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Rayhana l'insoumise

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  • Rayhana l'insoumise

    | Photo Baptiste Giroudon


    A lire aussiParu dans Match
    Agressée à Paris par des intégristes qui voulaient la brûler comme une sorcière, l’actrice et dramaturge algérienne refuse de jeter un voile sur son combat.
    Interview Ghislain Loustalot - Paris Match Paris Match. Le personnage principal de votre pièce, Fatima, dit qu’elle ne craint personne. Ni les hommes ni les intégristes. Et vous, aujourd’hui, avez-vous peur après qu’on a essayé de vous brûler vive à Paris ?
    Rayhana. Je pèse mes mots : l’intégrisme ne peut pas ne pas faire peur. Donc oui, j’ai très peur. Je me suis vue brûler, je vis avec cette idée qui me hante. Elle me fige comme elle m’a déjà figée en Algérie. Mais c’est le but de mes agresseurs : me bloquer, m’étouffer, alors je continue à l’affronter. Le fait qu’on tente de me tuer pour ce que je pense ou ce que j’écris prouve que le combat n’est pas terminé. Cette peur me servira de moteur. C’est pour cette raison que j’accepte de vous en parler.
    Pensiez-vous que cette pièce de théâtre pouvait vous mettre en danger à Paris ?
    Jamais ! Je vis désormais dans un pays démocratique que j’aime, où l’on peut dire ce que l’on veut, où je suis libre, et je le répète à qui veut l’entendre. Je n’aurais à aucun moment pensé que mon texte puisse susciter tant de colère. En France, je n’ai jamais subi la moindre pression. En Algérie, j’avais reçu des *menaces verbales d’un étudiant islamiste quand j’étais à l’université. Il m’avait dit : “Toi, tu mourras de mes propres mains.” Mais, à l’époque, le Fis [Front islamique du salut] ne s’était pas encore révélé de manière aussi criminelle.
    «Dans toutes les religions, une femme est une sorcière dès qu'elle ne se soumet pas»

    Dans votre pièce, écrite en 2004, il y a une phrase prémonitoire : “Sorcière ! Les femmes sont diaboliques, elles sont l’incarnation du mal.” Et on a essayé de vous immoler, en pleine rue, comme on brûlait les sorcières au Moyen Age.
    Incroyable, je n’ai même pas fait le rapprochement. L’Histoire se répète. Dans toutes les religions, une femme peut être considérée comme une sorcière dès qu’elle prend position, dès qu’elle ne se soumet pas.
    Que sous-entend le titre de votre pièce, “A mon âge, je me cache *encore pour fumer” ?
    J’ai voulu souligner une absurdité totale : en Algérie, une femme qui fume est considérée comme une ******. J’en connais certaines qui ont été fouettées à coups de ceinture par leur mère et leur tante parce qu’elles s’étaient fait prendre à fumer. Elles ne châtient pas par haine, mais par amour, pour protéger leurs filles, pour qu’elles ne deviennent pas des mécréantes, qu’elles puissent trouver un mari, ce qui semble à leurs yeux l’unique vocation de la femme. C’est encore pire. La pièce ne parle que de ça, de notre condition féminine et de nos rapports avec les hommes. Bien sûr, les choses changent petit à petit. Mais pas assez. Par exemple, le Code de la famille qui régit le mariage a été modifié : avant, un homme pouvait épouser une autre femme sans demander la permission à la première. Désormais, c’est interdit par la loi. Il a toujours droit à quatre femmes, mais il faut l’accord des autres. La polygamie est toujours autorisée. Il y a un tel poids de la culture, des traditions et de la religion qu’il est très difficile d’imposer des lois du jour au lendemain. Mais c’est la seule solution. La Tunisie l’a fait.
    «Le machisme est universel»

