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Des femmes qui parlent d'amour, de vie .....

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    Rayhana. Comédienne algérienne

    « Des femmes qui parlent d’amour, de vie… »


    Dans cet entretien qu’elle nous a accordé, vendredi après-midi, avant que nous ayons vu la pièce dans la soirée du même jour, Rayhana, préférant ne pas trop s’appesantir sur les deux agressions qu’elle a subies, l’une verbale, le 5 janvier, et l’autre le 12 janvier, parle avec une passion non contenue de A mon âge je me cache encore pour fumer, premier texte qu’elle a écrit en France et en français et mis en scène par Fabian Chappuis. De ce que représente pour elle cette pièce qui donne la parole à « des femmes qui sont exclues parce qu’elles sont femmes ».



    Vous attendiez-vous à être agressée ?

    Pas du tout. Je suis dans un pays de liberté d’expression, jamais je n’aurais pensé qu’en plein centre de Paris, à Belleville, on essayerait de me fermer la bouche. J’étais heureuse d’être à Belleville, un quartier cosmopolite, j’étais chez moi. Jusqu’à ce que je joue cette pièce je n’ai jamais eu de problèmes en France. J’ai été l’objet d’une première agression verbale, le 5 janvier, qui m’a fait peur mais que je n’ai pas vraiment prise au sérieux. Sur les conseils de mon metteur en scène et des responsables de la Maison des Metallos, j’ai déposé plainte. Je n’ai jamais eu d’agression physique en Algérie non plus.

    Suite à votre agression, il y a eu beaucoup de réactions, en avez-vous reçu d’Algérie ?

    Des autorités algériennes en France ou en Algérie, aucune, alors que je suis Algérienne. Par contre, du peuple algérien, du milieu intellectuel et artistique, j’ai reçu de nombreuses marques de sympathie. Des ministres français m’appellent, me soutiennent.

    De quoi parlent les femmes dans votre pièce ?

    Elles parlent d’amour, de vie...

    D’amour qu’elles n’ont pas ?

    D’amour qui doit régner dans le monde. D’amour dans tous les sens du terme, d’amour qu’elles n’ont pas. Elles parlent de leur vie, de ce qu’elles ont subi.

    Vous situez la pièce à Alger pendant la décennie noire. Pourquoi ce choix ?

    Parce que c’est mon pays, c’est ma vie, ce sont des femmes que j’ai côtoyées, je ne peux m’inspirer que de ce que je connais. Cette idée de hammam, je l’avais déjà en Algérie, je voulais déjà écrire cette pièce. Pendant les années noires, justement. Je voulais faire parler des femmes et pour moi le meilleur lieu, le plus beau lieu est le hammam. J’ai proposé cette idée à un directeur de théâtre que je ne nommerai pas en Algérie et qui m’a dit que c’est une excellente idée, il voulait faire jouer des hommes dans des rôles de femmes pour ne pas prendre le risque de choquer le public, parce que dans nos mœurs les hommes n’entrent pas dans un hammam de femmes Il était sincère.

    Pourquoi précisément un hammam ?

    On va au hammam pour se nettoyer, pour se reposer et se rencontrer, et surtout loin de toute oreille masculine, puisque c’est un temple de femmes où l’homme n’a pas le droit d’entrer. Et les femmes se lâchent. Pour une femme, le hammam c’est une catharsis. C’est une purification dans tous les sens du mot.

    Les comédiennes sont au nombre de neuf, est-ce un hasard ?

    Au départ elles étaient douze femmes en colère. J’ai failli nommer la pièce Douze femmes en colère, mais il fallait trouver les finances pour payer douze comédiennes, un metteur en scène, c’est très très dur, j’ai dû sacrifier des personnages.

    Qui sont vos personnages ? Que symbolisent-ils ?

    Je ne suis pas dans le symbolisme, je suis dans le réalisme terre à terre et je pense que c’est pour cela que les professionnels du théâtre ou les gens qui viennent voir la pièce me disent : « C’est déjà fini », alors que la pièce dure deux heures. Il y a bien sûr un sens pour chaque personnage, mais en même temps ce sont des femmes simples qui parlent de leur quotidien, comme nos mères, nos sœurs, nos voisines. Il y a une masseuse (tayaba) qui est la sagesse populaire, analphabète, mais blasée de la vie.

