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Underworld USA, James Ellroy

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  • Underworld USA, James Ellroy

    James Ellroy achève sa trilogie noire sur les États-Unis des années 1958 à 1972.

    Lundi soir, sur la scène du Théâtre du Rond-Point. Le cirque Ellroy est de retour. Le géant américain au crâne rasé, soixante et un ans, portant petites lunettes, nœud papillon vert sur chemise blanche, pochette rouge sur veste beige à rayures, lit quelques pages de son dernier roman, Underworld USA, derrière un pupitre.

    En fait de lecture, il s'agit d'un show et, à ce petit jeu-là, aucun comédien ne possède la présence, la violence gestuelle et verbale d'Ellroy. S'il adore se conduire comme un fou furieux, un provocateur, personne, pourtant, n'est plus rationnel que lui. Plus sûr de son destin. Dès 1981, trublion inconnu de trente-trois ans, n'affirmait-il pas déjà haut et fort à qui voulait l'entendre qu'il était « l'avenir du polar » ? En 1988, à Paris, déjà auteur de sept romans, il nous déclare : « Je veux écrire des livres encore plus profonds, encore plus noirs. » Deux ans plus tard, il achève son Quatuor de Los Angeles, deux mille pages dans lesquelles il réinvente l'histoire criminelle de la Cité des Anges entre 1947 et 1960, et nous annonce sans barguigner la suite des réjouissances : « Après White Jazz (quatrième volume du quatuor ), je vais m'embarquer dans une série de livres sur l'histoire de l'Amérique du XXe siècle. C'est une grande épopée que je veux réécrire. Je vais le faire parce que je suis obsédé par la puissance et le pouvoir. L'idée d'individus, de petites gens pris dans de grands événements me fascine. C'est un moyen d'aller au-delà de simples enquêtes criminelles. Je veux accepter ce défi-là. »

    Dans le film de Benoît Cohen et François Guérif (Sa part d'ombre, DVD), un Ellroy au discours précis à l'extrême donnait le ton de sa nouvelle trilogie sur l'Amérique des années 1958 à 1972 : « Je veux dévoiler le rapport étroit entre le crime et la politique. Je veux savoir qui sont les véritables criminels du XXe siècle. » Ce projet titanesque, digne de la trilogie USA de Dos Passos, lui prendra finalement beaucoup plus de temps que prévu. Quatorze années pour venir à bout de ces deux mille pages qui embrassent les présidences Kennedy, Johnson et Nixon, les événements du Vietnam et de Cuba, l'assassinat des trois « K » (John F. Kennedy, Robert Kennedy et Martin Luther King) et la folie grandissante des deux « H » (Howard Hugues, le producteur avionneur milliardaire, et J. Edgar Hoover, le tout puissant patron du FBI).

    Comme dans American Tabloid et American Death Trip, Ellroy décrit une Amérique rongée par les complots, la corruption, les manipulations, les crimes, la haine raciale. « L'Amérique n'a jamais été innocente », ne cesse de marteler l'écrivain. Et il en donne une nouvelle preuve dans Underworld USA, où il met en place un schéma récurrent : trois hommes dangereux qui grenouillent pour le compte des chefs mafieux, d'Howard Hughes et de J. Edgar Hoover.

    Nid de crotales

    Après avoir éliminé les frères Kennedy, ces hommes sans scrupule ont un objectif commun : faire élire le républicain Nixon en sabotant la campagne du démocrate Humphrey. Pour les parrains, Nixon fermera les yeux sur leurs entreprises de blanchiment d'argent sale. Il facilitera la construction de casinos en République dominicaine, Cuba étant devenue zone à risque depuis la fin de l'ère Batista. Pour les plus extrémistes d'entre eux, Castro est un homme à abattre. Après les « rouges », le tout-puissant Hoover, quant à lui, a une nouvelle marotte : réduire à néant l'influence des mouvements noirs pour les droits civiques en les dressant les uns contre les autres. Au milieu de ce nid de crotales, plusieurs femmes jouent un rôle clé. Elles sont étiquetées « rouges ». On les suspecte de braquages, de meurtres et de projets révolutionnaires. Des femmes fortes et non plus victimes, c'est nouveau chez Ellroy. Après son dernier divorce, l'écrivain a rencontré deux femmes qu'il a aimées et aurait bien voulu, en bon romantique qu'il est, épouser. Peine perdue. Au lieu de l'anéantir, ces deux échecs l'ont motivé. Il a inclus ces amours défuntes à son intrigue et créé deux magnifiques personnages féminins qui contrastent avec la décrépitude d'un Howard Hughes rongé par les tocs et le déclin d'un J. Edgar Hoover paranoïaque persuadé que Nixon, qui l'est tout autant que lui, veut sa peau.

    Sur près de huit cents pages complexes, frénétiques, Ellroy réussit l'impensable : ne jamais perdre en route le lecteur. Son style à nul autre pareil fait mouche : rythme infernal, phrases courtes, images chocs, restitution jubilatoire des langages argotiques et racistes de l'époque. Ellroy choque, Ellroy dérange quand il fait œuvre d'historien et se met dans la peau de salauds. On n'imagine pas un romancier français oser la même chose sur la guerre d'Algérie, par exemple. La loi française le permettrait-elle ? On est emporté, bousculé, effrayé par tant de puissance, de noirceur. On ressort essoré de cette lecture-là avec la certitude d'avoir croisé un ovni littéraire concocté par un virtuose du mal et un impitoyable destructeur de la mythologie américaine.

    Par Le Figaro
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