    Ce que vous racontez sur les hommes, leur sexualité et leurs rapports aux femmes, est extrêmement dur mais assez universel, comme si ça ne concernait pas que les musulmans.
    Le machisme est universel. La première cause de mortalité des femmes, dans certains pays du sud de l’Europe, est la violence conjugale. Quand j’écris, en parlant d’une femme voilée et d’une autre qui ne l’est pas : “Toi, t’es une bâchée, toi, t’es une décapotable, de toute façon vous êtes juste bonnes à baiser toutes les deux, un point c’est tout”, c’est pour dénoncer l’hypocrisie. En Algérie, durant les années noires, on kidnappait aussi des filles voilées. Elles étaient considérées comme des butins de guerre au même titre que les autres, et violées trente ou quarante fois. J’ai vu à cette époque, dans les années 90, le témoignage télévisé d’une femme de 40 ans à qui c’était arrivé. Vous savez ce qui lui faisait le plus mal ? Tous ces hommes qui avaient abusé d’elle sans arrêt, pendant des jours, étaient pour la plupart du même âge que ses fils.
    Les femmes algériennes sont-elles aussi solidaires que vous le dites ?
    Oui, car elles ont tout à gagner à ce que ces lois qui les réduisent à l’état d’objet disparaissent. Mais il faut dire, également, qu’il y a eu des femmes islamistes qui ont participé aux massacres des années 90. Elles permettaient à leur mari d’en violer d’autres. Des épouses d’émirs, intouchables, utilisaient des jeunes filles concubines comme esclaves sexuelles.
    L’une de vos héroïnes dit : “Je voulais mourir le jour où ils m’ont fait arrêter l’école, je les ai suppliés. Ils m’ont répondu : ‘Le jour où tu sortiras d’ici, ce sera pour aller chez ton mari et de chez ton mari à la tombe.’” L’avez-vous vécu personnellement ?
    C’est la condition de nombreuses femmes algériennes. Elles ne décident de rien. D’ailleurs, dans le Code de la famille, une femme dépend de son père puis de son mari ; elle est une éternelle mineure. J’ai eu la chance d’avoir des parents quasi analphabètes mais armés d’une grande sagesse populaire. Pour eux, les études étaient importantes. Mon père déchiffre à peine l’arabe, pourtant il a réussi à lire la semaine dernière dans “El Watan” ce qui m’est arrivé. Et il a eu la peur de sa vie. Et puis j’ai passé mes treize premières années chez une seconde maman, hollandaise, qui m’a éduquée à l’européenne. J’ai fait une année de médecine, les Beaux-Arts et l’Institut national d’art dramatique. Mais j’étais une révoltée et je me faisais jeter de partout. J’ai commencé à écrire de la poésie, puis quelques pièces de théâtre en arabe, qui ont été jouées, mais j’étais surtout connue en tant que comédienne. J’ai d’ailleurs reçu des prix d’interprétation dans des festivals. L’un de mes metteurs en scène, qui dirigeait le Théâtre national, le célèbre Azzedine Medjoubi, a été assassiné rue Molière, à Alger, ainsi qu’Ali Tenkhi, le réalisateur du dernier film dans lequel j’ai joué, “Le papillon ne volera plus”. J’avais une telle colère contre cette connerie qu’est l’intégrisme, je n’arrivais pas à croire que mon peuple puisse être comme ça. Je suis venue en France en tant que réfugiée et on m’a offert l’asile.
    «Quand on se connaît, on se déteste moins»

    Que pensez-vous du problème de l’intégration ?
    Dans la pièce, je dis que de plus en plus de jeunes partent rasés d’Algérie en Europe et reviennent barbus. Je l’ai vu, vécu. C’est étonnant qu’on revienne intégriste de France. C’est à cause du rejet, du racisme, des ghettos. Les jeunes se font récupérer dans les mosquées. Plus le rejet de la société française est fort, plus la manipulation de ces jeunes est aisée. Il faudrait plus de mélange, plus de mixité, comme en Finlande où les quotas Finlandais-étrangers sont fixés par la loi. L’intégration doit se faire dans les deux sens. Dans le village catalan où j’habite avec mon mari, j’ai créé des stages, des ateliers pour les enfants et les vieux. Moi, la femme musulmane, je me suis déguisée en Père Noël. Et puis ils ont voté FN en masse ! J’ai dormi pendant quarante-huit heures, tellement j’étais sonnée. Mes voisins m’ont dit que ce n’était pas contre moi. Voilà le problème : quand on se connaît, on se déteste moins. Mon père était maquisard pendant la guerre d’Algérie, mon beau-père faisait partie de l’armée française. Le jour de mon mariage, ils ont pleuré dans les bras l’un de l’autre en s’avouant qu’ils auraient pu s’entre-tuer il y a cinquante ans et ne jamais connaître ensemble ce jour de bonheur. L’amour résout tout.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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