Il faut comprendre
L’affaire :
Mohamed Meziane, 60 ans, PDG de Sonatrach depuis septembre 2003 et 15 cadres du groupe pétrolier ont démissionné mardi 12 après avoir été inculpés par un juge d’Alger dans une affaire de malversations présumées. Un des quatre vice-présidents, Chawki Rahal (chargé de l’activité commercialisation) et cinq autres cadres de la société ont été placés sous contrôle judiciaire. Deux autres vice-présidents de Sonatrach, Benamar Zenasni (chargé de l’activité transport par canalisations - TRC) et Belkacem Boumedienne (chargé de l’activité Amont - exploration et production), l’ancien PDG du Crédit populaire d’Algérie, Hachemi Meghaoui, et son fils, dirigeant un bureau d’études, ainsi que les deux enfants de Mohamed Meziane et un entrepreneur privé (frère d’un ex-général), ont pour leur part été placés sous mandat de dépôt. L’intérim à la présidence est assuré par Abdelhafid Feghouli, vice-président pour l’activité Aval.
L’enjeu :
Cette affaire éclate en pleine opération de « nettoyage » puisqu’une autre enquête sur les conditions d’octroi du marché de l’autoroute Est-Ouest, en cours d’instruction, touche également le ministère des Travaux publics, impliquant directement Amar Ghoul. Mais les têtes des coupables vont-elles réellement tomber, sachant que les précédents scandales se sont toujours arrêtés à un certain niveau de responsabilité (Khalifa, BRC…) ? Ou faut-il voir dans cette opération une manœuvre pour désamorcer les tensions socioéconomiques ? Ou s’agit-il d’une redistribution des cartes du pouvoir ?
Transparency International avait prévenu… :
Entreprise numéro 1 en Afrique, tous secteurs confondus, et 12e au niveau mondial, Sonatrach est avant tout la première société algérienne. Elle assure 98% des recettes en devises du pays avec une production de 1,2 million de barils par jour. Elle emploie 125 000 personnes et a réalisé en 2008 un bénéfice net de près de 9 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires annuel de 80 milliards de dollars. Dans son rapport 2008 sur les performances de 42 compagnies pétrolières et gazières, l’ONG Transparency International avait épinglé Sonatrach en lui donnant une note de 10/58 en matière de transparence des paiements, de programmes de lutte contre la corruption par groupe, et des réglementations et politiques d’achat.
« Il était temps qu’on arrête le massacre. Et ce n’est pas uniquement une histoire de passation douteuse de marchés. Il faut voir comment l’argent est jeté par les fenêtres ! » Presque dix jours après l’inculpation de Mohamed Meziane, PDG de Sonatrach, et de plusieurs hauts responsables pour malversations, les cadres du groupe en ont gros sur le cœur. El Watan Week-end a réussi à joindre quelques-uns, toujours dans l’entreprise, et d’autres qui n’en font plus partie. Anonymement (nous avons changé certains prénoms), ils ont accepté de briser le silence. Comme Amina, qui regrette que « cet argent n’ait pas servi à autre chose que financer au-delà du raisonnable des études vendues à des bureaux extérieurs et qui auraient pu être réalisées à l’intérieur ». En famille.
Car appartenir à Sonatrach, c’est avant tout faire partie de la même maison. « Notre famille est touchée. On se sent humiliés et on vit très mal d’être exposés, comme ça, à la une des journaux comme si on était tous des gens malhonnêtes, confie un responsable. On voit des collègues être incarcérés ou mis sous contrôle judiciaire. Ce n’est pas évident. Il y a de quoi se sentir solidaires, car après tout ce sont des collègues avec qui on travaille. » Un autre cadre vit le scandale comme « un cauchemar ». « Et je me dis que d’un moment à l’autre, je vais me réveiller. Cette entreprise pour moi représente tout. Quand j’ai rejoint Sonatrach, je me suis dit que je n’y resterai pas, que ce n’était qu’une étape dans ma vie professionnelle, raconte-t-il. Mes collègues, plus anciens, disaient que je changerai d’avis. Je pensais à ma carrière.
