« Ô Yamina ma soeur, Dieu fasse que tu ne succombes jamais à la voix ensorcelante de Satan ! pria la femme après avoir vidé la carafe d'eau fraîche que venait de lui servir son amie. Tu m'as arrosée, mon gosier était aussi desséché qu'un sentier caillouteux embrasé par un soleil d'été. Ne me crois pas si tu veux, mais il m'a fallu souffrir pendant presque deux heures pour enfin atteindre ta porte ! Un peu plus, et tu aurais découvert, sur le seuil de ta maison, une créature échevelée, les habits mis en pièces, l'intimité exposée aux regards, la bouche débitant des mots sans queue ni tête, folle.» La femme s'interrompit un moment pour reprendre haleine, puis continua, la main droite dessinant dans l'air des courbes pleines de grâce, comme pour rythmer ses paroles et fasciner son auditrice :
- C'est dans l'arrêt du bus, que mes nerfs ont commencé à vibrer et à grésiller comme un fil traversé par de l'électricité. L'attente m'a démolie, ma soeur ; j'ai dû poireauter dans la chaleur, plantée dans le même endroit pendant une éternité, bête comme une statue. Dépitée, je décide de rebrousser chemin et de rentrer chez moi. Mais le bruit d'un moteur arrête mon élan. C'était le bus qui arrivait. Une caisse grinçante s'arrête à mon niveau, bondée. Je monte par la porte avant, et me creuse péniblement un trou dans une masse humaine bariolée et entassée comme du bétail, hommes contre femmes, femmes contre hommes, collés les uns aux autres, sans un brin de pudeur. J'étouffe. La ferraille démarre, et les langues et les corps se délient. Tu t'aurais cru dans un asile psychiatrique ambulant. Comme ça fait si longtemps que je n'ai pas pris de bus, je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait dans cette chaudière bouillante. Mon mari a raison quand il dit que ce peuple est un troupeau de singes crasseux et dérangés. C'est aujourd'hui que j'ai compris pourquoi il n'arrête pas d'insulter les gens. Selon lui, personne ne pourra en faire des citoyens civilisés. Il me répète souvent : «S'occuper de ces tordus, c'est gaspiller son temps pour rien ! Avant d'être élu, le fait de vivre au milieu de ces balourds m'a transformé la cervelle en une masse de graisse. Dieu merci, la capitale m'a décrassé les yeux et la tête. Là-bas, j'ai appris comment il faut regarder ces foules grouillantes, paresseuses et hurlantes du matin au soir.» Eh bien, ce voyage à travers la ville m'a prouvé que mon mari n'a pas tort ! Ecoute-moi !
Je te parlerai d'abord du chauffeur. Un homme complètement fou, qui appuyait sur l'accélérateur avec une rage qui rappelle celle qui nous attrape quand nous surprenons des cafards dans notre cuisine. Cela en riant et en blaguant, une cigarette cincée entre les dents, le regard partout, sauf sur la route. Sans crier gare, le diable écrasait la pédale du frein, faisant chavirer la viande ruisselante d'odeurs et de sueurs, qui se révoltait et grognait des insultes, ou poussait des cris d'effroi, ou éclatait de rire.
Je vais te parler maintenant des voyageurs qui avaient presque tous un téléphone portable collé contre l'oreille.
Sans aucune trace de honte sur le visage, parlant de telle manière que même des oreilles crevées auraient pu capter ce qu'elle disait, une femme a étalé toutes ses maladies, les détaillant comme si elle répondait aux questions d'un médecin. Tout le monde a pu ainsi apprendre le nom des maux qui logent dans son corps, des tas de médicaments et de tisanes qu'elle a avalés, des marabouts qu'elle a visités, et des amulettes qu'elle porte sur elle.
Enveloppé dans une djelleba, un vieil homme braillait dans son appareil : «Dis-leur votre père veut une créature en bonne santé et encore vigoureuse pour s'occuper de lui et le soigner. Explique à cette progéniture qui veut me rendre fou, que je n'accepterai aucune vielle carcasse geignarde et toute ridée. Qu'ils sachent que je n'ai pas envie de terminer les jours qui me restent, en compagnie d'un épouvantail, qui me rappellerait tout le temps le trou dans lequel je servirai de festin aux vers.»
Ce n'est pas fini ! Une jeune fille, le corps étranglé dans des vêtements qu'une fillette n'aurait pas pu enfiler, le visage bariolé de crèmes et de peinture, écoutait ce qu'une voix lui versait dans ses oreilles, les yeux allumés. Son corps se tortillait comme si les paroles qui sortaient de son portable la chatouillaient !
