ce cas, qui
    s’oriente du nord vers le sud. Les pâturages du nord sont en effet de bonne qualité pour
    l’élevage chamelier mais irréguliers, incitant les groupes d’éleveurs qui les fréquentent à
    rechercher de nouvelles ressources végétales pour leurs troupeaux. Ils les trouvent en se
    déplaçant vers le sud où les pluies, associées au déplacement annuel du front intertropical,
    assurent des ressources plus abondantes et plus régulières. L’histoire du peuplement du
    Sahara occidental est marquée par ce mouvement des populations tribales pastorales du nord
    vers le sud jusqu’aux fleuves Sénégal et Niger. Elle les met en contact avec les sociétés
    africaines soudanaises suscitant des échanges économiques et culturels ainsi que des relations
    politiques qui marquent l’évolution de ces sociétés. Celles-ci connaissent des influences
    maghrébines, où se situent leurs origines, mais aussi soudanaises, influences variant selon les
    périodes que nous allons examiner rapidement en retraçant les grandes lignes du peuplement
    du Sahara occidental. Cet exposé nous amènera par ailleurs à définir quelques unes des
    raisons du particularisme que présentent les populations du Sahara contemporain stricto
    sensu.
    Nous commençons, en dehors de données archéologiques encore limitées sur les
    périodes antérieures, à avoir des informations historiques il y a un peu plus d’un millénaire
    grâce aux témoignages écrits qui nous sont fournis par les auteurs et voyageurs arabomusulmans.
    Ils attestent de l’installation dans ces régions désertiques de tribus pastorales
    chamelières berbères qui s’organisent en grandes confédérations tribales – la plus connue est
    celle des Sanhaja – qui se déplacent progressivement au sud, aux limites de l’empire
    soudanais du Ghana. C’est aussi l’époque où se diffuse l’islam parmi ces groupes et dans les
    ports caravaniers du sud à l’initiative de commerçants maghrébins berbères. Parallèlement se
    développent en effet les activités commerciales caravanières trans-sahariennes transportant or,
    sel, esclaves, etc., et échangeant les produits soudanais et maghrébins. L’essor de ce
    commerce et l’impact de mouvements réformistes musulmans sunnites (la forme encore
    dominante de l’islam au Maghreb et au Sahara occidental), favorisent, au XIe siècle, le
    regroupement de ces tribus au sein du groupement politico-religieux des Almoravides,
    organisés au nord du Sahara occidental et qui partira à la conquête du Maroc et de l’Espagne
    musulmane tout en exerçant une forte pression sur les Etats soudanais méridionaux du Ghana
    et du Takrur.
    Le reflux de l’hégémonie almoravide sera rapide au profit d’autres mouvements
    politico-religieux maghrébins et les tribus qui l’ont établie ont laissé peu de traces directes
    dans le peuplement du Sahara occidental. Les tribus berbères qu’elle fédérait ont cependant
    contribué à l’occupation pastorale de cette région (entraînant la migration vers le sud des
    populations agricoles africaines anciennement installées an Sahara) et à son islamisation en
    profondeur dont les traces sont observables dans la mémoire collective. Mais une partie
    d’entre elles passe dans les siècles qui suivent dans l’aire d’influence des grands empires
    soudanais (Mali et Songhay) qui connaissent alors leur apogée grâce pour une part décisive à
    l’essor des échanges trans-sahariens et au contrôle de la production de l’or à destination des
    pays méditerranéens. Les traces de ce premier ordre tribal s’effacent progressivement sous
    l’effet d’un second mouvement migratoire pastoral nord-sud qui est cette fois le fait de
    populations arabophones.
    Entre le XIIIe et le XVIe siècles les tribus Bani Hassan s’installent progressivement
    dans l’ensemble du Sahara occidental en conséquence de mouvements pastoraux pacifiques
    mais aussi de conflits tribaux parfois de grande ampleur. Ces tribus se rattachent à l’ensemble
    des Arabes hilaliens, groupe de tribus originaires de la péninsule arabique qui s’est auparavant
    répandu dans l’ensemble du Maghreb. Les Bani Hassan avaient pour leur part longuement
    coexisté avec des tribus berbères dans le sud du Maroc. Leur installation au Sahara traduit un
    renouveau de ces influences maghrébines et entraîne en particulier l’arabisation progressive
    de l’ensemble de cette région où se parle le dialecte qui porte leur nom, le hassaniya.