Mais quand j’ai vu la qualité de la formation, les salaires, les avantages par rapport au marché du travail en Algérie, j’ai relativisé. Aujourd’hui, j’arrive à m’identifier à Sonatrach en me disant que c’est ma deuxième famille. Avec cette affaire, on marche tête baissée. On n’a pas l’habitude ! Sonatrach est quand même la première entreprise algérienne et africaine ! Là, l’image de marque de l’entreprise en prend un coup pour cinquante ans. » Alors oui. Le gaspillage, les formations coûteuses, consultants étrangers qui étaient invités, ébahis par tant de luxe, au Sheraton d’Oran… Ils savaient. « Tout ça, c’est le prestige de Sonatrach, essaie de se convaincre un ingénieur. Mais quand je vois les chambres, les restos, le saumon, je pense à mes frères au chômage, tout ce que je mange a un goût amer. Parce que je me dis que c’est l’argent du peuple qu’on gaspille comme ça… »
Les rumeurs su le train de vie des dirigeants n’arrangent rien , comme celle relative à l’achat d’une villa à Birkhadem par un des fils du PDG pour la somme de 27 milliards de centimes. Ou encore à l’achat de propriétés aux Etats-Unis, encore par les fils de Méziane, et sur lesquelles les services de renseignement américains auraient demandé des éclaircissements. Ou enfin sur le salaire présumé de l’un d’entre eux embauché chez Saipem (filiale d’ENI) de 20 000 euros…Les cadres les plus réalistes – dont certains ont avoué avoir envoyé à la brigade économique de la Gendarmerie nationale et aux services, des lettres de dénonciation sur les agissements de la direction – reconnaissent que la « déchéance » avait commencé depuis un bon moment. Et de source sûre, certains affirment que ce n’est pas terminé. « Dans les jours qui viennent, d’autres responsables seront entendus.
Ce qui alimente un climat de suspicion entre nous. » Et un autre de préciser : « En ce moment, Naftal, d’autres filiales du groupe, et Sonelgaz, quelques entrepreneurs privés, des bureaux d’étude, et même les Douanes feraient également l’objet d’enquêtes. » La question qui circule le plus dans les bureaux ? Pourquoi maintenant ? « On nous a dit qu’ « en haut », les instances sécuritaires et militaires voulaient faire du tri. Que les malversations avaient pris de telles proportions que la situation devenait intenable, relève un haut responsable sans conviction. Et que les tensions sociales allaient en s’exacerbant. Bref, entre corruption et émeutes, les cocktail était explosif. Il fallait taper fort. L’an dernier, les services qui enquêtaient à l’intérieur de Sonatrach, nous ont prévenus qu’il y avait un gros problème. On savait que ça avait plus ou moins un lien avec les contrats TRC, les contrats liés aux canalisations. Mais d’autres rumeurs parlent d’un règlement de comptes entre Meziane et Feghouli. » Amer, un voisin d’étage va plus loin.
« On a quand même la sensation qu’il s’agit d’un règlement de comptes au plus haut. Quand Chakib Khelil déclare qu’il a appris toute cette affaire dans les journaux, on sait que ce n’est évidemment pas vrai, lance un ingénieur. La vraie question est : est-ce que cela obéit à une réelle volonté de mettre fin à la corruption ? Si on s’attaque au secteur de l’énergie après celui des bâtiments et travaux publics, alors c’est une bonne chose. Mais ce n’est pas notre impression… » Pour un ancien du groupe qui suit toujours ses activités, « le problème de Sonatrach est lié à la façon autoritaire dont, depuis quelques années, les carrières sont gérées. Il n’y a plus de débat car les gens ont peur d’être mis dehors. Au fil du temps, les hauts responsables qui avaient un mode de management participatif ont été écartés. Et aux postes de responsabilité, on ramène n’importe qui, de n’importe où au lieu de faire évoluer les gens en interne. » Pour Rafik, ingénieur, Sonatrach, « ce n’est pas la pyramide de Maslow (célèbre schéma des besoins primaires et profonds exprimés par étapes) mais plutôt la pyramide des Pharaons, avec les chefs en haut qui ne se discutent pas et dont les pratiques ne font l’objet d’aucune concertation. »
L’affaire :
Mohamed Meziane, 60 ans, PDG de Sonatrach depuis septembre 2003 et 15 cadres du groupe pétrolier ont démissionné mardi 12 après avoir été inculpés par un juge d’Alger dans une affaire de malversations présumées. Un des quatre vice-présidents, Chawki Rahal (chargé de l’activité commercialisation) et cinq autres cadres de la société ont été placés sous contrôle judiciaire. Deux autres vice-présidents de Sonatrach, Benamar Zenasni (chargé de l’activité transport par canalisations - TRC) et Belkacem Boumedienne (chargé de l’activité Amont - exploration et production), l’ancien PDG du Crédit populaire d’Algérie, Hachemi Meghaoui, et son fils, dirigeant un bureau d’études, ainsi que les deux enfants de Mohamed Meziane et un entrepreneur privé (frère d’un ex-général), ont pour leur part été placés sous mandat de dépôt. L’intérim à la présidence est assuré par Abdelhafid Feghouli, vice-président pour l’activité Aval.