Des collégiens se montraient des couteaux qu'ils avaient tirés de leurs cartables, discutant à haute voix, et visiblement heureux de posséder une arme. L'un d'eux jura qu'il fera payer au professeur de physique la mauvaise note qu'il venait d'obtenir en examen. L'autre approuvait son copain en hochant la tête. Ils grimaçaient et se forçaient à paraître plus vieux qu'ils ne l'étaient
............./.................................
- C'est dans l'arrêt du bus, que mes nerfs ont commencé à vibrer et à grésiller comme un fil traversé par de l'électricité. L'attente m'a démolie, ma soeur ; j'ai dû poireauter dans la chaleur, plantée dans le même endroit pendant une éternité, bête comme une statue. Dépitée, je décide de rebrousser chemin et de rentrer chez moi. Mais le bruit d'un moteur arrête mon élan. C'était le bus qui arrivait. Une caisse grinçante s'arrête à mon niveau, bondée. Je monte par la porte avant, et me creuse péniblement un trou dans une masse humaine bariolée et entassée comme du bétail, hommes contre femmes, femmes contre hommes, collés les uns aux autres, sans un brin de pudeur. J'étouffe. La ferraille démarre, et les langues et les corps se délient. Tu t'aurais cru dans un asile psychiatrique ambulant. Comme ça fait si longtemps que je n'ai pas pris de bus, je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait dans cette chaudière bouillante. Mon mari a raison quand il dit que ce peuple est un troupeau de singes crasseux et dérangés. C'est aujourd'hui que j'ai compris pourquoi il n'arrête pas d'insulter les gens. Selon lui, personne ne pourra en faire des citoyens civilisés. Il me répète souvent : «S'occuper de ces tordus, c'est gaspiller son temps pour rien ! Avant d'être élu, le fait de vivre au milieu de ces balourds m'a transformé la cervelle en une masse de graisse. Dieu merci, la capitale m'a décrassé les yeux et la tête. Là-bas, j'ai appris comment il faut regarder ces foules grouillantes, paresseuses et hurlantes du matin au soir.» Eh bien, ce voyage à travers la ville m'a prouvé que mon mari n'a pas tort ! Ecoute-moi !
Je te parlerai d'abord du chauffeur. Un homme complètement fou, qui appuyait sur l'accélérateur avec une rage qui rappelle celle qui nous attrape quand nous surprenons des cafards dans notre cuisine. Cela en riant et en blaguant, une cigarette cincée entre les dents, le regard partout, sauf sur la route. Sans crier gare, le diable écrasait la pédale du frein, faisant chavirer la viande ruisselante d'odeurs et de sueurs, qui se révoltait et grognait des insultes, ou poussait des cris d'effroi, ou éclatait de rire.
Je vais te parler maintenant des voyageurs qui avaient presque tous un téléphone portable collé contre l'oreille.
Sans aucune trace de honte sur le visage, parlant de telle manière que même des oreilles crevées auraient pu capter ce qu'elle disait, une femme a étalé toutes ses maladies, les détaillant comme si elle répondait aux questions d'un médecin. Tout le monde a pu ainsi apprendre le nom des maux qui logent dans son corps, des tas de médicaments et de tisanes qu'elle a avalés, des marabouts qu'elle a visités, et des amulettes qu'elle porte sur elle.
Enveloppé dans une djelleba, un vieil homme braillait dans son appareil : «Dis-leur votre père veut une créature en bonne santé et encore vigoureuse pour s'occuper de lui et le soigner. Explique à cette progéniture qui veut me rendre fou, que je n'accepterai aucune vielle carcasse geignarde et toute ridée. Qu'ils sachent que je n'ai pas envie de terminer les jours qui me restent, en compagnie d'un épouvantail, qui me rappellerait tout le temps le trou dans lequel je servirai de festin aux vers.»
Ce n'est pas fini ! Une jeune fille, le corps étranglé dans des vêtements qu'une fillette n'aurait pas pu enfiler, le visage bariolé de crèmes et de peinture, écoutait ce qu'une voix lui versait dans ses oreilles, les yeux allumés. Son corps se tortillait comme si les paroles qui sortaient de son portable la chatouillaient !
Des collégiens se montraient des couteaux qu'ils avaient tirés de leurs cartables, discutant à haute voix, et visiblement heureux de posséder une arme. L'un d'eux jura qu'il fera payer au professeur de physique la mauvaise note qu'il venait d'obtenir en examen. L'autre approuvait son copain en hochant la tête. Ils grimaçaient et se forçaient à paraître plus vieux qu'ils ne l'étaient
............./.................................
Commentaire