    Cette
    arabisation concerne aussi les généalogies, les tribus berbères se recomposant en se référant à
    des ancêtres arabes, politiques tels Uqba ibn Nafi conquérant du Maghreb, ou religieux
    rattachés à la « maison » du Prophète ou à ses compagnons des premiers temps de l’islam. On
    assiste ainsi durant cette période à un vaste mouvement de réorganisation des tribus qui voit
    l’apparition des principales tribus contemporaines. Progressivement les Bani Hassan imposent
    aussi un nouvel ordre fondé sur des hiérarchies statutaires et politiques. C’est le cas dans les
    émirats du Trarza, du Brakna, de l’Adrar et du Tagant. A travers de multiples conflits tribaux
    se stabilise ainsi la répartition territoriale de ces différents groupes dans le cadre des émirats
    ou, au sud-est, de puissantes confédérations tribales, organisées autour de lignées hassan ou
    de lignées exerçant une autorités religieuse, elles-mêmes en compétition incessante pour le
    contrôle des pâturages et des routes caravanières.
    On observe dans le nord du Sahara occidental une évolution assez semblable. Une
    importante tribu hassan, les Awlad Dlaym, exerce une certaine hégémonie sur les pâturages
    chameliers septentrionaux aux XVIIe et XVIIIe siècles, leur présence étant attestée
    anciennement par les explorateurs portugais et autres européens.
    Dernière modification par Takoumite, 16 janvier 2010, 03h40.

  • #2
    Une autre tribu importante,
    les Tekna, qui établit un lien généalogique avec les Berbères almoravides, s’organise à cette
    même époque regroupant agro-pasteurs et éleveurs chameliers, berbères et arabes, et établit
    une certaine hégémonie centrée sur l’oued Noun. C’est aussi à cette époque que se constituent
    les tribus descendant des saints de la Sagiya el Hamra : Awlad Tidrarin, Laarusiyin, Rgaybat
    principalement qui connaîtront ultérieurement des destins divergents.
    Au XVIIIe siècle nous entrons dans la période de l’histoire « moderne » qui ne connaît
    plus que de moindres transformations du peuplement tribal tel qu’il s’établit jusqu’à nos jours.
    La pression ancestrale des tribus chamelières du nord sur les pâturages du sud continue à se
    manifester. Elle est le fait des Awlas Dlaym au XVIIIe et au début du XIXe siècles, des
    Rgaybat ensuite. Il s’ensuit une série de luttes incessantes entre ces tribus et les tribus voisines
    du sud, organisées dans les émirats ou les confédération tribales, qui contrôlent étroitement
    ces pâturages et s’opposent à leurs mouvements pastoraux.Les rapports de force resteront
    équilibrés, rejetant définitivement les tribus du nord sur leurs pâturages chameliers.
    L’implantation des traitants européens le long de la côte atlantique et plus
    particulièrement à l’embouchure du Sénégal et dans le sud du Maroc (Mogador) ne modifie
    pas cette situation d’équilibre territorial où commencent à se préciser des particularismes
    régionaux, dans le nord du Sahara occidental au premier chef. Elle contribue à l’évolution des
    activités commerciales au sein des tribus sahariennes (en tant que commerçants, caravaniers
    ou protecteurs des pistes sahariennes) favorisant le développement et la diversification des
    échanges et l’ouverture sur le marché mondial (thé, étoffes, armes à feu, etc.
    La stabilisation territoriale et le développement des activités économiques vont avoir
    pour conséquence, plus particulièrement dans le nord du Sahara, la multiplication des conflits
    pastoraux, commerciaux et politiques qui opposent les principales tribus : Tekna, fortement
    engagés dans les activités commerciales comme les Tajakanet implantés à Tindouf, Awlad
    Dlaym, Rgaybat, Awlad Bousbaa, venus du nord à cette époque et qui jouent aussi un rôle
    commercial important, pour ne citer que les principales.