L’enjeu :
Cette affaire éclate en pleine opération de « nettoyage » puisqu’une autre enquête sur les conditions d’octroi du marché de l’autoroute Est-Ouest, en cours d’instruction, touche également le ministère des Travaux publics, impliquant directement Amar Ghoul. Mais les têtes des coupables vont-elles réellement tomber, sachant que les précédents scandales se sont toujours arrêtés à un certain niveau de responsabilité (Khalifa, BRC…) ? Ou faut-il voir dans cette opération une manœuvre pour désamorcer les tensions socioéconomiques ? Ou s’agit-il d’une redistribution des cartes du pouvoir ?
Transparency International avait prévenu… :
Entreprise numéro 1 en Afrique, tous secteurs confondus, et 12e au niveau mondial, Sonatrach est avant tout la première société algérienne. Elle assure 98% des recettes en devises du pays avec une production de 1,2 million de barils par jour. Elle emploie 125 000 personnes et a réalisé en 2008 un bénéfice net de près de 9 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires annuel de 80 milliards de dollars. Dans son rapport 2008 sur les performances de 42 compagnies pétrolières et gazières, l’ONG Transparency International avait épinglé Sonatrach en lui donnant une note de 10/58 en matière de transparence des paiements, de programmes de lutte contre la corruption par groupe, et des réglementations et politiques d’achat.
« Il était temps qu’on arrête le massacre. Et ce n’est pas uniquement une histoire de passation douteuse de marchés. Il faut voir comment l’argent est jeté par les fenêtres ! » Presque dix jours après l’inculpation de Mohamed Meziane, PDG de Sonatrach, et de plusieurs hauts responsables pour malversations, les cadres du groupe en ont gros sur le cœur. El Watan Week-end a réussi à joindre quelques-uns, toujours dans l’entreprise, et d’autres qui n’en font plus partie. Anonymement (nous avons changé certains prénoms), ils ont accepté de briser le silence. Comme Amina, qui regrette que « cet argent n’ait pas servi à autre chose que financer au-delà du raisonnable des études vendues à des bureaux extérieurs et qui auraient pu être réalisées à l’intérieur ». En famille.
Car appartenir à Sonatrach, c’est avant tout faire partie de la même maison. « Notre famille est touchée. On se sent humiliés et on vit très mal d’être exposés, comme ça, à la une des journaux comme si on était tous des gens malhonnêtes, confie un responsable. On voit des collègues être incarcérés ou mis sous contrôle judiciaire. Ce n’est pas évident. Il y a de quoi se sentir solidaires, car après tout ce sont des collègues avec qui on travaille. » Un autre cadre vit le scandale comme « un cauchemar ». « Et je me dis que d’un moment à l’autre, je vais me réveiller. Cette entreprise pour moi représente tout. Quand j’ai rejoint Sonatrach, je me suis dit que je n’y resterai pas, que ce n’était qu’une étape dans ma vie professionnelle, raconte-t-il. Mes collègues, plus anciens, disaient que je changerai d’avis. Je pensais à ma carrière.