    Dans notre culture populaire, la masseuse (tayabat el hammam) est connotée de façon péjorative, comme étant la commère...

    Mais oui, justement, elle est au courant de tout. Et comme je voulais faire parler mes personnages féminins, je les retrouve au hammam. Pour moi, le hammam n’est qu’un prétexte, et là, il y a une symbolique parce qu’il y a la purification. Ce sont des commères, toutes ces femmes. Dans le bon sens du terme.

    Cette pièce, vous pourriez la jouer en Algérie ?

    C’est mon rêve. J’ai déjà envoyé ce manuscrit à la ministre de la Culture, j’ai été agréablement surprise qu’elle m’ait envoyé une lettre dans laquelle elle me disait qu’en tant que femme elle avait beaucoup aimé la pièce. Mais, sincèrement, cela m’étonnerait fort que cette pièce puisse être jouée en Algérie. Mais sait-on jamais, on a fait parfois des choses en Algérie inimaginables.

    Avez-vous fait du théâtre en Algérie ?

    Je n’ai fait du théâtre qu’en Algérie. J’étais au théâtre de Béjaïa depuis son ouverture en 1986, j’y ai travaillé jusqu’en 1999 comme comédienne, auteure et metteur en scène. J’ai travaillé avec Azzedine Medjoubi, Allah yarhmou, d’ailleurs mon fils porte son prénom, c’est le dernier metteur en scène avec lequel j’ai travaillé avant qu’il soit assassiné par les intégristes, sur El houinta (la petite boutique), j’ai travaillé aussi avec Bouguermouh, Allah yarmou (mort dans un accident de voiture alors qu’il se rendait au théâtre). C’est horrible, il n’y a que Allah yarhmou. J’ai travaillé sur Ya rjal, ya hlallaf, hzam el ghoula. J’ai eu beaucoup de chance, parce que j’ai eu de très beaux rôles et j’ai appris énormément avec ces regrettés metteurs en scène. J’écris comme une comédienne, en fait.
    En Algérie j’écrivais en arabe, j’ai fait beaucoup d’adaptations collectives pour le théâtre de Béjaïa, j’ai écrit une pièce qui n’a jamais été montée parce que j’étais partie La musique adoucit les mœurs de Tom Stopars. A mon âge je me cache encore pour fumer est le premier texte que j’écris en français, j’aurais pu l’intituler Hammam de femmes.
    Pour quel public l’avez-vous écrit ?

    Le théâtre est pour tout le monde, pour tous publics.

    Avez-vous le sentiment que le public français comprenne la pièce ?

    Il comprend et adhère totalement et ce qui est merveilleux, que ce soit de la part des Français de souche ou des Maghrébins ou des Français d’origine maghrébine, ils me disent qu’ils vivent ce que véhicule la pièce, qu’ils s’y retrouvent. Une Française d’un certain âge m’a dit, émue : « Je pensais venir voir des Arabes je me suis vue. » Je parle d’une société que je connais tout en essayant de toucher à l’universel. J’ai un personnage qui est islamiste, un autre qui est progressiste et laïc, c’est ce qu’on a vécu. J’ai écrit une pièce qui parle de femmes et de l’agressivité des hommes envers les femmes, ce n’est pas propre aux pays maghrébins. En Espagne, la première cause de mortalité des femmes c’est la violence conjugale, les femmes en souffrent dans tous les pays, dans tous les milieux. L’intégrisme vient, bien sûr, ajouter à ces violences.

    Ce n’est donc pas une pièce « communautariste » ?

    Pas du tout. Ce n’est surtout pas l’exotisme. Dans la distribution, la plupart des comédiennes sont françaises. Trois seulement sont d’origine algérienne. Il n’y a pas de scène du thé, de henné. Le décor est sobre. Les comédiennes ne sont pas dénudées.




    Par Nadjia Bouzeghrane


    El Watan
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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