    C’est la situation qui prévaux au moment où se manifestent les entreprises
    commerciales espagnoles et françaises, qui se sont réparties sur le papier leurs aires
    d’influence respective, traçant des frontières difficiles à concevoir et à respecter par ces
    populations nomades, « fils des nuages » dépendant de la chute des pluies et de la poussée des 4 pâturages. Ces frontières ferment la route des pâturages du sud et contribuent dans ces zones
    désertiques d’accès difficile à créer une aire de dissidence où les troupes coloniales
    n’effectuent que des incursions, accentuant l’irrédentisme des populations tribales. Le
    contrôle des « grands nomades », ainsi qu’ils sont appelés dans les archives coloniales oscille
    entre la répression militaire et la « politique d’apprivoisement » menée par les Français pour
    les attirer dans les régions qu’ils contrôlent. Il faudra attendre 1934 pour que des expéditions
    militaires coloniales conjointes rassemblant des troupes françaises du Maroc, d’Algérie et de
    Mauritanie, réunies à Bir Moghreyn, occupent ce territoire de la dissidence et le fassent passer
    sous administration coloniale ; Encore les particularités de ce « Territoire des confins », géré
    conjointement par les administrations coloniales de ces trois pays, sont elles reconnues en le
    dotant d’une administration territoriale particulière, en partie nomade, sous autorité militaire.
    L’occupation territoriale espagnole sera plus tardive encore, s’appuyant sur les succès
    militires français, en ce qui concerne le contrôle de l’intérieur de leur zone d’occupation.
    Une génération plus tard, moins de trente ans après leur soumission réelle, ces tribus
    du nord du Sahara occidental sont directement partie prenante du processus de décolonisation
    qui se traduira par l’indépendance de la Mauritanie en 1961.
    Le mouvement armé de libération
    du sud-marocain, inspiré par l’Istiqlal marocain, repousse les forces d’occupation espagnoles
    dans leurs principaux postes et s’attaque même aux troupes françaises de Mauritanie au milieu
    des années cinquante, suscitant une réaction brutale franco-espagnole (opération Ecouvillon)
    et la réoccupation par les Espagnols de leur colonie.
    Des nouvelles données, l’exploitation des
    ressources minières locales (fer de Zouerate, phosphate de Bou Craa), l’amélioration des
    transports (pistes et aéroports) des considérations géostratégiques (guerre d’Algérie),
    expliquent cette collaboration et cette restauration.
    L’histoire contemporaine de la décolonisation de cette colonie espagnole s’inscrit dans
    un autre contexte qui a suscité de nombreux travaux et que nous n’évoquerons pas dans ce
    texte. Le retard pris par ce processus de décolonisation qui débute effectivement avec
    l’évacuation espagnole en 1975 et les blocages qui l’ont accompagné ne peuvent cependant,
    me semble-t-il, être examiné exclusivement en évoquant les événements qui ont suivi 1975.
    Un retard de près de vingt ans avait déjà été pris si l’on se réfère aux mouvements de
    libération des années 1950, aboutissant à faire du Sahara « espagnol » l’une des dernières
    colonies africaines. Les options politiques du régime franquiste (de même que celle du régime
    salazariste portugais dans ces colonies africaines) ont certes contribué à cette situation mais
    aussi les positions nationalistes intransigeantes de certaines forces politiques marocaines qui
    n’ont pas apprécié le poids des particularismes sahariens qui, dans cette région du nord du
    Sahara occidental, n’avaient fait que s’accentuer depuis le début du XXe siècle et sous les
    colonisations espagnoles et françaises.
    La reconnaissance de ces particularismes et leur traduction politique et administrative
    apparaissent comme une condition première du déblocage de cette situation et on ne peut
    qu’espérer que la présente évolution du processus politique aille en ce sens. Cette
    reconnaissance passe aussi par une meilleure connaissance des dimensions culturelles et
    sociales de ces particularismes. Revenir dans cette perspective sur l’histoire tribale du Sahara
    occidental n’est pas un simple exercice de style académique, il peut apporter une contribution
    précieuse à cette connaissance.


    http://www.mr-international.be/docum...rbruxelles.pdf

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