Mais quand j’ai vu la qualité de la formation, les salaires, les avantages par rapport au marché du travail en Algérie, j’ai relativisé. Aujourd’hui, j’arrive à m’identifier à Sonatrach en me disant que c’est ma deuxième famille. Avec cette affaire, on marche tête baissée. On n’a pas l’habitude ! Sonatrach est quand même la première entreprise algérienne et africaine ! Là, l’image de marque de l’entreprise en prend un coup pour cinquante ans. » Alors oui. Le gaspillage, les formations coûteuses, consultants étrangers qui étaient invités, ébahis par tant de luxe, au Sheraton d’Oran… Ils savaient. « Tout ça, c’est le prestige de Sonatrach, essaie de se convaincre un ingénieur. Mais quand je vois les chambres, les restos, le saumon, je pense à mes frères au chômage, tout ce que je mange a un goût amer. Parce que je me dis que c’est l’argent du peuple qu’on gaspille comme ça… »
Les rumeurs su le train de vie des dirigeants n’arrangent rien , comme celle relative à l’achat d’une villa à Birkhadem par un des fils du PDG pour la somme de 27 milliards de centimes. Ou encore à l’achat de propriétés aux Etats-Unis, encore par les fils de Méziane, et sur lesquelles les services de renseignement américains auraient demandé des éclaircissements. Ou enfin sur le salaire présumé de l’un d’entre eux embauché chez Saipem (filiale d’ENI) de 20 000 euros…Les cadres les plus réalistes – dont certains ont avoué avoir envoyé à la brigade économique de la Gendarmerie nationale et aux services, des lettres de dénonciation sur les agissements de la direction – reconnaissent que la « déchéance » avait commencé depuis un bon moment. Et de source sûre, certains affirment que ce n’est pas terminé. « Dans les jours qui viennent, d’autres responsables seront entendus.
Ce qui alimente un climat de suspicion entre nous. » Et un autre de préciser : « En ce moment, Naftal, d’autres filiales du groupe, et Sonelgaz, quelques entrepreneurs privés, des bureaux d’étude, et même les Douanes feraient également l’objet d’enquêtes. » La question qui circule le plus dans les bureaux ? Pourquoi maintenant ? « On nous a dit qu’ « en haut », les instances sécuritaires et militaires voulaient faire du tri. Que les malversations avaient pris de telles proportions que la situation devenait intenable, relève un haut responsable sans conviction. Et que les tensions sociales allaient en s’exacerbant. Bref, entre corruption et émeutes, les cocktail était explosif. Il fallait taper fort. L’an dernier, les services qui enquêtaient à l’intérieur de Sonatrach, nous ont prévenus qu’il y avait un gros problème. On savait que ça avait plus ou moins un lien avec les contrats TRC, les contrats liés aux canalisations. Mais d’autres rumeurs parlent d’un règlement de comptes entre Meziane et Feghouli. » Amer, un voisin d’étage va plus loin.
« On a quand même la sensation qu’il s’agit d’un règlement de comptes au plus haut. Quand Chakib Khelil déclare qu’il a appris toute cette affaire dans les journaux, on sait que ce n’est évidemment pas vrai, lance un ingénieur. La vraie question est : est-ce que cela obéit à une réelle volonté de mettre fin à la corruption ? Si on s’attaque au secteur de l’énergie après celui des bâtiments et travaux publics, alors c’est une bonne chose. Mais ce n’est pas notre impression… » Pour un ancien du groupe qui suit toujours ses activités, « le problème de Sonatrach est lié à la façon autoritaire dont, depuis quelques années, les carrières sont gérées. Il n’y a plus de débat car les gens ont peur d’être mis dehors. Au fil du temps, les hauts responsables qui avaient un mode de management participatif ont été écartés. Et aux postes de responsabilité, on ramène n’importe qui, de n’importe où au lieu de faire évoluer les gens en interne. » Pour Rafik, ingénieur, Sonatrach, « ce n’est pas la pyramide de Maslow (célèbre schéma des besoins primaires et profonds exprimés par étapes) mais plutôt la pyramide des Pharaons, avec les chefs en haut qui ne se discutent pas et dont les pratiques ne font l’objet d’aucune concertation. »
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